Le Monde du Droit a interviewé Mathieu Escande à propos de son ouvrage "Droit des jeux d'argent et de hasard".
Que recouvre le droit des jeux d’argent et de hasard ?
Principalement le droit des jeux recouvre les règles applicables aux contrats de jeux, de paris et de loteries, l’organisation et l’exploitation des casinos, des cercles de jeux, de la collecte sur les paris sportifs et courses hippiques, la répression et les sanctions pénales relatives à l’ensemble de ses activités qu’il s’agisse du secteur traditionnel ou virtuel.
Le droit des jeux d’argent et de hasard englobe beaucoup de branches du Droit. C’est un domaine transversal qui tend à toucher de plus en plus de matières. A son origine, le droit des jeux ne recouvrait que le droit civil et plus particulièrement le droit des contrats (le contrat de jeu et le contrat de pari) et le droit pénal. Cette configuration posait et pose encore aujourd’hui une forme de tolérance en droit civil pour les jeux et paris spontanés et une interdiction générale pour les jeux et paris organisés.
Cette configuration a connu un bouleversement au début du XXe l’État (ou ses prestataires dotés de monopoles) des jeux et paris. C’est ainsi que le droit public fait son entrée dans le droit des jeux par la création d’un mécanisme à double détente qui impose par principe la prohibition des jeux et paris organisés puis un système dérogatoire érigé, jadis, en service public mais aujourd’hui justifié pour la sauvegarde de l’ordre public et dans l’intérêt général.
L’avènement de l’internet a, quant à lui, accéléré le processus de dilution du droit des jeux d’argent et de hasard en intégrant désormais le droit de l’Union européenne, le droit du numérique, le droit de la propriété intellectuelle et le droit de la concurrence.
Aujourd’hui, le droit de la santé publique avec les problèmes liés à l’addiction, le droit bancaire avec les cas de fraudes et blanchiment de capitaux mais aussi le droit du sport avec les paris sportifs sont des domaines qu’il convient également de prendre en considération.
Quels sont les thèmes abordés dans l'ouvrage ?
Cet ouvrage aborde de la façon la plus exhaustive possible tous les thèmes relatifs à l’activité des jeux d’argent et de hasard. Ce livre a été écrit en quatre années de 2008 à 2012 mais mes travaux de recherche sur la matière ont débuté en 2005 à l’Université de Montréal.
L’ouvrage est très complet et couvre un large période historique. Il est présenté dans une première partie le droit romain des jeux (à partir de -500 Av-JC) et s’en suit une étude comparée entre la France et l’Angleterre dès le Moyen-Âge jusqu’à l’époque Moderne.
Une analyse approfondie sur le droit civil des jeux et paris a été réalisée en évoquant les origines, les motifs et les conséquences actuelles des articles 1965, 1966 et 1967 du Code civil notamment en comparant les dispositifs québécois, louisianais, belge, luxembourgeois ou encore mauricien.
Des explications détaillées sur le régime de prohibition français sont fournies de ces origines jusqu’à aujourd’hui en confrontant les dispositions françaises avec les règles espagnoles, italiennes, suisses, autrichiennes ou encore allemandes.
Le rôle de l’État dans l’organisation et l’exploitation des jeux, des paris et des loteries est étudié. Des éclaircissements sont apportés sur la notion d’intérêt général et de service public dans le cadre des monopoles. La fiscalité applicable est également envisagée.
Dans une seconde partie, il est abordé les mutations imposées par la dématérialisation de l’offre et l’intégration du droit européen. siècle avec l’exploitation par
Dans cette partie, le droit américain et ses 50 États sont scrutés ainsi que le droit canadien, australien, espagnol, grec, irlandais, anglais, finlandais, italien, etc…
Le droit du sport, la fraude, la corruption, le blanchiment de capitaux, le jeu pathologique et l’impact des règles de droit sur les joueurs vulnérables, le régime de responsabilité des bookmakers et la loi ARJEL sont aussi largement examinés.
Ces travaux de recherche soulignent également la nécessité de l’élargissement des compétences de l’ARJEL, pourquoi ?
En effet, cet ouvrage met en exergue les faiblesses de la loi ARJEL ainsi que des pouvoirs qui lui sont dévolus. Ces travaux de recherche anticipent les réformes en cours et à venir dans le domaine des jeux notamment par la méthode du droit comparé et l’analyse du contentieux.
Cette étude pointe les clés juridiques et les aspects pratiques du déséquilibre qui existe entre la réglementation hors ligne et en ligne. Ainsi, le besoin de l’élargissement des pouvoirs de l’ARJEL deviennent évidents.
Vous proposez également un rapprochement entre le droit des jeux et le droit du sport, pouvez- vous nous expliquer ?
Le rapprochement entre le droit des jeux et le droit du sport est fortement suggéré dans ce livre. La création d’un Code des jeux et du sport est même proposée au législateur. En effet, toutes les activités sportives sont des jeux d’adresse et appartiennent à la sphère du jeu tout comme les jeux de hasard. La seule distinction entre un joueur de roulette de casino et un joueur de tennis est que l’un laisse le sort décider de l’issue de jeu alors que l’autre est en mesure de contrôler, maîtriser ou gérer l’issue de la partie. Alors même si, à première vue, le rapprochement entre le droit des jeux et le droit du sport peut apparaître comme un postulat ou un axiome, après la lecture des démonstrations qui sont opérées dans le livre un tel rapprochement devient indiscutable.
"Droit des jeux d'argent et de hasard, les mutations de l'ordre public", Matthieu Escande, Éditions l'Harmattan", 547 pages
propos recueillis par Arnaud DUMOURIER