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Le tribunal de grande instance de Paris se déclare compétent pour juger Facebook

emmanuelle-faivreEmmanuelle Faivre commente l'ordonnance du juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Paris rendue le 5 mars 2015, par laquelle celui-ci se déclare compétent pour juger Facebook dans "l'affaire de l’origine du monde" de Gustave Courbet.

En écartant la clause attributive de compétence stipulée exclusivement au profit des juridictions de l’Etat de Californie présente dans la Déclaration des droits et responsabilités à laquelle tout utilisateur de Facebook doit adhérer et en reconnaissant sa compétence, la position prise par le Tribunal de grande instance de Paris dans une Ordonnance du 5 mars 2015 ouvre la voie de la justice française aux justiciables consommateurs dans leurs litiges avec Facebook.

Cette décision fait suite à la fermeture sans crier gare du compte Facebook d’un usager français par le réseau social en février 2011 lorsque l’utilisateur, épris d’art, postait sur son mur la photo d’un tableau comportant un lien permettant de visionner un reportage diffusé sur la chaîne Arte se rapportant à l’œuvre de Gustave Courbet L’origine du monde représentant un sexe féminin. Enseignant, supportant mal l’amalgame ainsi fait entre art et pornographie, perdant sa connexion avec plus de 800 amis la veille de son anniversaire et s’étant senti associé à une personne qui ne serait pas digne de considération ou qui aurait des mœurs ou des pratiques interdites par la loi, l’utilisateur faisaitalors délivrer une assignation devant la juridiction parisienne au géant du net lui réclamant des dommages-intérêts et la réactivation de son compte.

A n’en pas douter, cette censure trouvait son origine dans les "Standards de la Communauté Facebook" qui prévoient notamment, qu’en ce qui concerne la nudité, "Facebook interdit la publication de contenus pornographiques (…)"  et impose "des limites à l’affichage de certaines parties du corps".

A l’audience du 22 janvier 2015, Facebook demandait au Tribunal de se déclarer incompétent se référant à la clause donnant compétence exclusive aux juridictions de Californie que l’utilisateur, en s’inscrivant sur le réseau social, aurait acceptée. Refusant la mise en cause de cette clause, Facebook contestait l’application du Code de la consommation en prétextant que le service offert par le réseau social serait gratuit et que la protection contre les clauses abusives offerte par ce code n’avait donc pas lieu d’être.

La supposée gratuité de Facebook est bien connue de ses utilisateurs qui, dès la page d’inscription au réseau, voient apparaître le slogan "C’est gratuit (et ça le restera toujours)" sur leur écran. Certes, l’adhésion peut s’effectuer sans bourse délier, mais les réseaux ne doivent pas tromper leurs utilisateurs car les données confiées au réseau constituent une contrepartie s’analysant en une rémunération valorisable économiquement pour le fournisseur. Le Tribunal a donc logiquement rejeté cet argument en déclarant que si le service proposé est gratuit pour l’utilisateur, Facebook retire des bénéfices importants de l’exploitation de son activité, via notamment les applications payantes, les ressources publicitaires et autres.

Pour considérer la clause attributive de compétence abusive et en la réputer non écrite, le Tribunal déclare que cette clause oblige le souscripteur, en cas de conflit, à saisir unejuridiction particulièrement lointaine et à engager des frais sans aucune proportion avec l’enjeu économique du contrat et rappelle les difficultés pratiques et le coût d’accès aux juridictions californiennes qui sont de nature à dissuader le consommateur d’exercer toute action et le priver de tout recours à l’encontre de Facebook.

La Cour d’appel de Pau avait déjà, dans un arrêt du 23 mars 2012, rejeté une exception d’incompétence soulevée par Facebook assignée devant la juridiction de proximité de Bayonne dans un litige l’opposant à un particulier suite à la fermeture de son compte. Facebook avait opposé à cette demande la même défense consistant à soulever l’incompétence de la juridiction française au profit de la juridiction arbitrale et, à défaut, au profit des juridictions de Californie en raison d’une clause de ses conditions générales. La Cour d’appel n’avait pas fait droit à ces demandes et avait considéré la clause abusive en relevant que la lecture des dispositions spécifiques relatives à la clause attributive de compétence était noyée dans de très nombreuses dispositions en anglais dont aucune n’était numérotée, présentées en petits caractères et arrivant au terme d’une lecture complexe de douze pages. La Cour relevait aussi qu’il suffisait d’une simple et unique manipulation lors de l’accès au site (clic) et, non d’une signature électronique, pour que le consentement de l’utilisateur soit considéré comme acquis.

L’Ordonnance du 5 mars 2015 ouvre donc la voie des juridictions françaises à l’utilisateur consommateur de Facebook qui ne sera pas contraint de se tourner vers le juge américain comme Facebook voulait le faire croire.

Une première victoire de David contre Goliath en attendant la décision au fond…

Emmanuelle Faivre, Avocat Counsel chez Reed Smith

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