Rapport Cadiet : 20 recommandations sur l’open data des décisions de justice

Etudes et Documents
Outils
TAILLE DU TEXTE

Le rapport sur l'open data des décisions de justice a été remis au ministre de la Justice le 9 janvier 2018.

Loïc Cadiet, professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris-I), a remis son rapport sur l’open data des décisions de Justice à Nicole Belloubet, Garde des Sceaux.

La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique dite « Loi Lemaire » a institué la mise à disposition du public à titre gratuit (en « open data ») de l’ensemble des décisions de justice (articles 20 et 21).

Le rapport Cadiet formule 20 recommandations relatives à l'open data des décisions de justice. Il est organisé en trois parties. La première partie du rapport s'intéresse aux finalités, aux enjeux et aux risques de la mise à disposition du public des décisions de justice. 
La deuxième partie traite des conditions de l'ouverture au public des décisions de justice au regard du droit français et du droit européen.
Enfin, la troisième partie est consacrée aux modalités de l'ouverture au public des décisions de justice.

L'open data des décisions de justice stimule le marché du droit

En 2016, 10.313 décisions rendues par la Cour de cassation et 3.047 décisions de cours d’appel sélectionnées pour leur intérêt particulier ont été diffusées sur Legifrance. « La mise à disposition du public pourrait concerner, en revanche, tous niveaux d’instance confondus, une ouverture à 2.677 253 décisions rendues en matière civile en 2016 – dont 250.609 par les seules cours d’appel – et 1.200 575 décisions rendues en matière pénale la même année – dont 104.361 décisions rendues par les cours d’appel – sous réserve du périmètre des décisions qui seront effectivement mises à disposition », relève le rapport. L'accroissement du volume des décisions de justice pose notamment la question de la protection de la vie privée des personnes concernées par les décisions. 

L'open data des décisions de justice a pour effet d'ouvrir « de nouvelles perspectives d'activité pour les acteurs du marché du droit » et «  contribuer à stimuler l’ensemble de l’activité du secteur dans une mesure qui, cependant, est encore indéterminée ».
Ainsi, les auteurs du rapport observent une possible reconfiguration du marché juridique : « l’augmentation de la masse de données en open data devrait en effet stimuler l’activité de nouvelles entreprises, particulièrement les legaltech, ces start-up du domaine juridique qui développent leur activité à partir de l’exploitation des données juridiques ». Par conséquent, les « acteurs traditionnels de la diffusion du droit » devront trouver de nouvelles sources de valeur économique et diversifier leur offre.

L'enjeu pour les professionnels du droit

La mise en open data des décisions de justice devrait favoriser l'analyse et la comparaison de la pratique des professionnels du droit.  « Avec l’open data, les décisions des juges auront davantage de visibilité. Leurs motivations et leurs sens donneront lieu à des analyses et comparaisons plus approfondies. Les pratiques des juridictions pourront être restituées avec plus de précision, notamment sur le plan statistique. Les juridictions pourraient être conduites à intégrer des analyses ou des critiques jusqu’alors difficiles à formuler ».

Par ailleurs, certaines des tâches aujourd’hui réalisées par les professionnels du droit seront automatisées, ce qui devra les conduire à repenser l'organisation d'une partie de leur activité avec l'utilisation de l'intelligence artificielle et de la justice prédictive : « Les possibilités offertes par l’intelligence artificielle contribueront à faire évoluer l’activité des professionnels du droit vers davantage de complémentarité entre le praticien et la machine. L’exercice des professions juridiques sera marqué par l’assistance croissante des nouveaux outils numériques. Le développement, par exemple, de technologies de recherche juridique d’une grande agilité, ou de logiciels produisant automatiquement des trames d’actes juridiques permet aujourd’hui aux professionnels concernés – et permettra encore davantage à l’avenir – de réaliser des gains de temps considérables. Les perspectives ouvertes par la justice »

La mise à disposition du public des décisions de justice nécessite de renforcer les techniques existantes dites de « pseudonymisation » des décisions, afin d’assurer la protection de la vie privée des personnes. Par ailleurs, il faudra aussi engager une réflexion sur les formats de diffusion.
Par conséquent, le rapport préconise une « mise en œuvre du projet d’open data par paliers ».

Arnaud Dumourier (@adumourier)

RECOMMANDATION N° 1

Confier aux juridictions suprêmes le pilotage des dispositifs de collecte automatisée des décisions de leur ordre de juridiction respectif, y compris celles des tribunaux de commerce pour l’ordre judiciaire, et la gestion des bases de données ainsi constituées

RECOMMANDATION N° 2

Définir le socle des règles essentielles de pseudonymisation, notamment la nature des données concernées, par décret en Conseil d’État pris en application des articles 20 et 21 de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, après avis de la CNIL. Ces données ne sauraient se limiter aux noms et adresses des personnes physiques concernées

RECOMMANDATION N° 3

Compléter le socle des règles de pseudonymisation par des recommandations de la CNIL, réactualisées le cas échéant, reposant sur une analyse générale du risque de réidentification réalisée en lien avec le Conseil d’État et la Cour de cassation.

RECOMMANDATION N° 4

Confier aux juridictions suprêmes la mise en œuvre des dispositions légales et règlementaires, éclairée par les recommandations de la CNIL, à partir d’une analyse du risque de réidentification, réalisée in concreto, ainsi que la définition, en concertation entre elles, de bonnes pratiques.

