Point sur la loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires, dite "loi Sempastous"

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Soucieux de lutter contre l’accaparement des terres et désireux d’assurer une plus grande transparence quant aux cessions de parts sociales ou actions de sociétés d’exploitation agricole ou de sociétés détenant des actifs immobiliers agricoles, le législateur a adopté le 23 décembre 2021 la loi n° 2021-1756 portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires, dite "loi Sempastous".

Antérieurement à cette date, les outils dont était dotée la Safer ne lui permettaient pas ou très peu d’agir sur les transactions sociétaires. Elle bénéficiait uniquement d’un droit de préemption en cas de cession totale des parts sociales ou actions d’une société d’exploitation agricole et/ou détenant des actifs immobiliers agricoles. Quant au sacro-saint contrôle des structures, autre outil de contrôle éventuel, il n’est pas applicable dans les opérations d’investissements financiers dans les sociétés agricoles.

Il fallait donc trouver pour le législateur un nouvel outil de contrôle. Avant de nous attarder sur son fonctionnement, faisons état des personnes morales visées et des opérations concernées par la « loi Sempastous ».

La loi cible les opérations concernant les sociétés agricoles, mais pas seulement. Sont ici visées toutes les sociétés détenant une exploitation agricole et/ou des terres agricoles ou des terres potentiellement exploitables. On pense ici notamment aux sociétés immobilières familiales détenant une maison de famille autour de laquelle se trouve des terres dont la surface permettrait de les disqualifier de simple jardin d’agrément attachée à la maison.

Quant aux opérations concernées, il s’agit de celles conduisant à la prise de participation par une personne physique ou morale détenant déjà directement et/ou indirectement en propriété ou en jouissance des immeubles à usage ou à vocation agricole.

Pour simplifier, sont concernées :

  • Toutes les prises de participation quelle qu’en soit la forme telles cession de parts sociales ou d’actions partielle ou totale, réduction de capital, augmentation de capital, fusion, transmission universelle de patrimoine ;
  • Toutes les personnes physiques ou morales, acteurs du monde agricole qui détiennent déjà, directement ou indirectement, en propriété ou en jouissance, des immeubles à usage ou à vocation agricole au sens de l’article L. 143-1 du Code rural.

Aux termes de la loi, le dispositif mis en place est donc relativement simple : réguler la prise de contrôle de toute société agricole quand l’opération envisagée a pour but d’octroyer au cessionnaire le contrôle d’une nouvelle société qui aboutirait à un dépassement de seuil qualifié d’agrandissement significatif.

La concentration ou l’accaparement significatif consisterait à dépasser le seuil qui est fixé par région naturelle ou par territoire et qui sera compris entre 1,3 et 3 fois la surface agricole utile régionale moyenne appelée SAURM.

Cette surface est définie dans le Schéma Directeur Régional des Exploitations Agricoles (SDREA).

Le dépassement de ce seuil s’apprécie au regard de ce que détient déjà le cessionnaire. On applique alors les coefficients d’équivalence fixés dans le SDREA.

La loi prévoit en outre les modalités de contrôle.

Dès qu’une opération cumule les critères visés ci-dessus, elle devra être autorisée par le Préfet du département après instruction du dossier par la Safer compétente.

Cette demande sera réalisée soit par l’une des parties à l’opération, soit par l’un des conseils (notaire ou avocat) mandaté à cet effet. Compte tenu des obligations de télédéclarations pour toute notification faite à la Safer, les notaires ou avocats conseils seront certainement les interlocuteurs privilégiés pour ces futures demandes.

L’instruction du dossier reste similaire à celle déjà existante pour les biens immobiliers ou titres de société. La Safer accuse réception du dossier une fois la notification complète réalisée.

Elle fera alors part du délai d’instruction pour cette demande d’autorisation qui correspondra au délai dans lequel le Préfet donnera sa réponse.

À noter que le silence de ce dernier à cette date vaudrait autorisation tacite. Lequel délai doit être fixé par décret non encore paru à ce jour.

Le coût de cette demande d’autorisation sera également fixé par décret. Cela évitera les errements actuels quant au tarif des réponses dites rapides. Aucun supplément ne devrait être exigé de la part de la Safer.

Saisie d’une telle demande, le rapport de la Safer va tout d’abord contrôler si l’opération porte atteinte aux objectifs du dispositif, à savoir les demandes d’installation des jeunes agriculteurs ou leurs demandes de consolidation.

Dans l’hypothèse où l’opération contrevient aux objectifs du dispositif, la Safer va étudier si le dossier contribue au développement du territoire (performance économique, sociale, environnementale). C’est ce dernier critère qui pourrait faire que le dossier soit autorisé.

Tout serait une question de conclusions. Toutefois, si l’accaparement dépasse la notion de développement, l’autorisation pourrait être refusée par décision motivée.

La décision sera alors susceptible d’être attaquée devant le juge administratif.

Dans l’hypothèse d’un refus d’autorisation, le cessionnaire pourra faire des propositions au Préfet (et à la Safer) pour renoncer d’une manière ou d’une autre à certaines terres. Le délai pour effectuer ces propositions sera lui aussi fixé par décret (non encore paru à ce jour).

Dans l’hypothèse d’un nouveau refus du Préfet, un unique et dernier délai supplémentaire de 15 jours sera octroyé au cessionnaire afin de faire de nouvelles propositions.

À l’issue de ce délai, deux issues sont possibles :

  • Un accord est donné par le Préfet et le cessionnaire aura 6 mois pour mettre les nouvelles propositions  en œuvre ;
  • Si une opération sur titres était réalisée en violation de ce dispositif de contrôle, une action en nullité serait ouverte au Préfet. La prescription est de 12 mois à compter de la date ou le Prefet prend connaissance de l’opération. Une amende d’un montant de 2% maximum du prix de l’éopération peut également être appliquée.

À noter que certaines opérations seront exemptées de cette nouvelle demande d’autorisation : les opérations réalisées par les Safer, les mutations à titre gratuit et les cessions réalisées entre associés dont la qualité d’associé est d’au moins 9 ans.

Aujourd’hui, aucun des décrets d’application prévus n’a été publié quant à cette nouvelle autorisation[i]. Quid des délais d’application de la loi ?. Quid de l’éventuel sort qui serait réservé à la « loi Sempastous » si cette dernière était soumise au contrôle a posteriori du Conseil constitutionnel. Possible ?

Rodolphe Pionnier, juriste, droit rural et vitivinicole, Cheuvreux

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[i] Mis à part le décret n° 2022-1247 du 22 septembre 2022 relatif aux mesures de publicité et d'information de de la décision de suspension de l'instruction d'une demande d'autorisation d'exploiter en cas d'agrandissement excessif ou de concentration excessive, JO 23 sept. 2022


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