Plan de relance économique du barreau de Paris : « Il faut des dispositions locales tout en préservant l’unité nationale de la profession », déclare le bâtonnier Olivier Cousi

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La force du local sur le national figure parmi les nombreux enseignements issus de la période post-Covid-19. Pour faire face à la crise qui s’installe un peu plus chaque jour malgré la reprise de l’activité judiciaire, le barreau de Paris vient de dévoiler son plan de relance économique qui repose sur un budget de 15 millions d’euros issus des réserves de l’Ordre et de la CARPA. Entretien avec le bâtonnier Olivier Cousi.

On ne le rappellera jamais assez : représentant la profession d’avocat à travers son Ordre, un barreau a pour mission de défendre l’intérêt collectif des avocats et des citoyens. Le barreau de Paris, tout comme d’autres barreaux avant lui (voir par exemple « Gestion de crise Covid-19 au sein du Barreau des Hauts-de-Seine : entre réactivité et agilité locales », Le Monde du droit, 30 avril 2020), vient de mettre en place un plan de relance économique pour soutenir tant la profession que les justiciables, qu’il s’agissent de particuliers ou d’entreprises.

Reposant sur un budget de 15 millions d’euros issus des réserves de l’Ordre et de la CARPA, les mesures votées viennent combler la carence étatique, dénoncée de nombreuses fois depuis mars dernier : « L’Etat n’a pas fait grand-chose pour les avocats puisque les prêts n’ont pu être garantis auprès des AARPI (NDLR : les associations d’avocats à responsabilité professionnelle individuelle), structures les plus rependues à Paris. Actuellement ces prêts sont bloqués parce que l’Etat refuse de donner la garantie de la BPI. », déclare le bâtonnier Olivier Cousi. Devant l’inertie du gouvernement pendant la période de la Covid-19, le Barreau de Paris a débloqué 1,5 million d’euros sur la base d’un fonds de solidarité. « Avec ce fonds disponible, nous avons pu répondre aux besoins immédiats des confrères en difficultés », précise-t-il.

Bien conscients que la mesure serait insuffisante, le bâtonnier, la vice-bâtonnière, Nathalie Roret, la Commission des finances et son secrétaire Me Benesty (membre du Conseil de l’Ordre) ont travaillé de concert pour trouver parmi les réserves de la CARPA et de l’Ordre des postes qui pouvaient être utilisés dans cette action « Aide Covid-19 ». Alors on est tenté de savoir pourquoi cette nouvelle source financière n’arrive que maintenant : « La mobilisation a pris du temps. Il a fallu chiffrer et le budget a été voté par le Conseil de l’Ordre mardi dernier », explique le bâtonnier. Entre-temps, le 31 mai, l’accès au fonds de solidarité mis en place par le gouvernement pour les professions libérales a été supprimé et le 30 juin marquera la fin du fonds de déblocage d’avance pour l’aide juridictionnelle.

L’agilité locale au niveau du barreau… « Aujourd’hui nous constatons que l’agilité étatique est très faible et, malheureusement comme l’Etat ne réagit pas, nous sommes contraints d’avoir cette agilité au niveau local et de dresser ce plan d’action », ajoute Me Cousi. Et de poursuivre : « Nous l’avons vu pour la Justice. Les mises en places de plan de continuation dans la juridiction, pendant la période Covid-19, n’étaient pas les mêmes selon la taille du tribunal. Pour avancer, il faut des dispositions locales tout en préservant l’unité nationale de la profession, notamment pour les questions de formation, de réglementation et de déontologie. A Paris, nous avons une place de droit des affaires très importante, une place internationale. Etant très particulière, elle demande que nous nous en occupions de manière particulière. »

Alors comment vont être répartis ces 15 millions ?

Le plan de relance économique s’articule autour de trois axes.

