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Affaire Tapie – Adidas : décryptage de la récente décision de la Cour d’appel

Sophie Henry et Denis MouralisSophie Henry, Déléguée générale du Centre de médiation et d’arbitrage de Paris (CMAP) et Denis Mouralis, Professeur de droit à l’Université d’Avignon, conseiller du Centre de médiation et d’arbitrage de Paris (CMAP) reviennent sur la récente décision rendue par la Cour d'appel de Paris concernant l'affaire Tapie - Adidas.

1. La décision d’appel de février

Le 17 février 2015, la Cour d’appel de Paris a admis le recours en révision, intenté par le Consortium de réalisation (CDR), contre la sentence arbitrale qui avait accordé 405 millions d’euros de dommages et intérêts à Bernard Tapie, dans le litige qui l’opposait, depuis les années 1990, au groupe Crédit lyonnais en raison de la fraude commise à l’occasion de cette procédure.
Cette sentence équivaut à un jugement, les parties ayant choisi de mettre fin aux procédures qui les opposaient devant la justice étatique en lui préférant l’arbitrage, forme de justice privée fréquemment utilisée dans le monde des affaires. En rétractant la sentence, la Cour d’appel l’a anéantie, ce qui suppose la restitution des sommes perçues en 2008 par Bernard Tapie, comme le souligne très justement le professeur Thomas Clay, spécialiste reconnu du droit de l’arbitrage.

2. L’attente d’une décision au fond avant fin 2015 :

La Cour d’appel de Paris doit maintenant trancher au fond les litiges opposant Bernard Tapie au CDR car l’existence d’une fraude ne signifie pas nécessairement que Bernard Tapie n’a droit à rien, mais seulement que la sentence n’a pas pu lui accorder des dommages intérêts au terme d’une procédure équitable. Cette décision au fond interviendra sans doute à la fin de l’année.

3. Les conséquences du pourvoi en cassation :

Entre-temps, Bernard Tapie a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt du 17 février 2015.
Si ce pourvoi devait aboutir à la cassation de l’arrêt, cela remettrait en cause la rétractation de la sentence et, du même coup, la décision au fond de la Cour d’appel : la sentence serait ressuscitée.
Dans l’attente, le pourvoi en cassation n’étant pas suspensif, le CDR peut procéder à l’exécution forcée de l’arrêt de février, en réclamant la restitution des fonds. Bernard Tapie pourra alors toujours saisir le juge de l’exécution en essayant de faire valoir que l’arrêt n’ordonne pas expressément la restitution et que celle-ci ne sera possible qu’une fois l’affaire tranchée au fond, dans l’hypothèse où la Cour d’appel lui accorderait moins que la sentence : il faudrait alors qu’il restitue la différence.
Mais le CDR peut aussi demander la radiation du pourvoi en cassation à défaut d’exécution.

4. Les leçons à tirer de cet arrêt :

L’arrêt du 17 février dernier démontre que l’arbitrage n’est pas un espace de non droit et qu’il existe un contrôle judiciaire effectif des sentences. Cela étant, cette affaire n’est pas représentative de l’arbitrage, qui, dans la plupart des cas, se déroule sans incident, dans le respect de tous les principes du procès équitable : contradiction, égalité des parties, indépendance et impartialité des arbitres.
La décision rendue souligne aussi que la désignation des arbitres constitue un point important et délicat de la procédure d’arbitrage. Il s’agit de s’assurer en amont de leur impartialité et de leur absence de conflit d'intérêts (conflit d’intérêts qui a précisément été reproché à l'un des arbitres de l'affaire Tapie). Rappelons que les entreprises peuvent, à cet égard, se faire assister par un Centre : soit pour la seule nomination du ou des arbitres (cf. le nouveau règlement du CMAP d'autorité de nomination dans les arbitrages ad hoc), soit pour l’administration de la totalité de la procédure (de la désignation des arbitres à la communication de la sentence). C'est pourquoi, s'appuyer sur un centre d'arbitrage reconnu et disposant d'un règlement clair, peut s'avérer d'une aide précieuse, voire capitale pour les entreprises. Au CMAP, les arbitres sont proposés aux parties au regard de leur expérience et de leur connaissance du secteur d’activité dans lequel survient le litige. Les tribunaux arbitraux peuvent ainsi être composés de profils complémentaires - experts techniques, dirigeants d’entreprise, praticiens du droit, professeurs d’université … - ce qui rassure les parties sur la parfaite maitrise du contentieux par les arbitres. L’adage « Tant vaut l’arbitre, tant vaut l’arbitrage » synthétise parfaitement l’esprit de l’arbitrage : le succès de la procédure dépendra du choix d’arbitres compétents et indépendants.

5. Les risques de la sur-médiatisation de l’affaire Tapie sur l’image de l’arbitrage :

La sur-médiatisation de l'arbitrage Tapie et de son recours en annulation ainsi que les sommes en jeu très conséquentes pourraient laisser à penser que seules les très grandes entreprises internationales peuvent recourir à l’arbitrage. Pourtant, il s'avère que ce mode alternatif de résolution des conflits est adapté non seulement à des conflits nationaux, mais également à des conflits entre entreprises de taille moyenne : nulle nécessité, en effet, de faire partie des seules entreprises du CAC 40 pour y avoir recours. Pour exemple, au CMAP, 30 % des arbitrages concernent des conflits dont les enjeux sont inférieurs à 1 million d'euros, et 15 % des conflits dont les enjeux sont supérieurs à 10 millions d'euros. Quelle que soit la taille des entreprises, l'arbitrage présente, en effet, l'avantage incontestable de la rapidité : le délai dans lequel la sentence doit être rendue est fixé par les parties et, à défaut, par le Règlement règlement d'arbitrage auquel elles se réfèrent. Par ailleurs, l’arbitrage permet aussi aux parties d’anticiper le coût de la procédure et d’éviter bien des mauvaises surprises. Si l’arbitrage a la réputation d’être une justice coûteuse, la mise à disposition de juges de qualité a un prix. Mais celui-ci varie ici en fonction de l’enjeu du litige et est connu en amont de la procédure : passer par l'intermédiaire d'un centre permet de se référer à une grille de barèmes établie.

Sophie Henry, Déléguée générale du Centre de médiation et d’arbitrage de Paris (CMAP) et Denis Mouralis, Professeur de droit à l’Université d’Avignon, conseiller du Centre de médiation et d’arbitrage de Paris (CMAP) 

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