Les conflits et la médiation CNV (communication non-violente)

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Interview de Nathalie Simonnet qui a fondé et dirige l’Institut ÉMERGENCE de formation de médiateurs CNV, après avoir été avocate au barreau de Paris pendant plus de 15 ans. Spécialisée dans les négociations contractuelles internationales, la prévention et la gestion des conflits depuis plus de 20 ans et médiatrice depuis plus de 10 ans, elle se consacre aujourd’hui essentiellement à l’activité de médiation conventionnelle, judiciaire et internationale et à la formation de médiateurs.

Quelle est la vision du conflit dans les activités professionnelles ?

Le conflit porte en général une charge négative. C’est en partie lié à une culture orientée solutions bien ancrée dans le monde des affaires. Si, malgré la recherche de solutions, la situation ne se résout pas, le conflit est vécu comme un échec. Les parties peuvent alors se résigner à des solutions défavorables, ou encore se figer irrémédiablement sur leurs positions, jouer à « qui a tort, qui a raison », pour finalement faire trancher leur question par un juge ou un arbitre.

Mais il peut être intéressant d’aborder les différends autrement.

Pour un médiateur, le conflit est sain.

S’il est envisagé comme un élément de la vie professionnelle et traité par des experts en médiation, qui vont le décrypter, en rechercher les causes profondes, le conflit est un outil de transformation pour l’entreprise.

Il révèle les dysfonctionnements de l’entreprise, lui permet de prendre conscience de ses facteurs limitants, d’avoir de la clarté sur les changements à opérer et même de faire évoluer sa culture face au conflit.

Vous exercez la médiation et formez des médiateurs depuis des années ; est-ce que vous diriez que la médiation commence enfin à trouver sa place dans le règlement des conflits, et pour quelles raisons ?

Oui la médiation s’impose de plus en plus et a vocation à s’étendre encore.

Parmi les raisons, il y a bien sûr l’engorgement des tribunaux, la longueur des procédures, la propension de plus en plus grande des juges à inciter les parties à la médiation et désormais la loi qui instaure l’obligation de rechercher un règlement amiable avant tout procès, sans compter les procédures pour lesquelles la médiation est obligatoire.

Il y a aussi, à l’origine du choix de la médiation, le constat du coût des procédures en termes financiers, d’énergie déployée et, enfin et surtout, du coût moral.

L’insatisfaction des parties à l’issue d’un procès n’est pas sans conséquence sur la vie de l’entreprise. Le jugement exacerbe l’antagonisme entre les parties quelle que soit la décision imposée et génère des frustrations qui persistent directement ou indirectement dans les relations commerciales.

La médiation s’adresse-t-elle aux entreprises ?

Bien sûr ! Dire que la médiation ne s’adresse qu’à des conflits d’ordre privé est une idée reçue. Un médiateur américain a dit un jour : « je ne sais pas vous, mais moi, je n’ai jamais déjeuné avec une entreprise ».

Derrière les fonctions dans les entreprises, il y a des êtres humains.

La plupart des conflits qui s’enlisent, révèlent des difficultés relationnelles, que le différend soit d’ordre technique ou commercial.

Au sein d’une entreprise, ce sont des personnes physiques qui prennent des positions techniques ou des décisions commerciales. Parce qu’elles ne se sentent pas respectées dans leurs valeurs, parce qu’elles ne se sentent pas comprises dans leur intention, elles peuvent rester bloquées sur leur propre stratégie ou sur une perception très subjective d’une situation, et entraîner l’entreprise dans une situation délicate difficile à résoudre.

Pourquoi choisir la médiation en cas de conflit ?

Pour rester maître de la situation et de la solution.

Lorsque les parties confient à un juge ou à un arbitre le soin de trancher un litige, elles sont en quelque sorte « dépossédées » de leur pouvoir de décision quant à la solution.

Si elles recourent à la médiation pour résoudre leur conflit à l’amiable, elles redeviennent acteur responsable de la solution. Elles préservent alors ce qui est l’essence même de la vie des affaires : l’autonomie de la volonté, la loi des parties.

Quelle est la différence entre une négociation et une médiation ?

La différence essentielle est la présence d’un tiers. Dans une médiation, le médiateur mène les échanges dans un cadre protecteur et structuré. Loin des échanges à bâtons rompus, il va clarifier la situation pour chacun, traduire les positions, les rendre audibles, accessibles à l’autre.

En médiation, l’écoute des parties au-delà des rapports de force, de la logique « qui a tort, qui a raison » est la clé de transformation de la relation.

