Confortée par une jurisprudence contestable, l’administration fiscale française a décidé de s’attaquer aux joueurs de poker professionnels dont elle soumet les gains à l’impôt sur le revenu. Pourtant, l’analyse précise des concepts juridiques et fiscaux en présence semble permettre de conclure à une exonération de ces gains.
L’article 92 du Code général des impôts (CGI) a pour objet de soumettre à l’impôt sur le revenu tous les revenus qui ne sont pas visés par d’autres textes. En d’autres termes, il s’agit de ce qu’il est couramment appelé un article "balais". Cependant certains types de revenus sont explicitement exonérés d’impôt par la doctrine administrative. Il s’agit notamment des gains issus des jeux de hasard (1).
La question actuellement en suspens est de savoir si le poker est un jeu de hasard dont les gains sont exonérés d’impôt sur le revenu, ou bien si au contraire, n’étant pas un jeu de hasard, les gains issus de sa pratique régulière sont imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC).
Le poker n’est pas un jeu de "pur hasard"
Dans une décision du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand, très critiquée par les praticiens et la doctrine, le juge de l’impôt a tranché pour une imposition des gains réalisés par les professionnels du poker (2).
La raison est que, selon le rapporteur public dans cette affaire, un jeu de hasard ne laisserait au joueur aucune latitude d’intervention, que celle-ci soit physique ou intellectuelle. Seul le hasard commanderait les gains du joueur. Or, en matière de poker, en dehors de la part de hasard indéniable, liée à la distribution des cartes, les qualités intrinsèques du joueur influent également sur l’issue de la partie. Dès lors, le poker ne serait pas un jeu de pur hasard et les gains tirés de sa pratique professionnelle seraient imposables.
C’est ainsi qu’est née la distinction entre jeu de hasard et jeu de pur hasard. La référence à la notion de "pur hasard" était en effet inconnue du droit fiscal, et notamment de la doctrine administrative, jusqu’à l’intervention du rapporteur public du TA de Clermont-Ferrand. Ce raisonnement a été repris par le gouvernement dans une réponse ministérielle (3) puis par une juridiction d’appel (4).
L’administration fiscale en a tiré les conséquences dans sa doctrine applicable depuis 2012, qui exclut désormais explicitement le poker professionnel du champ d’application de l’exonération (5). En revanche, la situation n’est pas réglée pour la période antérieure à 2012 dans la mesure où la doctrine ne distinguait pas entre jeu de hasard et jeu de pur hasard. Surtout, de nombreux jeux de hasard restent exonérés d’impôt sur le revenu alors qu’ils ne sont pas des jeux de pur hasard.
Le poker est un jeu de hasard
Quelque soit le type de poker pratiqué, la distribution des cartes est aléatoire et celle-ci est d’une importance capitale pour la réalisation de combinaisons gagnantes. Un joueur capable de déterminer ses probabilités de réussite ne reste pas moins tributaire de ces probabilités. Aucun joueur de poker ne peut s’affranchir de l’aléa qui reste l’un des fondements de ce jeu.
Les paris sportifs ou hippiques font appel à la connaissance du parieur ainsi qu’aux probabilités. Il ne s’agit donc pas de jeux de pur hasard, à la différence de la loterie. Pourtant les gains des paris sportifs et hippiques sont bien exonérés d’impôt. Il pourrait être rétorqué que contrairement au joueur de poker, le parieur sportif ou hippique n’a pas d’influence sur le résultat final.
On répondra alors que les joueurs de black jack ne supportent pas non plus d’impôt sur leurs gains, alors qu’ils ont bien une influence sur le résultat de la partie. Le poker et le black jack sont tous deux des jeux de cartes pour lesquels le comportement du joueur a des répercussions sur la partie en termes de maximisation des gains ou de minoration des pertes, mais dont le succès ou l’échec relève finalement de la distribution hasardeuse des cartes. Ils ne sont pas des jeux de pur hasard, mais n’en restent pas moins des jeux de hasard.
La qualification de jeu de hasard du poker est confirmée de nombreux textes juridiques français (6) et par la Cour de cassation qui a récemment classé le poker dans la catégorie "des jeux dans lesquels la chance prédomine sur l’habileté et les combinaisons de l’intelligence".
On notera par ailleurs que Madame la Députée Aurélie Filipetti avait déposé un amendement au projet de loi de finance rectificative pour 2011 qui visait, selon elle, "à fiscaliser les revenus tirés du poker pour les joueurs professionnels", confirmant ainsi qu’en l’absence de modification de la loi, ces gains resteraient exonérés d’impôt. Or, l’amendement en question a été rejeté par le gouvernement. Le rapporteur général de la commission des finances indiquant que "si des ajustements fiscaux étaient nécessaires, ils seraient renvoyés à l’automne 2012".
La doctrine administrative a été modifiée en 2012, prévoyant l’imposition de ces gains sans effet rétroactif. Pourtant l’administration fiscale n’en démord pas et souhaite soumettre à l’impôt les gains du poker pour la période antérieure. On peut par ailleurs s’interroger sur la pertinence de l’exclusion du poker des jeux exonérés d’impôt alors que d’autres jeux de hasard, sans être des jeux de pur hasard, restent exonérés d’impôt. Rien n’est plus dangereux que de pousser un joueur de poker au tapis, et il y a donc fort à parier que le Conseil d’Etat sera tôt au tard saisi de ce sujet.
Cyril Maucour, associé et Mehdi Battikh, avocat collaborateur du cabinet Ravet & Associés
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NOTES
(1) Documentation de base 5 G 116, n° 118
(2) TA Clermont-Ferrand, 21 octobre 2010, n° 09-640, Petit
(3) BOI-BNC-CHAMP-10-30-40-20120912
(4) CAA Versailles, 7e, 22-11-2012, n° 11VE02364
(5) BOI-BNC-CHAMP-10-30-40-20120912
(6) Notamment la loi pénale du 12 juillet 1983 relative aux jeux de hasard et la loi du 12 mai 2010 relative à l’ouverture, à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.