Entretien avec Stéphanie Fougou, nouvelle directrice juridique et membre du Group Management Commitee de la société Vallourec.
Exercer la fonction de Directeur juridique et de juriste d’entreprise prend une dimension différente lorsqu’il s’agit d’un grand groupe industriel aux activités internationales. Les enjeux juridiques, les défis techniques, le caractère opérationnel du métier... Nous avons rencontré Stéphanie Fougou, nouvelle Directrice juridique et membre du Group Management Committee de la société Vallourec, qui répond à nos questions.
L’aspect très international de votre CV interpelle...
C’est en effet le fil conducteur de ma carrière, puisque je n’ai travaillé que dans des groupes extrêmement implantés à l’international. C’est plus vrai que jamais chez Vallourec, où cet aspect est intrinsèque à nos activités. Nous sommes multi-pays, avec une organisation opérationnelle principalement implantée à l’étranger, notamment par régions. La Direction juridique a notamment des antennes aux Etats-Unis, et au Brésil, et adresse aussi toutes les régions et notamment l’Asie et le Moyen-Orient depuis son siège français. L’international s’exprime au quotidien au travers de nos implantations, nos partenaires, nos négociations. C’est pourquoi mon parcours est important pour comprendre la place que j’occupe aujourd’hui.
"Une spécificité de notre métier dans l’industrie réside dans une forte activité de négociation de contrats internationaux et de joint venture dans de nombreux pays".
En tant que femme occupant un poste central dans le groupe, comment voyez-vous la place de la femme au sein de l’entreprise, et plus généralement à ce type de postes ?
Le secteur de l’industrie sidérurgique et métallurgique n’est pas un environnement historiquement très féminin. Les femmes, chez Vallourec, représentent 11 % de l’effectif permanent total. Peu présentes au sein de la catégorie des ouvriers, elles se concentrent essentiellement sur les postes administratifs et commerciaux ainsi que dans les métiers fonctionnels. La représentation des femmes chez Vallourec, même si elle progresse, reste donc encore modeste. Néanmoins, le Groupe a poursuivi son programme destiné à renforcer sa présence dans les métiers opérationnels et à encourager leur accession aux fonctions d’encadrement supérieur. Cela se vérifie plutôt bien : la Présidente de notre conseil de surveillance est une femme, et j’ai personnellement été nommée au comité de Direction générale dès mon arrivée en février. Bien entendu, cela dépend des pays, mais en France, on assiste à une évolution très féminisante de la Direction juridique, et l’accession croissante des femmes aux postes de management. La diversité est, selon moi, un facteur de progrès.
"Le rôle du Directeur juridique est de questionner les managers afin d‘éclaircir leurs besoins, de comprendre l’environnement business afin de les éclairer sur les risques et les leur rendre appréhendables, de proposer des solutions créatrices de valeur ajoutée et ainsi de participer à la stratégie de l’entreprise. Il doit se positionner, proposer, être courageux et plein de bon sens".
Quelles sont les singularités de votre métier au sein d’une entreprise aux activités si spécifiques ?
Nous avons une activité contractuelle très forte, avec beaucoup de négociations internationales, dans un contexte multi-juridictionnel. Les clauses de responsabilité sont un élément majeur.
L’agilité des juristes dans les structurations juridiques de sociétés locales ou de joint venture de part le monde est un vrai enjeu dans un environnement où les revirements et les aléas de toutes sortes existent. En ce qui concerne les litiges, ils se règlent majoritairement par la médiation et/ou l’arbitrage. Les clauses d’arbitrage font l’objet de discussions importantes. Nous faisons souvent référence aux règles de la CCI et veillons au lieu, à la langue ainsi qu’au droit applicable de l’arbitrage.
Quelles sont les compétences que vous jugez essentielles chez les juristes d’entreprise qui composent votre équipe ?
