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E-commerce : quand l'exigence légale devient un atout marketing

Romain Gola, maître de conférences en droit des affaires et du commerce électronique à Télécom Ecole de Management, auteur de "Droit du commerce électronique" chez Gualino (mars 2013), nous explique que le droit n'est pas nécessairement l'ennemi du spécialiste du marketing. Au contraire, il peut améliorer l'efficacité des sites de vente en ligne.

En matière de commerce électronique, l'éloignement géographique entre le vendeur et l'acheteur accroît potentiellement les risques associés à toute transaction. La confiance et la fidélité à l'égard du site web résulteront en grande partie du respect de l'obligation d'identification du professionnel et de la fiabilité des engagements pris par le cybercommerçant. Ces engagements se retrouvent généralement dans les conditions générales de vente (C.G.V) et sont strictement réglementés. Les articles L.121-18 et L.121-19 du code de la consommation imposent au commerçant en ligne une obligation générale d'information portant sur divers points (description des caractères essentiels des biens et services, coordonnées du vendeur, modalités de paiement et de livraison, existence du droit de rétractation...).

Si le commerce électronique en France se porte plutôt bien (45 milliards d'euros de CA en 2012 pour la France, soit 19 % de plus qu'en 2011, source : FEVAD), il révèle des taux de transformation (pourcentage d'acheteurs sur le nombre total de visiteurs sur un site web pendant une période de référence.) relativement faibles. Le taux de transformation des sites marchands B to C en France était seulement de 2,4% au premier trimestre 2012 selon la FEVAD qui base ses calculs sur 40 sites leaders de l'e-commerce hexagonal.

Cette faiblesse du taux de transformation peut s'expliquer par le besoin du consommateur de toucher et voir le produit avant de l'acheter, d'avoir un contact direct avec le commerçant ou de la crainte de transmettre ses données bancaires. Le manque d'ergonomie de certains sites web (complexité, charte graphique peu attrayante, temps de chargement trop long) favorise aussi l'abandon de la transaction. Enfin, la faiblesse du taux de transformation peut aussi résulter du non-respect des droits du consommateur.

 

Inspirer la confiance en étant transparent

Le respect des règles de droit a pour principal avantage de rassurer le consommateur et peut améliorer indirectement le taux de transformation. Aucun professionnel du marketing ne peut aujourd'hui ignorer le cadre juridique devenu complexe et multiforme du commerce électronique. Les stratégies marketing destinées à améliorer l'attractivité et la visibilité des sites à vocation commerciale doivent également se concilier avec de nombreuses règles juridiques. Cela ne signifie pas pour autant que le droit est l'ennemi des services marketing, bien au contraire.

La construction européenne a entraîné de nombreuses modifications des règles françaises encore mal connues. En effet, les textes européens accordent une importance primordiale à la protection du consommateur et ont pour objectif de rassurer ce dernier. Ce mouvement se poursuit avec la directive 2011/83/UE relative aux droits des consommateurs dont la transposition dans les Etats-Membres est prévue au plus tard le 13 décembre 2013.

Si l'on se fie à la dernière enquête de l'association Que choisir dont les résultats ont été publiés en mars 2013, le taux de satisfaction des lecteurs « Que choisir » sur les sites marchands est en légère baisse (-2.6% par rapport à 2010). Cette enquête reposait sur 7775 avis et sur 17 cybermarchands. Les reproches les plus souvent invoqués concernent la protection des données personnelles et la sécurité des paiements, le droit de rétractation, les délais de livraison et les coûts cachés. L'enquête révèle aussi les difficultés que peuvent rencontrer les consommateurs pour identifier et contacter les cybermarchands.

Les difficultés d'identification du commerçant en ligne sont exacerbées par l'apparition des places de marché ou market places. Ainsi, Amazon ou Cdiscount, par exemple, offrent la possibilité aux commerçants qui le souhaitent de vendre par l'intermédiaire de leur plateforme ce qui a pour effet de créer une confusion entre l'hébergeur et le commerçant hébergé et peut être problématique pour l'exercice des droits du consommateur (S.A.V., droit de rétractation..). On estime que 29% des petits marchands seraient ainsi présents sur des places de marchés (source Oxatis.com).

 

Informer sur la sécurité des paiements et données personnelles

Informer les personnes concernées de leurs droits et garanties en matière de données personnelles est une exigence légale (art. 32 loi 6 janvier 1978). La mise en avant de ces garanties sur son site marchand ainsi que tout au long du parcours client rassurent l'utilisateur et facilitent le passage à l'acte d'achat. Ces garanties contribuent également à renforcer son image et son e-réputation. Notons aussi que beaucoup de sites ne respectent pas le principe de l'opt in qui soumet la collecte des données personnelles et l'envoi de prospections commerciales au consentement clair et préalable de l'internaute. La « dissimulation » d'accords pour la réception de newsletters ou encore l'insertion de la politique de protection des données dans les CGV par exemple, ne répondent pas aux exigences légales. La législation sur les données personnelles étant fort complexe, il sera judicieux de procéder à un audit juridique de la gestion de ces données par un professionnel ayant obtenu le label CNIL pour sa procédure d'audit comme par exemple le cabinet d'avocats Gérard Haas (www.haas-avocats.com.).

