Selon l'avocat général près la CJUE, la liberté de la presse représente un principe essentiel de l’ordre juridique de l’Union dont la violation manifeste peut constituer un motif de refus d’exequatur.
En 2006, le quotidien Le Monde a publié un article faisant état de liens entre le club de football espagnol du Real Madrid et le docteur Fuentès, instigateur d’un réseau de dopage dans le milieu du cyclisme.
Jugeant que l’article était diffamatoire et portait atteinte à la réputation du club, la justice espagnole a ordonné le paiement d’une amende d’un montant de 390.000 € à l’encontre de la société éditrice du Monde et de 33.000 € à l’encontre de cette dernière et de l'auteur de l'article, condamnés solidairement.
Le Real Madrid a demandé l’exécution de ces décisions espagnoles en France.
La cour d’appel de Paris a rejeté sa demande en recourant à la clause de l’ordre public : pour les juges du fond, cette condamnation aurait un effet dissuasif pour les journalistes et les organes de presse dans leur participation à la discussion publique des sujets qui intéressent la collectivité, en violant la liberté de la presse et la liberté d’expression.
Dans un arrêt du 28 septembre 2022 (pourvoi n° 21-13.519), la Cour de cassation a demandé à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) si, dans l’ordre juridique de l’Union, la liberté de la presse garantie par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne constituait un principe fondamental dont la violation peut justifier le recours à la clause de l’ordre public.
Dans ses conclusions rendues le 8 février 2024 (affaire C-633/22), le premier avocat général Maciej Szpunar considère qu’un Etat membre dans lequel est demandée l’exécution d’une décision telle que celle en cause en l’espèce doit la refuser ou la révoquer lorsqu’elle conduirait à une violation manifeste de la liberté d’expression.
S’agissant d’une condamnation portant sur des dommages-intérêts compensatoires, l’avocat général est d’avis que le risque d’un effet dissuasif allant au-delà de la situation de la personne directement concernée justifie le refus de l’exequatur en ce qu’il constitue une violation manifeste et démesurée de la liberté de la presse dans l’Etat membre en cause.
A cet égard, il précise que la somme (...)