Un juriste d’entreprise doit être un vrai business partner Au-delà de sa technique juridique, son rôle est de questionner, comprendre les enjeux business, éclairer ses interlocuteurs, s’engager sur ce qui lui paraît le plus opportun au vu des objectifs de l’entreprise. Il doit être courageux et animé de bon sens. Aujourd’hui, nous n’avons ni le temps ni l’opportunité d’avoir des juristes simples rédacteurs d’actes ou gendarmes de la bonne conformité des actes au droit. Le juriste est certes confronté à des problématiques juridiques de plus en plus complexes (le tout dans un environnement aux droits différents selon les pays adressés mais pour autant cela lui donne l’opportunité d’être de plus en plus associé à des enjeux stratégiques et complexes pour
l’entreprise. Le juriste doit oser donner son avis, doit s’engager. Il n’y a rien de moins intéressant pour la profession qu’un juriste qui énumère les solutions sans proposer de recommandations.
De facto, le juriste participe au processus de décision et doit s’en féliciter.
Comment se traduit, au sein de votre groupe, l’implication en matière de responsabilités sociétales et environnementales ?
Dans les entreprises, cette notion globale est parfois éparse et regroupe de nombreux sujets.
Les dirigeants de la société Vallourec prêtent une attention particulière à la bonne gouvernance de l’entreprise, reflet d’une entreprise professionnelle. Plus généralement, Vallourec est engagé dans des actions sociétales et de développement durable et veille à ses outils et formations en éthique et compliance.
Quel est votre avis sur la confidentialité des avis des juristes d’entreprise, en comparaison avec le legal privilege dont disposent aujourd’hui les avocats ?
En tant qu’administratrice et vice-présidente de l’AFJE, je soutiens très fermement la reconnaissance d’un legal privilege pour les Directions juridiques. La confidentialité des échanges est un sujet fondamental pour les juristes d’entreprise en France et un droit naturel qui doit permettre aux juristes de dialoguer sereinement avec les dirigeants de l’entreprise.
Par ailleurs, l’absence de confidentialité pour les juristes français alors que les entreprises embauchent des juristes de nationalités différentes qui en bénéficient, a des impacts sur la compétitivité des juristes français. C'est le rôle de l’AFJE, et elle le fait depuis de nombreuses années, d’intervenir dans ce débat et de porter ces positions pour la défense de la profession.
Propos recueillis par Emmanuel Bonzé
Bio express
Diplômé d’un DEA de droit communautaire, d’un DESS audiovisuel, et de l’Ecole du Barreau de Paris, Stéphanie Fougou a entamé sa carrière chez TF1, puis en société de production audiovisuelle, principalement en charge de la partie business du droit, montage de co-production, recherche de financements et contrats. Début 2000, elle rejoint Wanadoo, où elle travaille notamment sur le droit de la concurrence et le droit des nouvelles technologies, puis France Télécom à compter de 2005, où elle sera en charge de la direction juridique France puis des nouvelles activités et partenariats stratégiques pour finir Directrice juridique adjointe en charge de l’activité internationale du groupe. En 2011, elle devient Secrétaire générale et Directrice juridique du groupe Club Méditerranée ainsi que Secrétaire du conseil d’administration. Depuis février 2014, elle a pris la tête de la Direction juridique du groupe Vallourec, et est également membre du comité de Direction générale(GMC).
Vallourec en bref
Vallourec est un groupe industriel coté en Bourse spécialisé dans les solutions tubulaires premium. L’entreprise conçoit et vend des tubes et connexions premiums pour l’exploration et l’exploitation des gisements pétroliers et gaziers ainsi que la construction de centrales nucléaires. Elle apporte aussi son expertise au secteur de l’industrie (mécanique, automobile, construction de génie civile...).
A propos
Cet article provient du numéro 20 de Juriste Entreprise Magazine (JEM), magazine de l'Association Française des Juristes d'Entreprise (AFJE) dont le dossier spécial s'intéresse au juriste d'entreprise comme acteur clé du respect des droits de l'homme.
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