RECOMMANDATION N° 5

Prévoir dans le décret en Conseil d’État la mise en œuvre de la pseudonymisation à l’égard de l’ensemble des personnes physiques mentionnées dans les décisions de justice, sans la limiter aux parties et témoins, sous réserve de ce qui sera décidé pour la mention du nom des professionnels de justice.

RECOMMANDATION N° 6

Rappeler que les décisions des tribunaux de commerce sont soumises aux règles de pseudonymisation et d’analyse du risque de réidentification applicables à l’ensemble des juridictions de l’ordre judiciaire.

RECOMMANDATION N° 7

Prévoir, dans le décret en Conseil d’État, le déploiement progressif de l’ouverture des données en identifiant les contentieux et les niveaux d’instance concernés en considération des enjeux et contraintes techniques de mise en œuvre de l’open data. Ce déploiement devra s’accompagner de la mise en place d’une architecture technique appropriée.

RECOMMANDATION N° 8

Mettre en cohérence les règles de publicité des décisions de justice, en complétant l’article 11-3 de la loi du 5 juillet 1972 et l’article R. 156 du code de procédure pénale d’une disposition prévoyant que, lorsque la décision a été rendue publiquement après débats en chambre du conseil, seul son dispositif est communiqué aux tiers.

RECOMMANDATION N° 9

Maintenir un régime de délivrance de décision aux tiers par les greffes et établir des mesures visant à permettre aux juridictions de rejeter les demandes de copies de décisions lorsque ces demandes sont abusives ou lorsqu’elles ont pour objet ou pour effet la délivrance d’un nombre important de décisions.

RECOMMANDATION N° 10

S’agissant des juridictions de l’ordre judiciaire, instaurer, sans préjudice des prérogatives du procureur de la République et du procureur général prévues à l’article R. 156 du code de procédure pénale, un recours de nature juridictionnelle devant le président de la juridiction concernée à l’encontre de la décision du directeur de greffe refusant la délivrance de copies à un tiers. Insérer des dispositions à cet effet dans le code de l’organisation judiciaire.

RECOMMANDATION N° 11

Compléter l’article R. 156 du code de procédure pénale afin d’ajouter aux conditions existantes pour la délivrance de décisions aux tiers que celles-ci aient été rendues publiquement et par une juridiction de jugement afin d’exclure l’accès aux décisions rendues dans le cadre de l’information judiciaire.

RECOMMANDATION N° 12

Prévoir la possibilité, pour la juridiction prononçant la décision, de conditionner sa délivrance aux tiers à sa pseudonymisation ou à la suppression de tout ou partie de ses motifs lorsque cette délivrance est susceptible de porter atteinte à des droits ou secrets protégés, en modifiant notamment les articles 11-3 de la loi du 5 juillet 1972, R.156 du code de procédure pénale et R.751-7 du code de justice administrative. Dans l’impossibilité d’y parvenir, prévoir la possibilité pour la juridiction d’exclure, à titre exceptionnel, l’accès d’une décision aux tiers et sa mise à disposition du public en modifiant les mêmes dispositions.

RECOMMANDATION N° 13

Prévoir dans le décret en Conseil d’État que seules les décisions rendues publiquement et accessibles aux tiers peuvent faire l’objet d’une mise à disposition du public.

RECOMMANDATION N° 14

Déterminer le ou les vecteurs de diffusion des décisions de justice permettant au public de disposer d’un portail de diffusion du droit par l’internet, comportant des fonctionnalités spécifiques de recherche, et d’accéder à l’ensemble des décisions diffusées en open data dans un format ouvert et aisément réutilisable.

RECOMMANDATION N° 15

Assurer, en fonction du ou des vecteurs de diffusion identifiés, la prise en considération des demandes de pseudonymisation complémentaire des personnes concernées par le Conseil d’État et la Cour de cassation et la mise à jour subséquente des bases des réutilisateurs.

RECOMMANDATION N° 16

Développer sur le site internet de la Cour de cassation un canal de diffusion de la jurisprudence de l’ensemble des juridictions de l’ordre judiciaire assurant la mise en valeur de celle-ci, à l’instar de ce que pratique le Conseil d’État s’agissant des décisions de l’ordre administratif avec la base ArianeWeb.

RECOMMANDATION N° 17

Modifier les dispositions des articles 8 et 9 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés afin de permettre la réutilisation des décisions de justice diffusées dans le cadre de l’open data. L’interdiction de traitement de données sensibles ne devrait pas s’appliquer à la réutilisation de ces décisions, à condition, notamment, que ces traitements n’aient ni pour objet ni pour effet la réidentification des personnes concernées. La possibilité de traiter des données relatives aux infractions devrait être ouverte aux réutilisateurs sous la même réserve et sans préjudice d’autres garanties.

RECOMMANDATION N° 18

Imposer que les traitements de données respectent les conditions déterminées dans le cadre de la licence choisie par la juridiction gestionnaire de la base.

RECOMMANDATION N° 19

Prévenir par un cadre juridique adapté la constitution de bases de données de décisions de justice s’affranchissant des exigences, contraintes et garanties recommandées par le présent rapport.

RECOMMANDATION N° 20

Réguler le recours aux nouveaux outils de justice dite « prédictive » par : - l’édiction d’une obligation de transparence des algorithmes ; - la mise en œuvre de mécanismes souples de contrôle par la puissance publique ; - l’adoption d’un dispositif de certification de qualité par un organisme indépendant.

 


Lex Inside du 14 mars 2024 :

Lex Inside du 5 mars 2024 :

Lex Inside du 1er mars 2024 :