Le médiateur a une grille de lecture de ce qui se joue dans les relations où tout est pris en compte. Il ne se limite pas au seul examen des intérêts économiques mais accompagne les parties à identifier les éléments déclencheurs (souvent d’ordre psychologique) qui les ont amené à se figer sur des positions conflictuelles.

En aidant les parties à sortir de la réactivité, à retrouver de la clarté sur ce qui se joue de chaque côté, le médiateur leur permet de prendre des décisions ajustées à la réalité et durablement conformes aux intérêts des protagonistes et de l’entreprise.

Quelles sont les spécificités de la médiation CNV (communication non-violente) ?

Le médiateur dispose d’une grille de lecture basée sur le processus CNV qui lui permet d’identifier avec clarté les sources de violence intrinsèques aux relations dysfonctionnelles.

Il est particulièrement attentif aux quatre foyers de conflit suivants :

1- Les malentendus

Par nature un être humain est subjectif dans sa vision des choses. Avec le processus CNV le médiateur est formé à repérer les obstacles à la compréhension mutuelle que sont les interprétations, les jugements, les représentations personnelles, qui sont souvent à l’origine de malentendus entre les parties. Il aide les parties à revenir à des observations purement factuelles.

2- Le déni de responsabilité

Avec la CNV, le médiateur distingue l’élément déclencheur de la cause d’un problème et permet à chacun des protagonistes de reprendre la responsabilité de ce qu’il vit dans la relation.

Il sait que les reproches exprimés par une personne renseignent sur ses propres besoins. Selon Marshall Rosenberg fondateur de la CNV « les jugements sont l’expression « tragique » de besoins insatisfaits ». Il permet aux parties de reconnaître leurs besoins respectifs et de prendre la responsabilité de faire des demandes claires pour satisfaire ce qui essentiel pour eux.

3- Le rapport de force

Lorsque chacune des parties reste bloquée sur sa position et ne démord pas de ce qu’elle souhaite obtenir, la situation est enlisée « deal breaker » contre « deal breaker ». Le rapport de force se cristallise parce que les parties confondent les besoins et les moyens de les satisfaire.

Avec la CNV, le médiateur a une approche spécifique des besoins : il s’agit des enjeux prioritaires et essentiels de l’entreprise et pas seulement des intérêts de celle-ci.

Toute entreprise a des besoins fondamentaux comme la sécurité économique, la pérennité, l’identité, la réputation, l’image, l’efficacité, l’éthique, l’intégrité, l’autonomie, la liberté, la protection, la préservation de ses ressources, la reconnaissance de son professionnalisme et de ses compétences, la sécurité dans les relations professionnelles, le respect des engagements, la confiance….

Ces enjeux peuvent être compris de part et d’autre car ils sont partagés de manière universelle.

À l’inverse, les manières d’y répondre (« stratégies ») sont infinies et propres à chacun.

Le médiateur aide les parties à sortir du rapport de force en identifiant derrière les situations figées, les enjeux en présence. Il va accompagner les parties vers la reconnaissance mutuelle de leurs besoins respectifs. Cette étape, que les médiateurs dénomment le « point de bascule », permet aux parties de retrouver du respect mutuel et leur pleine autonomie.

Elles retrouvent leurs propres ressources en termes de créativité pour co-construire des accords. Il ne s’agit ni de se résigner, ni de faire des concessions, mais de co-créer de solutions nouvelles qui satisfont les besoins prioritaires de chacun des acteurs.

4- Les jeux de pouvoirs

Avec la CNV, le médiateur est formé à repérer le mécanisme à l’origine des jeux de pouvoir. L’approche de la CNV distingue les demandes, auxquelles les parties peuvent dire oui ou non, des exigences, qui sont imposées et qui privent le consentement de liberté. Ces dernières sont la source de conflits et de contentieux comme ceux de l’exécution des contrats et de la dépendance économique.

Cette différenciation se joue au stade de la négociation des accords et est également utile pour la mise en place des solutions décidées par les parties pendant la médiation, afin qu’elles soient équilibrées et durables. On revient à la loyauté et à la bonne foi qui président la négociation des accords.

Pour conclure, grâce au processus de communication que propose la CNV, le médiateur dispose de clés concrètes pour favoriser une qualité de relation entre les parties en organisant l’expression et l’écoute de la réalité de chacun et la prise en considération de ce qui se vit de plus essentiel pour chacun dans la situation.

Propos de Nathalie Simmonet recueillis par Anne Messas, avocate, associée fondatrice de TAoMA Partners,


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