Vers plus d’efficacité de la procédure d’arbitrage : exemple de l’examen accéléré des prétentions manifestement infondées dans l’arbitrage CCI

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Fin octobre 2017, la Chambre de commerce internationale (« CCI ») a préconisé un mécanisme permettant le rejet anticipé des prétentions manifestement infondées ou hors du champ de compétence des arbitres. Ce nouvel outil de gestion de la procédure vient s’ajouter à ceux déjà en vigueur destinés à renforcer l’efficacité, la célérité et la sécurité des procédures d’arbitrage.
Ce mécanisme, qui ressemble à une motion to dismiss de Common Law, permet de solliciter en priorité l’examen de telles prétentions (à la fois demandes et moyens de défense), selon un calendrier accéléré. Le but est double : mettre rapidement fin à des litiges manifestement infondés et, si certaines prétentions seulement le sont, en expurger le dossier afin que seuls les éléments pertinents soient examinés au fond par les arbitres. On ne peut que s’en réjouir !

Au début de l’année 2017 déjà, la CCI a dévoilé un nouveau Règlement d’arbitrage applicable aux litiges nés de conventions postérieures au 1er mars 2017. Son article 22 prévoit notamment que « le tribunal arbitral et les parties font tous leurs efforts pour conduire la procédure d’arbitrage avec célérité et efficacité en termes de coût, eu égard à la complexité et à l’enjeu du litige », et qu’« afin d’assurer une gestion efficace de la procédure, le tribunal arbitral peut, après consultation des parties, adopter les mesures procédurales qu’il juge appropriées et qui ne se heurtent à aucun accord des parties ».

Dans sa nouvelle version d’octobre 2017, la Note aux parties et aux tribunaux arbitraux sur la conduite de l’arbitrage selon le règlement de la CCI(1) (la « Note »), déjà révisée en mars de la même année, précise la rédaction – volontairement large – de cet article 22 en prévoyant la possibilité pour les parties de solliciter que les prétentions manifestement infondées fassent l’objet d’un examen anticipé et accéléré par le tribunal arbitral.

La détermination rapide des demandes de rejet, gage d’attractivité de l’arbitrage

La possibilité d’introduire une demande d’examen accéléré s’applique aux prétentions, demandes ou défenses, qui sont manifestement dépourvues de fondement (« manifestely devoid of merit ») ou qui sont hors du champ de compétence du tribunal arbitral.

Fort logiquement, la Note précise d’abord qu’une demande d’examen accéléré doit être formée auprès du tribunal « le plus rapidement possible » après l’introduction de la prétention attaquée. Afin d’éviter tout comportement dilatoire, le tribunal doit souverainement décider d’y donner suite ou non, en tenant compte de l’avancement de la procédure et de la nécessité d’assurer son efficacité en termes de temps et de coûts.

Une fois ce filtre passé, le tribunal prend les mesures procédurales appropriées en coordination avec les parties qui doivent pouvoir faire valoir leurs arguments, en particulier le défendeur à la demande. Cette exigence, posée expressément par la Note, rappelle celle de l’article 22-4 du Règlement d’arbitrage de la CCI qui insiste sur le fait que « dans tous les cas, le tribunal arbitral conduit la procédure de manière équitable et impartiale et veille à ce que chaque partie ait eu la possibilité d’être suffisamment entendue ». On peut penser que la violation de cette règle, qui constitue un motif classique d’annulation des sentences, trouvera également à s’appliquer pour la détermination des demandes de rejet des prétentions manifestement infondées instituées par la Note.

Afin de concilier cette exigence avec celle de célérité qui fait tout l’intérêt de ce nouvel outil, la Note précise encore que tout échange supplémentaire doit rester exceptionnel et pourra, si une audience s’avérait nécessaire, intervenir par vidéoconférence ou par téléphone.

Compte tenu de la nature de la demande formée, c’est encore « le plus rapidement possible » que celle-ci doit être tranchée. La décision du tribunal, rendue sous forme d’ordonnance ou de sentence (qui pourra faire l’objet de recours), doit être motivée de manière concise et pourra décider de l’allocation des frais engendrés par la demande, ou réserver cette question pour la sentence finale.

Pour que la procédure se poursuive rapidement sur les autres questions tout en garantissant la solidité des sentences statuant sur les demandes de rejet des prétentions manifestement infondées, celles-ci font l’objet d’un examen par la Cour dans un délai d’une semaine à compter de leur réception.

Un outil facteur d’efficacité de la procédure d’arbitrage ?

Pour ce qui est de l’incompétence manifeste du tribunal arbitral, les parties pouvaient déjà saisir les arbitres d’une demande d’examen préalable en suivant un calendrier adapté. L’avantage de ce nouvel outil est qu’une telle demande doit être tranchée dans des délais extrêmement brefs. Il faut toutefois anticiper les débats qui risquent de se poser sur le caractère « manifeste » de l’incompétence des arbitres : certains cas sont relativement simples, mais d’autres peuvent être plus complexes, par exemple lorsque sont discutées des questions de circulation ou d’extension de la clause d’arbitrage et dont la solution diffère parfois, comme c’est le cas entre le droit français et le droit anglais.

La véritable nouveauté pour les juristes de droit civil est la possibilité d’introduire une demande contre une prétention manifestement infondée. Il s’agit là d’un outil très utile pour éviter que s’inscrivent dans le temps des actions tactiques destinées à faire peser un risque ou même à accompagner une communication destinée à fragiliser son adversaire. Les praticiens mettent toutefois en garde : former une telle demande est le meilleur moyen de stopper un dossier avant qu’il ne commence et de limiter les coûts. Mais en cas d’échec, la sanction peut être lourde. Il faut donc bien évaluer ses chances de succès en amont !

Une tendance plus générale

L’institution de cet outil dans la procédure CCI reflète un mouvement plus global des institutions d’arbitrage, qui multiplient les mécanismes innovants pour répondre aux exigences des parties en termes d’efficacité, de célérité et de réduction des coûts de la procédure :

  • C’est le cas du Centre d’Arbitrage International de Singapour, qui prévoit que le tribunal arbitral apprécie souverainement l’opportunité de la demande et doit la trancher sous forme d’ordonnance ou de sentence dans les 60 jours de sa saisine (2) ;

 

  • Le règlement d’arbitrage de la Chambre arbitrale de Stockholm prévoit aussi un mécanisme comparable  (3);

 

  • Depuis 2006 en matière d’arbitrage d’investissement, le règlement du Centre international pour le règlement des différends prévoit également une procédure accélérée pour rejeter toutes demandes non fondées au stade préliminaire (30 jours suivant la constitution du tribunal) (4) .

Il s’agit là d’un nouveau facteur de compétitivité de l’arbitrage si on le compare à la procédure judiciaire de droit civil.

Marie Danis, Associée, August Debouzy et Marie Valentini, avocat sénior chez August Debouzy

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NOTES

1. https://cdn.iccwbo.org/content/uploads/sites/3/2017/03/icc-note-to-parties-and-arbitral-tribunals-on-the-conduct-of-arbitration.pdf
2. Règlement d’arbitrage du SIAC 2016, article 29
3. Règlement d’arbitrage du SCC 2017, article 39
4. Règlement d’arbitrage du CIRDI, article 41(5)


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