Nicolas Boeglin, Professeur de Droit International Public, Faculté de Droit, Universidad de Costa Rica, nous décrypte les récents heurts diplomatiques entre la Bolivie, l'Espagne, le Portugal, la France et l'Italie qui ont eu lieu lors du survol de leur espace aérien par le Président bolivien.
Le 9 juillet dernier, le Conseil Permanent de l´Organisation des Etats Américains (OEA) a adopté une résolution intitulée: "Solidarité des Etats Membres de l´OEA avec Evo Morales, Président de l´Etat Plurinational de Bolivie et le peuple bolivien" (voir texte officiel en Français à la fin de cette note).
Il s´agit d´une belle victoire diplomatique bolivienne, suite à la situation délicate entrainée par les conditions de vol du retour de Moscou, effectué par le Président bolivien le 2 juillet dernier.
Comme on le sait, le vol officiel d´un chef d´Etat est entouré de certaines garanties reconnues par le droit international public ainsi que par la pratique diplomatique. En effet, refuser le passage par chef d´Etat en vol officiel dans l´espace aérien d'un Etat tiers mérite des explications, surtout quand les Etats entretiennent de bonnes relations diplomatiques et politiques avec ce chef d'Etat. Ces explications ont cependant tardé à être données.
LE TEXTE DE LA RESOLUCTION ADOPTÉE PAR l´OEA.
Cette résolution mérite d'être mentionnée dans la mesure où les représentants représentants de la France, de l´Espagne, de l´Italie et du Portugal ont été attentivement écoutés par les Etats membres de l´OEA.
Ils ont été entendus par les membres de l'OEA et ont été, semble-t-il, fort peu convaincants, selon le texte adopté.
Le communiqué de presse du Secrétariat Général de l´OEA précise dans sa version en anglais que le texte a été adopté par consensus dans une réunion spéciale du Conseil intervenant à la demande de la Bolivie, de l'Equateur, du Nicaragua et du Venezuela. Ces pays condamnent donc les actions qui violent les règles de base et les principes de droit international tels que le principe d'inviolabilité des dirigeants. Ils appellent fermement les gouvernements français, portugais, italien et espagnol à donner les explications requises sur les événements qui ont eu lieu avec le président bolivien et les incitent à s'en excuser.
Il est fort probable que les diplomates boliviens aient souhaité un texte bien plus ferme que la version finalement adoptée grâce à la technique du consensus.
Cependant, le texte extrêmement clair sur l´identité des Etats incriminés et exige, en plus des explications de rigueur, des excuses officielles.
On lit au point 3 que le Conseil Permanent de l´OEA décide... "3. De lancer un ferme appel aux gouvernements de la France, du Portugal, de l’Italie et de l’Espagne pour qu’ils fournissent les explications nécessaires sur les faits survenus en relation avec le Président de l’État plurinational de Bolivie, Evo Morales Ayma, et pour qu’ils fassent les excuses adéquates".
Depuis le 9 juillet dernier, l´ensemble des Etats membres de l´OEA attend donc que des excuses soient présentées à la Bolivie.
UNE FERMETÉ CURIEUSEMENT REVISITÉE.
La fermeté du texte mérite une nuance pour ce qui a trait aux Etats-Unis et au Canada. En effet, de manière quelque peu surprenante, ce texte a donné lieu à un exercice inédit au sein de l´OEA dans la mesure où la délégation des Etats-Unis et celle du Canada ont adjoint à la fin du texte une note en bas de page indiquant ne « pouvoir se rallier » au consensus obtenu.
(Ici, on négocie un texte pour parvenir à un consensus (évitant par ce biais la menace d´un vote), puis on notifie avec une note en bas de page ne pas s´y rallier). Voilà une façon somme toute plutôt originale (et semble-t-il sans précédent au sein de l´OEA) de réinventer la technique du consensus comme mécanisme d´adoption d´un texte au sein d´une organisation internationale.
Il convient de noter que ces deux mêmes Etats avaient affiché clairement leur isolement au sein de l´OEA en votant contre la résolution qui exigeait une réunion d´urgence des Ministres des Relations Extérieurs de l´OEA à la demande de l´Equateur en août 2012 (concernant la menace d´une opération commando formulée par la diplomatie britannique pour récupérer Julian Assange, fondateur de Wikileaks, réfugié à l´ambassade de l´Equateur à Londres depuis le mois de juillet 2012). La réunion des Ministres a été un succès pour l´Equateur et nous avions eu l´occasion d´écrire à ce propos que « L´Equateur a pu compter avec la présence de 12 Ministres des Affaires Etrangères (Argentine, Chili, Colombie, Equateur, Haiti, Guyana, Mexique, Paraguay, Pérou, République Dominicaine, Uruguay et Venezuela).et d´un Vice Ministre (Guatemala) lors de la Réunion de Consultation des Ministres des Relations Extérieures au sein de l´Organisation des Etats Américains (OEA) le 24 août 2012 (réunion à caractère « extraordinaria » dont la convocation fut l´objet d´un vote, avec trois contre sur 35 à savoir celui des Etats Unis, du Canada et de Trinité et Tobago et 5 abstentions dont celles du Panama et du Honduras). » (Note 1).
