L'obligation d'information triennale des salariés, un aspect méconnu de la loi Hamon

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

franck bernauerTout a été dit ou presque sur la loi Hamon. Les praticiens ont désormais intégré cette obligation légale dans les calendriers de réalisation des opérations de cession d'entreprise. Il est cependant à noter qu'un aspect moins commenté de cette loi concerne l'obligation triennale d'information des salariés qui a été mise en place par cette loi.

En cas de modification de l'organisation ou de la structure d'une entreprise, la question de l'information, et selon les situations, de la consultation des instances représentatives du personnel1 sur la décision en passe d'être prise est précisément traitée à la fois par le code du travail et par une jurisprudence abondante2.

La loi Hamon du 31 juillet 20143 s'inscrit dans cette volonté d'imposer une plus grande transparence interne aux dirigeants d'entreprise dès lors qu'un bouleversement dans la structure de cette dernière est envisagée. Par conséquent, aux mêmes titres que les instances représentatives du personnel, les salariés sont devenus, par l'effet de la loi, créanciers d'une obligation d'information leur permettant d'être avertis de certains changements internes qui pourraient les impacter.

Ainsi, la loi Hamon ainsi que ses multiples "rebondissements" et ajustements subséquents, est connue pour l'obligation d'information exceptionnelle des salariés qu'elle impose préalablement à (i) une cession d'un fonds de commerce4 ; ou bien (ii) lorsque le propriétaire d'une "participation représentant plus de 50 % des parts sociales d'une société à responsabilité limitée ou des actions d'une société par actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital d'une société par action" envisage de les céder5. De très nombreux articles ont été écrits sur le sujet, sur lequel nous ne reviendrons donc pas.

Toutefois, cette obligation particulière et ponctuelle n'est pas l'unique facette de la loi Hamon. En effet, moins connue mais tout aussi importante, une obligation triennale d'information des salariés fut également mise en place par ce texte.

Complétant l'obligation d'information exceptionnelle, l'obligation d'information triennale des salariés a pour but de donner aux salariés les moyens et la possibilité de formuler une offre éventuelle, en cas de projet de cession de la société pour laquelle ils travaillent. Cette obligation est visée à l'article 18 de la loi Hamon, article complété par la loi Macron du 6 août 20156 , puis par un décret du 4 janvier 20167.

Toutes les sociétés ne sont pas concernées par cette obligation qui ne va s'appliquer qu'aux seules sociétés commerciales ayant un effectif de moins de 250 salariés. L'effectif est apprécié selon les règles de droit commun prévues aux articles L.1111-2 et L.1111-3 du Code du travail8. Les dirigeants des sociétés concernées ont pour obligation d'informer tous les trois ans au moins, les salariés sur l'éventuelle cession de la société, en leur communiquant diverses informations, et notamment "les principales étapes d'un projet de reprise d'une société, en précisant les avantages et les difficultés pour les salariés et pour le cédant ; une liste d'organismes pouvant fournir un accompagnement, des conseils ou une formation en matière de reprise d'une société par les salariés ; les éléments généraux relatifs aux aspects juridiques de la reprise d'une société par les salariés, en précisant les avantages et les difficultés pour les salariés et pour le cédant ; les éléments généraux en matière de dispositifs d'aide financière et d'accompagnement pour la reprise d'une société par les salariés ; une information générale sur les principaux critères de valorisation de la société, ainsi que sur la structure de son capital et son évolution prévisible ; le cas échéant, une information générale sur le contexte et les conditions d'une opération capitalistique concernant la société et ouverte aux salariés".9

Cette information périodique peut être présentée de manière orale ou écrite par le représentant légal de la société, ou par son délégataire. Une fois la forme de la présentation choisie, celle-ci devra avoir lieu lors d'une réunion à laquelle les salariés, et non pas seulement les instances les représentant, devront avoir été convoqués par tout moyen leur permettant d'en avoir connaissance10.
Il reste cependant possible de se conformer à l'obligation d'information d'une manière plus simple. En effet, le décret de 2016 considère que l'indication d'une adresse électronique d'un ou plusieurs sites internet comportant les informations susvisées permet de satisfaire à l'obligation d'information triennale des salariés. Toutefois, cette simplification ne s'applique pas à l'obligation d'information générale sur les principaux critères de valorisation de la société, ainsi que sur la structure de son capital et son évolution prévisible, ni à l'obligation d'information générale sur le contexte et les conditions d'une opération capitalistique concernant la société et ouverte aux salariés11 .

En terme de sanction, il est à noter que ni la loi Hamon ni son décret d'application ne prévoient de sanctions spécifiques en cas de non-respect de l'obligation d'information triennale des salariés. Ceci signifie que la responsabilité civile12 du débiteur de l'obligation pourra être engagée, dans les conditions de droit commun, en cas de préjudice avéré.

Malgré les imprécisions de la loi, une application assidue de cette dernière est recommandée. En effet, de part leur complémentarité, l'obligation d'information triennale des salariés va permettre de contourner la fameuse obligation d'information des salariés préalablement à la cession de l'entreprise ou du fonds de commerce. Ainsi, si au cours des 12 mois précédent la signature de l'acte de vente, le représentant légal de la société a informé les salariés dans le cadre de son obligation triennale de sa volonté de céder, il pourra s'exonérer de l'obligation d'information des salariés préalablement à la cession.

Il est enfin utile de préciser que le décret du 4 janvier 201613 prévoit que l'obligation d'information triennale des salariés entre en vigueur au lendemain de la publication de ce même décret. Cette obligation est donc applicable depuis le 6 janvier 201614 , ce qui signifie en pratique que les premières procédures d'information devraient avoir lieu au cours de l'exercice 2019.

Franck Bernauer, Avocat Associé, HFW

_______________________________

NOTES

1. Comité d'entreprise et comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, notamment.
2. Article L.2323-1 du code du travail pour le comité d'entreprise; Article L.4612-8 du code du travail pour le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail
3. Loi n°2014-856, loi relative à l'économie sociale et solidaire
4. Article L.141-32 du code de commerce
5. Articles L.23-10-1 et L.23 10-7 du code de commerce
6. Loi n°2015-990, loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
7. Décret n°2016-2 du 4 janvier 2016, relatif à l'information triennale des salariés prévue par l'article 18 de la loi n°2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire
8. Article 3 du décret du 4 janvier 2016 précité
9. Article 1 du décret du 4 janvier 2016 précité 
10. Article 2 du décret du 4 janvier 2016 précité
11. Les points 5) et 6) de l'article 1 du décret du 4 janvier 2016 précité 
12. Article 1240 du Code civil
13. Article 4 du décret du 4 janvier 2016 précité
14. Après la publication du décret n°2016-2 du 4 janvier 2016 au JORF n°0003 du 5 janvier


Lex Inside du 18 avril 2024 :

Lex Inside du 15 avril 2024 :

Lex Inside du 5 avril 2024 :