Kami Haeri, Associé, et Valérie Munoz-Pons, Avocat senior, tous deux exerçant chez August & Debouzy Avocats, commentent l'arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 3 avril 2013 (Cass. Crim. 3 avril. 2013, F-P+B, n°12-88.428) relative à la procédure pénale en matière de perquisitions.
Dans cette affaire, la Cour de cassation avait à juger d’une perquisition menée chez un particulier par cinq policiers munis d’une commission rogatoire dans le cadre d’une instruction ouverte pour fraude fiscale et blanchiment. Dès l’arrivée des policiers à son domicile, la personne perquisitionnée s’était vue remettre une convocation à comparaître devant un juge d’instruction pour y être mise en examen quelques jours plus tard, si bien que son futur statut de mis en cause ne faisait plus aucun doute. La perquisition avait duré seize heures sans que l’accusé ne soit assisté d’un avocat.
L’accusé avait soulevé devant la Chambre de l’instruction de Riom une requête aux fins d’annulation de certaines pièces du dossier, motif pris notamment de ce qu’il aurait dû être placé en garde à vue dès le début de la perquisition pour pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat puisqu’il se trouvait dans une position de contrainte, étant tenu à la disposition des enquêteurs et qu’il avait, en raison de la convocation qui lui avait été remise au début de la mesure, le statut équivalent à celui "d’accusé" au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) qui prévoit pour tout accusé le droit d’être assisté par le défenseur de son choix. La Chambre de l’instruction de Riom avait estimé que la contrainte n’était pas avérée et que la présence de l’accusé durant la perquisition était, au contraire, "une garantie de ses droits".
Dans son arrêt rendu le 3 avril 2013, la Cour de cassation confirme cette décision, estimant que la Chambre de l’instruction de Riom n’a pas méconnu le sens et la portée de l’article 6§3 de la CEDH, car ce texte n’exige pas que la personne officiellement suspectée d’avoir commis une infraction soit assistée d’un avocat lorsqu’elle est présente à des actes au cours desquels "elle n’est ni privée de liberté ni entendue sur les faits qui lui sont reprochés".
En réalité, se posait dans cette affaire la question de la présence de l’avocat lors des perquisitions et la Cour de cassation vient ici rappeler sa position ancienne, refusant à l’avocat d’être présent pendant la perquisition.
Cette décision s’inscrit d’ailleurs dans un débat plus large sur le caractère effectif de l’intervention de l’avocat aux côtés de son client mis en cause, dans les phases préliminaires de l’enquête. A cet égard, la Cour européenne des droits de l’Homme rappelle régulièrement que l’assistance d’un avocat est destinée à compenser la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouve le mis en cause et souligne l’importance de l’enquête pour la préparation du procès dans la mesure où les preuves obtenues durant cette phase déterminent le cadre dans lequel l’infraction imputée sera examinée. La Cour européenne précise que l’accusé doit pouvoir bénéficier de "toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil" et notamment l’organisation de la défense, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse mais aussi la recherche de preuves favorables à l’accusé (CEDH, 2 mars 2010, Adamkiewicz c/ Pologne).
Par ailleurs, aux termes de quatre arrêts du 15 avril 2011, célèbres pour avoir imposé la présence de l’avocat en garde à vue, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation avait précisé que "les États adhérents à [la Convention européenne des droits de l’Homme] sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme, sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation".
Pourtant, une fois encore, les juridictions françaises résistent ou, pire, se contredisent. Après avoir estimé que l’absence de communication de l’ensemble des pièces du dossier à l’avocat assistant une personne gardée à vue n’est pas de nature à priver la personne d’un droit effectif et concret au procès équitable (Cass. Crim. 19 sept. 2012, n°11-88.111, FS P+B), la Cour juge dans ce nouvel arrêt que l’assistance de l’avocat au cours d’une perquisition n’est pas nécessaire. La position de la Cour de cassation est exposée sans détour dans l’arrêt du 3 avril 2013. Elle souligne ainsi la différence qui existe, selon elle, entre une audition et une perquisition et qui justifie que l’avocat n’ait pas à être présent durant les perquisitions effectuées chez son client. Ainsi, écrit-elle, "dans une audition, on sollicite des déclarations par lesquelles la personne entendue peut éventuellement s’auto incriminer", alors que, "lors d’une perquisition, la personne chez qui elle a lieu à un rôle passif de témoin des recherches et saisies réalisées", ajoutant que les données recueillies et objets saisis feront l’objet d’un débat contradictoire dans le cadre de l’instruction. Pourtant, la Cour n’hésite pas, dans le même temps, à rappeler qu’ont été saisis, durant cette perquisition, des échanges entre la personne mise en cause et ses avocats, "ce qui constitue une violation manifeste des droits de la défense", preuve que la présence de l’avocat au cours de cette perquisition aurait permis de défendre utilement les droits de l’accusé.
Enfin, rappelons que la position française est en contradiction avec les dispositions du projet de directive 2013/13/UE du 22 mai 2012 relative au droit d'accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et au droit de communiquer après l'arrestation qui prévoit expressément que "le droit à la présence d'un avocat devrait également être accordé chaque fois que la législation nationale autorise ou exige expressément la présence de la personne soupçonnée ou poursuivie à une étape de la procédure ou lors de la collecte de preuves, par exemple lors d'une perquisition". Le projet rappelle justement que "dans ces cas, la présence de l'avocat peut renforcer les droits de la défense sans porter atteinte à la nécessaire protection de la confidentialité de certains actes d'instruction, car la présence de la personne soupçonnée ou poursuivie ôte tout caractère confidentiel aux actes en question". Après avoir fait naître l’espoir de l’harmonisation entre notre droit interne et la jurisprudence de la CEDH, la Cour de Cassation semble revenir en arrière et, visiblement incapable d’anticiper les évolutions inéluctables du droit européen de la procédure pénale, s’enferre dans l’interprétation la plus stricte.
A n’en point douter, après les évolutions qu’a connues la garde à vue en 2010 et 2011, les prochaines réformes de la procédure pénale française viendront de l’Union européenne et notamment de ce projet de directive. Dans cette attente, en cas de perquisition, on ne peut que recommander de demander expressément la présence d’un avocat et, en cas de refus, de formuler des réserves écrites versées au dossier.
Kami Haeri, Associé, Membre du Conseil de l'Ordre / Ancien Secrétaire de la Conférence et Valérie Munoz-Pons, Avocat senior