L'état de santé mentale du client et le caractère illogique des demandes de rachat du livret d'épargne souscrit par lui constituent-ils des anomalies apparentes nécessitant l'immixion du banquier dans les affaires de son client ?
Durant l'année 2017, une personne physique a ordonné cinq virements, pour un montant total de 1.950.000 €, depuis le compte bancaire de la société dont il était le gérant et associé unique, vers son compte personnel ouvert dans les livres d'une autre banque. Il a également procédé au rachat du livret retraite qu'il détenait, pour un montant de 320.000 €.
L'année suivante, il a été placé sous sauvegarde de justice. Une information judiciaire a été ouverte du chef d'escroquerie sur personne vulnérable.
Après son décès, sa fille unique ainsi que la société, représentée par son administrateur provisoire, ont assigné les deux banques pour manquement à leur obligation de vigilance et obligations de teneur de compte.
La cour d'appel de Paris n'a pas accédé à leur demande.
Les juges du fond ont énoncé que le devoir de non-immixtion du banquier dans les affaires de son client ne cède, en vertu de son obligation de vigilance, qu'en cas d'anomalie apparente.
Ils ont retenu en l'espèce que le caractère illogique des demandes de rachat du livret d'épargne souscrit par le défunt, au regard des finalités de ce placement, ne constituait pas une anomalie apparente dès lors que le client est libre de disposer de ses actifs et que les demandes de virement faites par l'intéressé des comptes de la société, dont il était l'associé unique et le gérant, vers ses comptes personnels n'appelaient pas, en dépit du montant inhabituel du dernier virement, une vigilance particulière dès lors qu'il en était le bénéficiaire économique.
Après avoir ensuite analysé les certificats médicaux et les témoignages des employés de la banque produits et relevé que le signalement adressé par la banque au ministère public sur l'état de santé du client avait été concomitant de ceux émanant de la famille de ce dernier, les juges ont retenu que, compte tenu de sa nature, faisant alterner des périodes de cohérence et des épisodes "excitatifs", l'affection dont souffrait le client ne permettait pas au banquier, tenu d'un devoir de non-ingérence, et qui avait évité certains paiements, de déterminer si les demandes émanant (...)