Dans une lettre adressée le 11 mai 2025 aux magistrats et agents du service public de la Justice, le ministre de la Justice a pris la plume pour dresser un état des lieux de l’institution judiciaire et esquisser une feuille de route.
Un contexte de tension et de remise en cause
Le ministre ouvre sa lettre en rappelant la gravité du moment : « L’État de droit est aujourd’hui mis à rude épreuve. Les attaques et les menaces qui pèsent sur l’autorité judiciaire, sur les magistrats et les personnels du service public de la Justice, sont intolérables. » Il réaffirme son « entier soutien » aux personnels et sa « totale détermination à réaffirmer nos principes fondamentaux de séparation des pouvoirs et d’indépendance des magistrats, sans lesquels non seulement un État n’est pas démocratique mais aucune liberté n’est garantie à ses citoyens. »
Des efforts budgétaires inédits, mais des dysfonctionnements persistants
Le ministre rappelle l’augmentation du budget du ministère de 48 % et des effectifs de 16 % depuis 2017, ainsi que la tenue des engagements de recrutement d'ici à la fin du quinquennat. Pourtant, il reconnaît que « la Justice connaît encore d’importants dysfonctionnements », citant un sondage selon lequel 70 % des Français estiment que la Justice fonctionne mal. Les trois maux principaux identifiés sont : des délais trop longs, des peines mal exécutées et une complexité généralisée, tant sur le plan procédural qu’informatique.
Des réformes structurelles et ciblées
Plutôt qu’une « n-ième grande réforme », Gérald Darmanin propose une série de mesures inspirées des retours de terrain et des rapports récents :
- Simplification de la justice civile : Réforme de la mise en état, phase amiable préalable obligatoire, déjudiciarisation de certains contentieux (adoption simple, successions vacantes), filtrage des appels, et possibilité de mettre les frais de procès à la charge de la partie perdante.
- Facilitation de l’accès à la Justice : Généralisation du Portail du justiciable pour le suivi en temps réel des dossiers, dématérialisation des procédures et suppression des courriers papier, organisation des audiences pour réduire l’attente.
- Réforme de l’audiencement criminel : Face à l’explosion du nombre d’affaires criminelles élucidées (+59 % entre 2019 et 2023), le ministre propose la création d’une procédure de reconnaissance de culpabilité en matière criminelle, sous contrôle du juge et avec garanties pour la défense et les victimes.
- Clarification et rationalisation des peines : Réduction du nombre de peines à quatre grandes catégories (emprisonnement sans sursis, probation, jour-amende et amendes, interdiction/obligation), avec des seuils minimaux pour les délits du quotidien et une réponse plus lisible pour les citoyens.
- Optimisation du recours aux saisies et confiscations : Développement du « réflexe saisie » et remboursement à l’État par les condamnés des frais de justice générés par leur comportement délinquant.
- Réflexion sur la prison et la surpopulation carcérale : Différenciation des détenus selon leur dangerosité, création de prisons thématiques, poursuite de la construction de nouvelles places, et lancement d’états généraux de l’insertion et de la probation.
Cap sur le numérique et l’intelligence artificielle
Le garde des Sceaux souhaite accélérer la numérisation des procédures, avec un objectif de couverture totale des flux correctionnels d'ici à la fin de l’année. Il annonce également le déploiement d’un portail d’intelligence artificielle sécurisé pour les agents du ministère, tout en promettant l’extension de l’anonymisation des noms des magistrats et greffiers dans les décisions publiées en open data.
Protection renforcée des agents et lutte contre la criminalité organisée
La lettre se conclut par un engagement à renforcer la protection des agents menacés, en lien avec le ministère de l’Intérieur, et à appliquer la nouvelle loi sur le narcotrafic pour renforcer la réponse judiciaire contre la criminalité organisée.
« La proposition de loi sur le narcotrafic a par ailleurs été l’occasion de repenser la lutte contre la criminalité organisée comme un continuum, à l’image de la lutte anti-terroriste… Il faut résolument l’appliquer pour accroître la force de frappe judiciaire contre le trafic de drogue, dès la promulgation de la loi dans les prochains jours. »
Arnaud Dumourier