Poursuite d’une activité salariée sous le statut d’auto-entrepreneur : Quels risques pour le donneur d’ordre ?

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Pierre Damien VentonPour des raisons fréquemment liées à un sentiment de rigidité du contrat de travail mais également tenant au coût plus élevés des charges sociales, un nombre croissant de sociétés opte pour le recours à la prestation de service avec des auto-entrepreneurs, y compris d’anciens salariés « reconvertis » en indépendants à qui il est parfois demandé de poursuivre dans les mêmes conditions, leur ancienne activité. Les possibilités de cumul emploi/retraite ainsi que le développement des activités de « consulting » au cours des dernières années, ont contribué à favoriser le développement de telles habitudes. Il convient toutefois d’être prudent lors de la mise en place de telles relations commerciales, afin de limiter autant que faire se peut, les risques induits par une telle démarche, tant il est vrai que les conditions d’exécution de la prestation de service s’avéreront déterminantes en cas de litige et pourront avoir des conséquences radicales sur le plan du droit du travail, du droit pénal et du droit de la sécurité sociale.

Créé par la Loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, le statut d’auto-entrepreneur est soumis aux règles applicables aux Travailleurs indépendants.
Il en résulte que ce statut est assorti d’une présomption légale de non-salariat (Article L.8221-6 I du Code du travail).

Cette présomption simple peut toutefois être réfutée lorsqu’il ressort des éléments en présence que l’intéressé a, en réalité, été placé vis-à-vis du donneur d’ordre, « dans un lien de subordination juridique permanente », en sorte que l’existence d’une relation salariale est établie (Article L.8221-6 II du Code du travail).

Au cours des derniers mois, la Cour de cassation -qu’il s’agisse de la Chambre sociale, de la Chambre criminelle ou encore de la deuxième Chambre civile- s’est montrée particulièrement vigilante à l’égard des tentatives de contournement les plus grossières qu’elle a durement sanctionné :

1. sur le plan du droit du travail, en prononçant la requalification de la relation commerciale en contrat de travail -l’auto-entrepreneur devenant salarié du donneur d’ordre- ;
2. sur le plan du droit pénal, en condamnant le donneur d’ordre au délit de travail dissimulé (Articles L.8221 et suivants du Code du travail) ;
3. sur le plan du droit de la sécurité sociale, en validant le redressement URSSAF du donneur d’ordre prévoyant la réintégration, dans son assiette de cotisations, des sommes versées à l’auto-entrepreneur.

La Haute Cour semble s’inspirer dans le cadre de ses décisions, d’une réponse ministérielle qui a listé un certain nombre d’indices servant à établir l’existence d’un lien de subordination juridique permanente, excluant la présomption de non-salariat.

I / Sur le plan du droit du travail : Requalification de la relation commerciale en contrat de travail

Aux termes d’un arrêt récent du 6 mai 2015, la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 6 mai 2015, nº 13-27.535) a récemment requalifié en contrat de travail, le contrat de mission d’un auto-entrepreneur, qui s’avérait :
- astreint au respect d’un planning quotidien précis,
- tenu d’assister à des entretiens et réunions commerciales,
- soumis à des objectifs de chiffre d’affaires annuel,
- devait respecter des procédures internes à la société pour passer ses ventes faute de les voir refusées.

II / Sur le plan du droit pénal : Délit de Travail dissimulé

Dans une autre affaire, cette fois-ci soumise à l’appréciation de la Chambre criminelle (Cass. crim., 15 décembre 2015, nº 14-85.638), les juges ont également validé une condamnation pénale pour travail dissimulé, en relevant que le donneur d’ordre avait employé d’anciens salariés sous le statut d’auto-entrepreneur, pour leur faire poursuivre la même activité, dans un lien de subordination juridique permanente qui se caractérisait à travers les indices suivants :
- des modalités d’exécution du travail régies par la société, illustrant une absence d’autonomie pour l’intéressé (par exemple : utilisation d’un listing clients et d’une procédure commerciale définie à l’avance),
- les intéressés travaillaient exclusivement pour le compte de leur ancien employeur, sur les mêmes fonctions et selon les mêmes modalités d’exécution du travail qu’antérieurement,
- les conditions de création et de radiation des auto-entrepreneurs établissaient que ceux-ci répondaient uniquement aux besoins de la société.

III / Sur le plan du droit de la sécurité sociale : Redressement URSSAF

Dans un arrêt du 7 juillet 2016 (Cass. 2e civ., 7 juillet 2016, nº 15-16.110), la 2ème Chambre sociale -à qui est dévolue le contentieux du droit de la Sécurité sociale- a approuvé le redressement notifié à une société exerçant dans le soutien scolaire.
Pour caractériser le lien de subordination juridique permanente et l’existence d’une relation salariée justifiant le redressement, la Cour s’est basée sur un faisceau d’indices en relevant plusieurs éléments :
- les auto-entrepreneurs de la société, objets du redressement, qui représentaient plus de 40 % des formateurs salariés en 2008, avaient été recrutés sous le statut d’auto-entrepreneur au cours de l’année 2009, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008,
- ils avaient conclu un contrat de prestations de services à durée indéterminée,
- ils exerçaient leur activité dans les locaux de la société,
- les auditeurs des formations étaient la clientèle exclusive du donneur d’ordre,
- les formateurs étaient privés de liberté pour concevoir leurs cours,
- les contrats de prestations de service prévoyaient de surcroit une clause de non-concurrence, interdisant aux intéressés de proposer leurs services aux clients présentés par le donneur d’ordre,
- la société était chargée par les auto-entrepreneurs pour réaliser l’ensemble des formalités administratives liées à ce statut.

En conclusion, le recours à des auto-entrepreneurs, en lieu et place de salariés, nécessite pour le donneur d’ordre, de procéder -le cas échéant, avec l’assistance de son Conseil habituel- à un audit des conditions réelles d’exercices de la prestation de service, afin de déterminer si un lien de subordination juridique permanente est susceptible d’être caractérisé, sous peine de s’exposer aux sanctions énumérées ci-avant.

Pierre-Damien VENTON, Avocat en droit social et Fondateur de VENTON AVOCATS


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