Du point de vue politique, ces deux notes en bas de pages des Etats-Unis et du Canada, dont la motivation est assez floue, constituent un exercice périlleux.
Une raison impérieuse et inexpliquée les a mené à se dédouaner d´un texte qui ne les visait pourtant pas (ni expressément ni implicitement). On imagine mal que les Etats européens concernés par la résolution aient pu faire pression sur les Etats-Unis et le Canada afin d´obtenir d´eux un tel dégagement du consensus adopté par l´ensemble des Etats membres de l´OEA.
La raison est sûrement très influente, mais demeure inconnue et la démarche porterait à croire que les intérêts des quatre Etats européens ainsi que du Canada et des Etats-Unis coïncident quelque part sans qu´on veuille indiquer exactement en quoi.
DES EXCUSES FORMELLES EN ATTENTE : Suite à la condamnation (sans notes en bas de page) du 12 juillet dernier (voir le texte de la résolution), émise par une autre organisation régionale, le MERCORSUR regroupant l´Argentine, le Brésil, le Paraguay, l´Uruguay, et le Vénézuéla (voir texte de la résolution), l´Espagne a été la première à faire le pas, en présentant, par l´entremise de son représentant à La Paz, ses excuses officielles le 16 juillet.
L´ambassadeur d´Espagne à La Paz a présenté un texte indiquant que « Nous sommes désolés de ces événements et présentons nos excuses pour ce comportement non approprié et à cause duquel le Président bolivien a été contrarié et l'a mis dans une situation délicate, indigne d'une Chef d'Etat.
Ces excuses font référence à l'idée somme toute originale de procéder à la perquisition de l'aéronef utilisée par le Président bolivien, ordonnée le 3 juillet dernier par l´ambassadeur d'Espagne à l´aéroport de Vienne (voir note de presse).
Pour ce qui est des déclarations faites à la presse par les autorités françaises le 4 juillet (voir note de presse), celles-ci ne semblent pas avoir satisfait les exigences de la Bolivie. La France est pointée du doigt, au même titre que les trois autres Etats, dans le texte de la résolution de l´OEA du 9 juillet 2013.
La dernière fois que la France s´est officiellement excusée vis-à-vis d´un autre Etat remonte à l´affaire du Rainbow Warrior (destruction par deux agents des services secrets français d´un bateau de Greenpeace dans le port d´Auckland en Nouvelle Zélande le 10 juillet 1985) (Note 2). On lit à ce sujet que « les excuses dues par le gouvernement français répondent exactement à la définition de la satisfaction, c´est-à-dire la constatation solennelle du manquement au droit international » (Note 3). Ces excuses officielles qui prirent la forme d´une lettre adressée par le Premier Ministre français à son homologue néozélandais étaient accompagnées d´une indemnisation de 7 millions de dollars « en réparation de l´ensemble des préjudices subis par la Nouvelle Zélande » selon le rapport du médiateur, Secrétaire Général des Nations Unies.
CONCLUSION
Le fait que des organisations régionales de l´Amérique Latine telles que l´UNASUR, l´ALBA, la CELAC, l´OEA et le MERCOSUR aient montré une solidarité sans faille avec la Bolivie (à l´exception des deux notes en bas de page des Etats-Unis et du Canada dans le cadre de l´OEA) devrait inviter les Etats qui ne l´ont pas encore fait à présenter officiellement leurs excuses à la Bolivie.
Les démarches de la diplomatie bolivienne sont éloquentes et les excuses officielles collectives réclamées par la Bolivie aux quatre Etats concernés permettraient de donner une issue à la crise politique du début du mois de juillet.
Les prochains sommets officiels de l´Union Européenne avec ces organisations régionales pourraient donner lieu à des situations peu commodes si des excuses formelles n'étaient pas présentées, et l´agenda bilatéral propre de ces quatre Etats avec la Bolivie pourrait même en pâtir, relations commerciales inclues.
Nicolas Boeglin, Docteur en Droit (Université de Paris II), LLM (Institut Universitaire Européen de Florence, Boursier Lavoisier) et diplômé de l´Institut des Hautes Etudes Internationales (IHERI), Université de Paris II. Actuellement Professeur de Droit International Public, Faculté de Droit, Universidad de Costa Rica (UCR).
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Note (1) : Nous avions eu l´occasion de préciser dans ces mêmes pages dans notre article : « Equateur/CIRDI : nouvelle fronde avec probables répercussions régionales » . Le Monde du Droit,
Note (2) : Cf. NGUYEN QUOC DINH, DAILLIER P. et PELLET A., Dtoit International Public, Paris, LGDJ, 1999, p. 482. Cf. sur ce point précis CHARPENTIER J, « L´affaire du Rainbow Warrior : le règlemente inter-étatique », AFDI (1985) pp. 673.6885, p. 881.
Note (3) : Cf. CHARPENTIER J, « L´affaire du Rainbow Warrior : le règlemente inter-étatique », 32, AFDI (1986) pp. 873-885, p. 881.