Tout d’abord, une réduction de 15% des cotisations ordinales pour les 30 000 avocats inscrits au barreau a été décidée. « Nous voulions que sur ces 15 millions, 5 soient immédiatement identifiés et opérationnels pour tous les avocats. La réduction apparaîtra dans l’appel de cotisation qui est sur le point d’être envoyé. Il s’agit d’un ajustement immédiat pour l’année 2020 », indique Me Cousi. On rappellera que la cotisation ordinale est calculée en fonction du revenu de l'année précédente et que l’application de la réduction des 15 % est fonction des tranches issues du barème des cotisations 2020. « C’est arithmétique. Nous sommes sur des cotisations moyennes de l’ordre de 1300-1500 euros. La première tranche devrait être exonérée. Ce taux est une première, nous étions par le passé sur une réduction maximum de 10 % », souligne le bâtonnier.

Le plan prévoit, ensuite, le financement de permanences d’accès au droit. Spécialement créée du fait des conséquences économiques liées à la crise sanitaire, cette mesure se distingue de l’action du Barreau de Paris Solidarité (fonds de dotation : https://www.barreausolidarite.org/) qui repose sur le bénévolat. « Il s’agit ici de venir en aide aux personnes physiques ou morales en difficultés. Nous allons mettre en place des partenariats avec des collectivités territoriales, des chambres de commerce et d’industrie, des organismes ou des syndicats d’entreprises. Ces acteurs économiques vont orienter les justiciables vers les avocats du barreau de Paris qui délivreront leurs conseils. Si les avocats seront rémunérés par l’Ordre, la prestation sera, dans un premier temps, gratuite pour les personnes conseillées ». Cette action n’est pas sans rappeler les différents élans de solidarités envers les entreprises qui ont émergé dans certains barreaux pendant le confinement. Ils devraient, à terme, permettre aux avocats de tisser de nouveaux liens d’affaire.

Petite aparté : on soulignera que si le barreau de Paris milite depuis des mois pour le doublement immédiat de l’aide juridictionnelle, le présent plan local n’a pas pour effet de venir abonder des montants qui relèvent d’un système financé au niveau national.

Enfin, comme toute relance économique repose aussi sur des actions inclusives, le plan envisage la mise en place d’aides à la reprise d’activité des cabinets. « Plusieurs centaines de confrères parisiens ont sollicité le soutien au titre de l’aide sociale. Chiffre inquiétant qui démontre qu’il y a un risque de tsunami à venir pour la profession. Autre indicateur : au Conseil de l’Ordre, nous votons des mouvements de structures (installation, cession…). La moyenne des dossiers hebdomadaires est de l’ordre d’une centaine et dans les dernières semaines, elle est tombée à 20-30. La crise devrait se déclencher d’ici fin 2020-début 2021. La mise en œuvre de ces aides est donc pour les mois qui viennent. Nous visons en priorité les jeunes, leur entrée dans la profession. Il s’agit tant des élèves de l’EFB en stage, que ceux en sortie d’école, qui ont de grosses difficultés ou qui risquent d’en avoir. Les actions d’accompagnement sont aussi destinées aux confrères en exercice qui veulent évoluer (transformation, cessation…). Elles permettront l’indemnisation d’une perte de collaboration. Les membres du Barreau travaillent activement sur des propositions concrètes », expose Me Cousi.

A cet effet, un réseau d’informations et de partage est en cours d’élaboration qui permettra l’échange de renseignements, de conseils, d’offres et la mise en relation de spécialistes, etc. « La profession d’avocat doit aller vers une souplesse et une flexibilité avec des cabinets qui seront peut-être des cabinets éphémères. Par exemple le temps d’un dossier, à la demande d’un client important qui souhaite recourir aux conseils d’avocats de différentes entités », projette le bâtonnier.

Ces actions seront, par ailleurs, complétées par des propositions formulées par les avocats parisiens lors d’une grande consultation menée par l’Ordre à la rentrée prochaine via une plateforme collaborative « Nous souhaitons consacrer une partie des 15 millions au financement de projets qui seraient proposés par les avocats », conclut Me Cousi. Cette consultation se veut aussi prospective puisque les avocats seront invités à définir les priorités de la seconde partie de mandat du bâtonnier et la vice-bâtonnière.

La démocratie participative semble de mise tant au niveau étatique que local.

Audrey Tabuteau


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