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La class action en matière de discriminations au travail

Jean-François Rage, avocat associé en droit social, et Coline Bied-Charreton, avocat au cabinet Pinsent MasonsJean-François Rage, avocat associé en droit social, et Coline Bied-Charreton, avocat au cabinet Pinsent Masons commentent l'article 45 du projet de loi relatif à la justice du 21 ème siècle qui prévoit l’action de groupe en matière de discriminations au travail.

Selon le projet de loi adopté le 24 mai 2016 par l'Assemblée nationale, la class action à la française devrait s'étendre aux cas de discrimination au travail (article 45 du projet).

Les entreprises doivent se préparer à cette nouveauté. En effet, s'agissant d'une loi instituant une procédure, elle devrait être d'application immédiate1.

Or les implications pratiques du texte, en l'état, mériteraient d'être clarifiées. 

C'est le cas, notamment, de la nécessité de faire précéder l'action d'une mise en demeure préalable devant donner lieu à une information des représentants du personnel et à une discussion sur les mesures permettant de faire cesser la situation de discrimination collective alléguée. Dans la mesure où, à ce stade, aucune discrimination ne serait judiciairement constatée, l'employeur serait semble-t- il confronté à un redoutable piège : s'il ne prend aucune mesure, il pourrait potentiellement aggraver son cas sur un plan judiciaire (encourant les reproches d'obstruction ou de mauvaise foi); mais, s'il prend des mesures, ne reconnaîtrait-il pas implicitement l'existence d'une discrimination, compromettant du même coup sa défense face aux accusations de discriminations? La question est loin d'être théorique.

Que dire, également, de la preuve des discriminations? Devra-t- elle être administrée au stade de la mise en demeure (dans le cadre des discussions)? Pourra-t-il s'agir d'une preuve purement statistique? L'articulation avec l'administration de la preuve prévue pour les contentieux individuels gagnerait à être clarifiée.

Enfin, alors que le Sénat avait, notamment, entendu circonscrire l'objet de l'action à la seule cessation du manquement, le texte finalement adopté par l'Assemblée nationale précise que l'action tendrait également, le cas échéant, à la réparation des préjudices subis (article L. 1134-8 futur du Code du travail), mais il ne s'agirait, alors, que des préjudices nés après réception de la demande préalable formulée auprès de l'employeur.

Ainsi, le contentieux de la réparation du préjudice né de la discrimination serait-il scindé en deux :

(i) pour les préjudices nés après la mise en demeure adressée auprès de l'employeur : le tribunal de grande instance serait seul compétent;

(ii) pour les préjudices antérieurs : le conseil de prud'hommes resterait compétent!

La simplification n'est donc pas au rendez-vous! En outre, quid en cas de rejet de l'action par le tribunal de grande instance? Le conseil de prud'hommes sera-t- il lié dans tous les cas? Réciproquement, une décision prud'homale constatant une situation de discrimination s'imposerait-elle au TGI?

Compte tenu des montants potentiellement en jeu en cas de discriminations systémiques ou au long cours, il est à prévoir que les salariés préfèrent la voie prud'homale. L'action de groupe resterait alors cantonnée à un pur rôle de discussion entre les partenaires sociaux.

Jean-François Rage, avocat associé en droit social, et Coline Bied-Charreton, avocat au cabinet Pinsent Masons

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NOTE :

1 Décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014

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