"L'abécédaire de la Loi Travail" publié chez Fauves Editions propose un décryptage des mesures phare de la Loi travail dite Loi El Khomri et met en exergue les incidences pour les opérations M&A. Le Monde du Droit a rencontré les auteurs Anna-Christina Chaves et Marc Pierre Stehlin, avocats associés chez Stehlin & Associés, qui reviennent sur certains aspects de cette loi.
Au-delà des mouvements sociaux, des « reculades » quels sont les apports de la Loi travail ?
Agrégat de mesures disparates, la Loi Travail offre une image du droit social plus brouillée encore qu’elle ne l’était déjà… Et pourtant, au milieu de ce capharnaüm où l’on retrouve pêle mêle des dispositions afférentes aux visites médicales, au compte personnel d’activité, à la garantie jeunes, aux licenciements économiques, au droit à la déconnexion, au financement de la formation professionnelle et aux experts du CHSCT, on trouve quelques mesures tout à fait pertinentes qui semblent répondre aux attentes des entreprises et adaptées aux exigences de la vie économique…
Ces mesures phare susceptibles de bouleverser la vie des entreprises, et ce notamment à certains moments stratégiques, sont passées totalement inaperçues… Par exemple la disparition des célèbres « avantages individuels acquis » dont la définition suffisamment vague était un véritable levier de négociations pour les organisations syndicales dans la conclusion des accords de substitution au moment des restructurations et/ou des acquisitions… Désormais les salariés ne pourront plus revendiquer que la rémunération des 12 derniers mois. Ne reste plus qu’à définir ce qu’est la « rémunération »…
Autre apport considérable de la loi mystérieusement passé inaperçu : désormais l’accord de groupe prime sur l’accord d’entreprise, ce compris les négociations obligatoires… Cela représente une véritable révolution dans le champ de la négociation collective et semble répondre au besoin d’homogénéité et de cohérence du mode de fonctionnement des groupes…
La nouvelle condition majoritaire renforce les conditions de validité des accords collectifs., Pour être valable, l’accord doit désormais recueillir la signature d’organisations syndicales recueillant non plus 30 mais 50% des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles. Le cas échéant, un syndicat ayant obtenu 30% des voix peut décider de soumettre l’accord à la consultation des salariés par la voie du référendum.
C’est la légitimité des accords d’entreprise qui sort renforcée, il en va de même pour la collectivité des salariés qui se trouve responsabilisée par un nouveau mécanisme remplaçant l’opposition syndicale. C’est au syndicat et non à l’employeur qu’il incombe de demander l’organisation du référendum. Difficile donc de dire à ce stade ce mécanisme s’avérera dans la pratique aussi efficace que l’esprit de la loi le veut.
Quelles sont les adaptations du droit à la nécessaire évolution de l’entreprise et du monde économique ?
S’il est un constat sur lequel tous concordent, c’est celui de l’archaïsme du droit social construit sur l’idée d’un travail en un temps et un lieu uniques.
Ce droit du travail là est devenu inadapté aux nouvelles formes de travail et aux besoins d’adaptabilité et de flexibilité des entreprises en croissance…
Il était temps de passer à la version 2.0 du droit du travail en vue de la préservation et du développement de l’emploi.
Certaines timides avancées de la Loi nous montrent le chemin : du bulletin de paie électronique à la prise en compte de nouvelles formes de travail (type Uber…) dans la réglementation sociale, le droit social semble enfin appréhender une réalité qu’il semblait vouloir ignorer… Reste que certaines avancées risquent d’être contre productives. Je pense notamment au droit à la déconnexion qui risque de poser bien des difficultés appliqué aux groupes internationaux… Comment pourront fonctionner les groupes dont les sièges sont implantés aux États-Unis par exemple, si les salariés en France ne peuvent plus recevoir ni émettre des mails après 20 heures ?
La reconnaissance des nouvelles formes de travail intermédiaires (entre salariat et travail indépendant traditionnel) est peut-être un premier pas vers ce que doit être le statut de l’actif de demain transcendant la distinction actuelle entre salariat et travail indépendant. Ce droit de l’activité professionnelle à articuler avec le compte personnel d’activité vise à déconnecter les droits sociaux du statut de l’emploi en les attachant uniquement à la personne, ce qui pourrait préfigurer le régime de protection sociale de demain…
Quels sont les enjeux du dialogue social pour rendre l’entreprise plus performante ?
Le dialogue social et la nouvelle articulation des normes en triptyque : ordre public, négociation collective et dispositions supplétives (applicables en l’absence d’accord d’entreprise) instituée par le fameux « article 2 » devenu article 8 de la Loi Travail est certainement celui qui a fait couler le plus d’encre et alimenté les slogans des manifestations…
Et pourtant, ce triptyque n’apporte rien de fondamentalement nouveau puisqu’en matière de durée du travail, l’usage de l’accord d’entreprise était déjà bien ancré dans la pratique des entreprises.
L’enjeu du dialogue social est bien celui de la flexibilité. Or, le renforcement des conditions de validité des accords d’entreprise risque d’annihiler l’échelon intermédiaire de ce triptyque. En l’absence d’accord d’entreprise, ce sont en effet les dispositions supplétives légales et conventionnelles qui trouveront à s’appliquer. Reste alors la question du référendum qui, dans une vision idéale du dialogue social, devrait permettre de débloquer les situations de paralysie syndicale au sein des entreprises. Le référendum tel qu’il est mis en place est un premier pas vers une nouvelle vision de la démocratie sociale mais en aucun cas il ne bouleverse le monopole syndical.
Autre pas intéressant qui dénote une avancée sur le terrain du pragmatisme : les PME, c’est-à-dire les entreprises de moins de 50 salariés, pourront soit faire application directe des dispositions de l’accord de branche étendu soit appliquer par voie de décision unilatérale les accords-type prévus par cette même branche (après information des délégués du personnel et des salariés).
Là encore, ceux qui ont crié au scandale de la fin du monopole syndical se rassurent : le premier cas n’est pas une nouveauté. Une telle possibilité était déjà offerte en matière d’aménagement du temps de travail. Par ailleurs, dans les deux cas, tout est laissé à la libre appréciation des négociateurs … au niveau de la branche… Sous couvert d’être une loi qui renverse la hiérarchie des normes en accordant la primauté à l’accord d’entreprise, la Loi Travail renforce en réalité le pouvoir des branches…
Plus d'informations sur "L'abécédaire de la Loi Travail" sur le site de Fauves Editions
Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)
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A propos des auteurs

Anna-Christina Chaves, Avocat, Associée, intervient sur les aspects sociaux des fusions & acquisitions, restructurations, statut du dirigeants, négociation des statuts collectifs.
Avocat au barreau de Paris depuis 2001, Anna-Christina Chaves débute sa carrière au sein du cabinet Landwell & Associés avant de rejoindre le cabinet Stehlin & Associés en 2013 en qualité d’associé
Marc Pierre Stehlin
Marc Pierre Stehlin, Avocat, Associé Fondateur, intervient en matière de fusions & acquisitions, Private Equity, droit boursier, droit des sociétés et restructurations.
Marc Pierre Stehlin est avocat aux barreaux de Paris (1976) et de New York (1979). Il a débuté sa carrière au sein des cabinets Surrey & Morse (absorbé depuis par Jones Day) et Shearman & Sterling à New York. A Paris, il est associé en 1984 chez Klein et Associés puis crée Stehlin & Associés en décembre 1989.