Les limites d'un statut du lanceur d’alerte
On a beaucoup glosé sur l’adoption de textes visant à protéger le lanceur d’alerte, ce débat étant un parfait exemple de la difficulté de protéger l’entreprise et, dans un même temps, favoriser la transparence et donc la liberté d’expression au sein de cette dernière.
Seuls quatre pays en Europe sont considérés comme offrant une protection avancée aux lanceurs d’alerte, le Luxembourg, la Roumanie, la Slovénie et le Royaume-Uni ("L’alerte éthique en Europe" Association Transparency International, 2013).
En France, la loi du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption a créé l’article L1161-1 du code du travail qui protège le salarié qui a dénoncé des faits de corruption, contre toute mesure discriminatoire. Elle sanctionne notamment le licenciement de nullité tout en inversant la charge de la preuve.
D’autres avancées significatives ont été faites en 2013 dans trois domaines.
La première concerne celui qui a connaissance d’un conflit d’intérêts, défini comme "toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés de nature à influencer ou à paraitre influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction" (article 2 de la loi du 11 octobre 2013).
Il peut alors en avertir certaines personnes prévues par une liste limitative où figurent l’employeur, le déontologue de l’organisme, ou une association de lutte contre la corruption agréée (article 25 de la loi du 11 octobre 2013).
Le champ d’action est plus large pour celui qui est informé de crimes ou délit et qui peut acheminer l’alerte pas tous moyens, y compris via la presse (circulaire du 23 janvier 2014).
En cas d’alertes dans les cas et conditions prévues par la loi, l’intéressé ne pourra pas se voir refuser un recrutement, une formation ou se faire licencier ou discriminer sur le seul fait qu’il a été un lanceur d’alerte. Si un litige survient, il appartiendra à l’employeur de prouver que la mesure prise était justifiée par d’autres éléments et ne constituait pas des représailles. A noter que le licenciement n’est donc pas d’emblée considéré comme nul.
Enfin, dans le domaine sanitaire et environnemental, la loi du 16 avril 2013 offre une protection juridique complète de l’employé, et, surtout, une garantie de traitement effectif de l’alerte.
Chaque salarié ou agent public peut rendre public de bonne foi une information s’il estime que sa méconnaissance fait peser un risque grave de santé publique ou sur l’environnement (article L4133-1 du Code du travail).
Il donc a le choix entre alerter la presse immédiatement ou son employeur. Une fois alerté, ce dernier doit statuer dans le délai d’un mois. En cas de divergence ou de silence, l’employé pourra saisir le préfet qui devra alors prendre toutes mesures pour le protéger et transmettre l’alerte aux autorités compétentes.
Le salarié ou l’agent public sera quant à lui protégé d’éventuelles représailles comme dans les cas précédents, outre de surcroît par la nullité du licenciement.
Ainsi, finalement, ces diverses dispositions laissent un grand pouvoir d’appréciation au juge qui est saisi en cas de litige et doit apprécier a posteriori si le salarié entrait ou non dans le champ d’une protection. La jurisprudence est encore rare et ne permet pas d’avoir encore un véritable recul.
A défaut de bénéficier des dispositions relatives aux lanceurs d’alerte, le salarié ne dispose d’aucune immunité.
Par exemple, suite à une polémique sur le remboursement de billets d'une rencontre d’un club de football, a été considéré comme justifié le licenciement de la directrice des relations extérieures soumise à une clause de confidentialité et qui avait divulgué des informations internes au club et publiées dans la presse locale. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a jugé son licenciement justifié pour exécution déloyale du contrat de travail et abus de la liberté d'expression (CA Aix-en-Provence, 31 janv. 2014, n° 12/05747).
Doit-on penser qu’une protection plus large encouragerait les salariés à donner l’alerte ? Rien n’est moins sûr car la perspective d’un conflit ou même d'une méfiance latente peut être tout aussi dissuasive. Il est douteux qu'un salarié puisse garder un avenir au sein d'une structure où il est perçu comme fauteur de troubles - à tort ou à raison - par sa hiérarchie mais aussi, bien souvent, ses collègues.
Quant à la victime d'une "fausse alerte", les sanctions qu’elle peut prendre contre le salarié n’ont guère de vertus curatives.
On en revient donc très vite à la question de la liberté d’expression et à la difficulté de réparer le préjudice causé par les éventuels abus de liberté d’expression.
L’entreprise a-t-elle des recours contre une campagne de dénigrement émanant de ses salariés ou de concurrents ? Comme on l’a vu, la voie est étroite.
Valérie Spiguelaire, Avocat Associé, ADAMAS
A propos de l'auteur
Valérie Spiguelaire, Avocat Associé, ADAMAS
Avocat au barreau de Paris depuis 1989, Valérie Spiguelaire est associée du cabinet ADAMAS depuis 2010.
Elle est spécialisée dans les litiges nationaux et internationaux de droit des affaires dont le droit pénal mais aussi analyse en amont des risques et solutions de prévention de conflits. Elle exerce également dans le domaine des entreprises en difficultés et droit de la construction/immobilier.