La traque des avoirs des « oligarques » russes a démontré la nécessité de renforcer la transparence de la propriété effective

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Créé il y a 5 ans et accessible au public depuis 2021, le registre français des bénéficiaires effectifs répertorie les propriétaires réels des sociétés inscrites au Registre du Commerce et des Sociétés, c’est-à-dire la ou les personnes physiques qui soit détiennent, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital ou des droits de vote de la société, soit exercent, par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle sur la société. Si la création de cet outil imposé par la quatrième directive anti-blanchiment et si son interconnexion avec les registres centraux des autres États membres, en application de la cinquième directive anti-blanchiment, constituent des avancées considérables en matière de transparence, celles-ci ne sont pas assez efficaces pour permettre aux autorités de dresser la liste des biens détenus par les milliardaires russes. Alors que la sixième directive de lutte anti-blanchiment est actuellement examinée par le Parlement européen, Transparency France organise le mercredi 28 septembre à Paris une conférence pour dresser le bilan et les perspectives d’amélioration de ce registre.

Pandora Papers, Panama Papers, Paradis Papers, … Depuis près de dix ans, les scandales se succèdent et révèlent comment des individus fortunés, des criminels, des personnalités politiques et parfois même des chefs d’État dissimulent revenus, activités, pots-de-vin et argent public détourné dans des sociétés écran localisées dans des paradis fiscaux et judiciaires.

L’opacité est au cœur de ces montages. L’utilisation de sociétés-écrans et de trusts ou fiducies est centrale dans les schémas de blanchiment, de fraude et d’évasion fiscale. Ainsi, selon la Banque mondiale, 70 % des affaires de corruption des trente dernières années ont impliqué des sociétés-écrans ou des trusts.

Afin de faciliter l’identification des individus qui se cacheraient derrière des sociétés écrans à des fins illicites, la France, en transposition d’une directive du 20 mai 2015 de prévention de l’utilisation du système financier à des fins de blanchiment des capitaux ou de financement du terrorisme, impose depuis 2017 aux personnes morales inscrites au Registre du Commerce et des Sociétés de divulguer l’identité de leurs bénéficiaires effectifs, c’est-à-dire les personnes physiques qui détiennent ou contrôlent ces sociétés.

Ces informations sont recensées dans le Registre des Bénéficiaires Effectifs, accessible au public depuis le début de l’année 2021. En application d’une directive du 30 mai 2018 et d’un règlement d’exécution de la Commission européenne du 1er mai 2021, les États membres sont tenus d’interconnecter leurs registres centraux nationaux de bénéficiaires effectifs.

À la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les efforts des autorités françaises pour traquer les avoirs des oligarques et proches du régime russe ont mis sur le devant de la scène les limites de la politique de la France en matière de transparence de la propriété effective : malgré tous ses efforts et la volonté politique affichée par le président de la République et son Ministre de l’économie et des finances, la France n’est toujours pas en mesure de dresser une liste exhaustive des biens détenus en France par les oligarques et proches du régime russe.

Parmi les obstacles auxquels sont confrontées les autorités françaises, à l’instar de leurs voisins européens, en matière d’identification des avoirs des oligarques russes, figure l’empilement de sociétés écrans ou de trusts empêchant l’identification des propriétaires réels, également appelés « bénéficiaires effectifs », de ces avoirs.

La Commission européenne a proposé au printemps dernier, dans le cadre de son « paquet anti-blanchiment », une sixième directive de lutte anti-blanchiment qui comporte de nombreuses dispositions relatives à la transparence de la propriété effective. Ces dispositions ont pour ambition de corriger les failles du cadre juridique existant. Si le texte proposé par la Commission européenne contient plusieurs améliorations, telles que l’élargissement de l’obligation de déclaration de leurs bénéficiaires effectifs aux sociétés étrangères opérant dans l’Union européenne, certains angles morts demeurent. Ainsi, le texte ne prévoit aucunement de modifier le seuil d’identification de la propriété effective fixé automatiquement à 25% du capital social ou des droits de vote, ceci quelle que soit la vulnérabilité du secteur d’activité aux risques de blanchiment ou de financement de terrorisme.

Pour faire le point sur les 5 ans d’existence du registre, sur les avancées en matière de lutte anti-blanchiment permises grâce à la création de ce registre, sur les défis de la vérification de l’exactitude et de la véracité des informations divulguées par les sociétés, sur les obligations déclaratives qui pèsent sur les intermédiaires en cas de soupçon ainsi que sur les améliorations nécessaires et les réformes à mener au niveau européen et français, Transparence International France organise le mercredi 28 septembre 2022, de 9h à 12h30, une conférence sur la transparence de la propriété effective au cours de laquelle interviendront des décideurs publics, des représentants d’organismes internationaux, des enquêteurs, des praticiens, des chercheurs, des journalistes et représentants de la société civile.

Cette conférence se tiendra dans l’amphithéâtre Germaine et Eugène Hénaff de la Bourse du travail située au 85, rue Charlot (Paris 3ème).

Le programme est à consulter ici et l’inscription se fait via ce lien.

Sara Brimbeuf, Responsable du Plaidoyer Grande Corruption et Flux Financiers Illicites à Transparency International France


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