Loyauté de la preuve et « laissez-faire » : Ass. Plén., 10 novembre 2017, n°17-82.028

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virginie rigalL’Assemblée plénière rappelle une jurisprudence désormais bien établie : la partie privée n’est pas soumise au respect de la loyauté des preuves, et celle-ci est alors recevable tant que les autorités publiques n’ont fait aucun acte positif aux fins de l’obtenir. Si l’article 427 du Code de procédure pénale énonce un principe de liberté de la preuve, cette liberté est encadrée par un principe de loyauté, qui interdit aux autorités publiques tout stratagème dans l’obtention de la preuve. L’utilisation d’un stratagème, en effet, vicie, selon la Cour, la recherche et l’établissement de la vérité et entraine la nullité de toute la procédure subséquente (Cass. crim., 27 févr. 1996, Bull. n°93)

Ainsi en a décidé par exemple la Cour de cassation dans la fameuse affaire de la sonorisation de cellules contigües pendant la garde à vue de deux individus, ce alors même que la procédure permettant cette sonorisation était régulière (Cass. crim., 7 janv. 2014, n°13-85.246, Bull. n°1, confirmée par Ass. Plén., 6 mai 2015, n°14-84.339).

De même, toute provocation des fonctionnaires de police à la commission d’une infraction rend irrecevable les éléments obtenus (Cass. crim., 11 mai 2006, Bull. n°132), par distinction avec la provocation à la preuve qui elle, semble régulière dès lors qu’elle avait pour seul effet de permettre la constatation d’infractions déjà commises et d’en arrêter la continuation (Cass. crim., 2 mars 1971, Bull. n°71 ; voir aussi Cass. crim., 12 juin 1952, Bull.
n°153 ; Cass. crim., 30 avr. 2014, Bull. n°119).

Seuls les moyens de preuve produits par les parties privées échappent au principe de loyauté, l’obtention illicite ou déloyale de la preuve ne pouvant alors à elle seule justifier de les écarter des débats (Cass. crim., 15 juin 1993, Bull. n°210 ; Cass. crim., 12 juin 2003, RSC 2004. 427, obs. Buisson).

Ce principe, en théorie très clair, laisse malgré tout en suspens la question suivante : à quel moment l’autorité publique peut-elle (et doit-elle) être considérée comme ayant participé à l’obtention d’une preuve déloyale, et partant, à quel moment un tel moyen de preuve doit-il être écarté ?

Dans la présente affaire, deux journalistes sollicitaient d’un représentant du Royaume du Maroc, le paiement d’une somme d’argent contre la promesse de ne pas publier un ouvrage consacré au souverain du pays. Cet échange était enregistré et une enquête était ouverte des chefs de chantage et extorsion de fonds.

Une seconde conversation, entre les mêmes protagonistes, était enregistrée quelques jours plus tard par ledit représentant ; cette fois, le lieu était placé sous la surveillance des enquêteurs, qui retranscrivaient ensuite la teneur des propos de l’enregistrement dans un procès-verbal. Une information judiciaire était alors ouverte puis, à l’identique, une troisième conversation était enregistrée par le représentant du Royaume du Maroc, en un lieu également placé sous surveillance judiciaire. Cet enregistrement était, une nouvelle fois, retranscrit par les enquêteurs.
La licéité du premier enregistrement n’était pas contestée par les journalistes, s’agissant d’un enregistrement réalisé par une partie privée. Celle des deux enregistrements suivants, en revanche, motivait deux requêtes en nullité présentées à la chambre de l’instruction.

En effet, si dans notre espèce les enregistrements étaient bien produits par une partie privée, les services de police étaient informés de tous les agissements de cette partie et étaient présents lors des rencontres.

La chambre de l’instruction rejetant lesdites requêtes, l’affaire était portée devant la chambre criminelle de la Cour de cassation.

Celle-ci a alors considéré comme irrecevables ces enregistrements en tant que moyens de preuve, au motif que « porte atteinte aux principes du procès équitable et de la loyauté des preuves la participation de l'autorité publique à l'administration d'une preuve obtenue de façon illicite ou déloyale par une partie privée » (Cass. crim., 20 sept. 2016, n°16-80.820).

Se prononçant sur renvoi, et malgré cet arrêt, la chambre de l’instruction rejetait une nouvelle fois les requêtes. En raison de la contradiction entre cette dernière et la chambre criminelle, l’affaire était alors examinée par la Cour de cassation réunie en formation plénière.

Sans nier que la participation des autorités publiques dans l’obtention de la preuve la rend irrecevable, l’Assemblée plénière vient apporter un éclairage sur les conditions dans lesquelles les autorités publiques doivent, ou non, être considérées comme impliquées, ou comme ayant participé, à cette obtention.

Ainsi, elle relève qu’une telle participation – ou accord concerté entre les services de police et la victime –, qui aurait entrainé l’irrecevabilité de la preuve, ne saurait se déduire :
- ni du fait que la partie privée a tenu les services de police informés de l’avancement de ses démarches,
- ni de la brièveté du délai après lequel les enregistrements étaient, chaque fois, remis aux policiers,
- ni non plus, de l’existence d’une présence policière aux abords du lieu où ont eu lieu les rencontres.

Ces éléments ne permettant pas, selon la Cour, de rapporter l’existence d’une « collusion entre M. Z et les services enquêteurs tendant à faire prendre en charge par le premier, les enregistrements litigieux ». Elle en conclut que « le concept de ‘participation’, même indirecte, suppose l’accomplissement, par les enquêteurs d’un acte positif, si modeste soit-il ; que le seul reproche d’un « laissez-faire » des policiers, dont le rôle n’a été que passif, ne peut suffire à caractériser un acte constitutif d’une véritable implication ».

Partant, « la chambre de l’instruction a pu en déduire l’absence de participation directe ou indirecte de l’autorité publique à l’obtention des enregistrements litigieux, ce dont il résultait que le principe de la loyauté de la preuve n’a pas été méconnu ».
Tout en rappelant qu’une partie privée peut valablement, dans une affaire pénale, produire une preuve obtenue clandestinement, la Cour de cassation adopte ici une position stricte sur la nécessité de démontrer un acte positif caractérisant la participation, même indirecte, des autorités publiques, pour fonder une requête en nullité.

Si cela peut sembler fragiliser le principe de loyauté de la preuve, cette décision permet malgré tout d’en mieux cerner les contours.

A rapprocher : Ass. Plén., 6 mai 2015, n°14-84.339*

Virginie Rigal, avocat département Contentieux Médiation Arbitrage du cabinet Simon Associés


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