En matière de sécurité de paiement, il est important de rappeler les dispositions protectrices du code monétaire et financier (art. L.133-24) qui donnent au titulaire de la carte bancaire 13 mois à compter du débit pour contester un achat litigieux et se faire rembourser. L'achat en ligne ne constitue pas un espace particulier de risque pour le particulier. L'usurpation d'identité se fait dans le monde physique. Elle concerne donc potentiellement tous les possesseurs de carte bancaire, acheteurs en ligne ou non.

 

Faciliter le droit de rétractation

La majorité des sites marchands rappelle, conformément à la loi, l'existence d'un droit de rétraction plus connu sous l'appellation marketing « satisfait ou remboursé » et la possibilité de retourner le produit dans les 7 jours suivant la livraison. La procédure est plus ou moins complexe selon les sites web. Certains sites multiplient les obstacles (difficulté de trouver une adresse de retour...). Il est peu judicieux de compliquer l'exercice de ce droit, les clients privilégiant les sites qui facilitent leur démarche. De nombreux sites proposent des délais de rétractation à 30 jours voire 100 jours comme Zarenza. D'autres prennent également en charge les frais de retour, ce qui va au-delà des exigences légales du droit de rétractation mais qui constitue, par contre, un formidable argument marketing. Enfin, la directive 2011/83/UE relative aux droits des consommateurs dont la transposition dans les Etats-membres est prévue au plus tard en 2014 prévoit de modifier le délai légal de 7 à 14 jours.

 

Les pratiques à éviter : coûts cachés, délais de livraison non respectés et faux avis de consommateurs

L'article 19 al. 2 de la LCEN précise que le cybermarchand dès lors qu'il mentionne un prix, doit « indiquer celui-ci de manière claire et non ambiguë et notamment si les taxes et les frais de livraison sont inclus. » Il est surprenant de voir parfois perdurer la pratique des coûts cachés. (garanties ou assurances supplémentaires ajoutées d'office...).Cette « vente forcée » est peu appréciée des consommateurs et pourrait s'apparenter à une pratique commerciale déloyale au titre de l'article L.120-1 du code de la consommation.

En matière de livraison, certains sites indiquent seulement une date d'expédition des marchandises commandées, considérant ne pas pouvoir s'engager sur le laps de temps dont aura besoin le prestataire chargé d'effectuer la livraison pour mener les produits à destination. Cependant l'obligation légale "est bien d'indiquer la date limite de livraison et non celle d'expédition des produits" (article L.121-20-3 al.. 1du code de la consommation). La livraison est une des étapes les plus importantes de la transaction, c'est le dernier contact avec le client qui va lui donner envie de revenir. Enfin, si les frais de livraison sont inclus dans le prix, cela devra être évidemment spécifié (ex : frais de transport gratuits).

 

Les faux avis de consommateur

Conscients qu'ils peuvent être déterminants pour décider l'internaute à passer à l'achat ou l'en dissuader, des sociétés de commerce en ligne n'hésitent plus à rédiger des commentaires falsifiés. Cette pratique peut être qualifiée de pratique commerciale trompeuse, lourdement sanctionnée par le Code de la Consommation. Malgré cela, cette pratique perdure et il est difficile en pratique de déceler un faux avis de consommateur.

Pour lutter contre ce phénomène, l'AFNOR, (Association Française de Normalisation) a souhaité établir une norme pour "fiabiliser les méthodes de collecte et d'affichage des avis de consommateurs en ligne". La norme pourra ensuite être librement adoptée par tout site proposant des avis à certaines conditions : la vérification de l'identité numérique de l'émetteur, la possibilité de contacter l'auteur d'un avis, de consulter l'historique de ses commentaires. En revanche, aucune exigence de fourniture de preuve d'achat n'est prévue dans la version actuelle de la norme ce qui aurait pu donner une plus grande crédibilité à l'avis. Le dispositif devrait être disponible au cours de cette année.

 

Utilité des « Labels » et certificats de confiance

Pour améliorer le taux de transformation, le recours à des "labels" ou des certificats de confiance comme Trustedshops, Fianet peut rassurer l'internaute et l'inciter à acheter. L'adhésion à la FEVAD est aussi recommandée et permet de faire connaître son engagement en faveur de l'éthique professionnelle. Si l'efficacité de ces labels de confiance est peu contestable, ils ne sont pas obligatoires. Pour conserver une bonne e-réputation, il faut veiller au respect des droits des consommateurs. De même, il faut aussi avoir à l'esprit que le consommateur est de plus en plus informé de ses droits, de l'offre proposée (comparateur de prix..) et voit son pouvoir renforcé par le développement du web 2.0 à travers les blogs et les réseaux sociaux. Il est urgent de rapprocher le droit et le marketing dont les objectifs sont loin d'être inconciliables, contrairement à une idée longtemps répandue. On notera ainsi que le site marchand Zalando qui a été soumis notamment à un audit juridique par la société Trustedshops a reçu le prix du service client de l'année 2013. Le respect des règles juridiques donne confiance au consommateur et constitue un argument marketing susceptible d'améliorer le taux de transformation des sites web à vocation commerciale et permet de fidéliser un client.

 

Romain Gola, maître de conférences en droit des affaires et du commerce électronique à Télécom Ecole de Management

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