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Les conditions de licéité d’un réseau de distribution sélective vont-elles évoluer ?

Bruno Martin, associé, et Jean-Jacques Benattar, avocat au cabinet Courtois Lebel, département Concurrence et distributionTrois conditions doivent être réunies pour qu’un réseau de distribution sélective soit licite. Or, un récent arrêt de la Cour d’appel de Paris déclare tout de même un réseau illicite, au vu de certaines stipulations contractuelles du contrat de distribution sélective.

L’arrêt commenté a été rendu par la Cour d’appel de Paris dans une affaire relative au réseau de distribution sélective de la filiale française du groupe Coty qui commercialise en France des produits cosmétiques et de parfumerie de luxe pour lesquels elle détient des licences exclusives d’exploitation.

La société Coty reprochait aux promoteurs d’un site commercialisant sur internet des parfums à prix réduits, dont certains étaient couverts par les licences exclusives d’exploitation dont elle était titulaire, de porter atteinte à son réseau de distribution sélective et par ces agissements de procéder à une concurrence déloyale.

L’organisateur d’un réseau de distribution sélective doit en démontrer l’existence et la licéité

Conformément à sa jurisprudence, la Cour de Paris rappelle qu’il appartient à l’organisateur d’un réseau de distribution sélective, qui en invoque le respect, de démontrer son existence et sa licéité au regard des règles de concurrence.

- Sur l’existence du réseau

Pour démontrer l’existence du réseau de distribution sélective, l’organisateur du réseau doit produire un contrat conclu avec l’un de ses distributeurs sélectionnés et antérieur aux faits à l’origine du litige, comportant une stipulation destinée à assurer l’étanchéité juridique du réseau sur le territoire français, en interdisant la vente à des distributeurs non agréés.

La Cour précise à cet égard que d’anciennes décisions de justice intervenues entre la société Coty et des tiers, qui ont pu reconnaitre l’existence ou la validité du réseau, ne peuvent suffire pour faire la preuve, dans ce litige, de l’existence et de la licéité du réseau.

- Sur la licéité du réseau

La Cour rappelle que pour déterminer la validité d’un réseau, il convient de se référer à l’article 81 § 1 (devenu l’article 101 § 1) du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne ou de l’article L. 420-1 du Code de commerce et vérifier si trois conditions sont réunies cumulativement à savoir que :

1) la nature du produit requiert un système de distribution sélective pour en préserver la qualité et en assurer l’usage,

2) les revendeurs soient choisis sur la base de critères objectifs de caractère qualitatif fixés de manière uniforme pour tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire,

3) les critères retenus n’excèdent pas ce qui est nécessaire (critère de proportionnalité).

Sur le plan factuel, la Cour relève que le contrat prévoit des critères de sélection des distributeurs suffisamment précis, à savoir :

- refléter le prestige des marques,
- être en zone de standing et de notoriété élevée,
- avoir la réputation d’offrir des services de qualité et une assistance à la clientèle,
- être dans un environnement où les boutiques voisines sont de nature comparable,
- avoir un standing et un aspect extérieur comparables traduisant la nécessité de maintenir le prestige des marques et du luxe grâce à la qualification du distributeur, à la qualité du point de vente et à un environnement adapté.

L’arrêt est également intéressant en ce qu’il précise qu’une clause qui impose une vitrine extérieure qui certes a pour effet d’exclure la commercialisation dans la grande distribution n’est pas une obligation disproportionnée avec la nécessaire protection de la distribution que ce réseau entend réaliser.

La cour juge tout de même le réseau illicite

Sur le plan juridique, alors que la Cour d’appel de Paris semble considérer que les trois conditions précitées sont réunies, elle juge finalement illicite le réseau de distribution sélective de la société Coty en raison de la présence de trois stipulations contractuelles qu’elle qualifie de restrictions de concurrence caractérisées (clauses noires) au sens de l’article 4 du règlement d’exemption sur les accords verticaux CE 2790/1999 (devenu le règlement d’exemption CE 330/2010).

La Cour d’appel a ainsi jugé que constituaient des restrictions caractérisées :

- l’article 3.4.2 du contrat qui prévoit expressément la possibilité de vendre aux membres des comités d’entreprise ou des collectivités dès lors qu’ils se déplacent individuellement en tant que consommateurs directs dans les magasins pour effectuer les achats.

Selon la Cour, cette clause est une restriction de concurrence caractérisée en ce qu’elle exclut la vente aux agents d’achats (comités d’entreprise, collectivités) agissant pour le compte des utilisateurs finaux.

- l’article 3.4.3 du contrat qui édicte une interdiction de vendre à des revendeurs non agréés.

La Cour précise que si cette clause est licite en ce qu’elle a pour objectif de protéger le réseau et d’en assurer l’étanchéité, en revanche elle révèle son caractère restrictif prohibé lorsque le marché sur lequel évolue le distributeur non agréé n’est pas organisé en réseau de distribution sélective.

- l’article 3.4.3.3 qui interdit au distributeur agréé de réaliser une vente active d’un nouveau produit contractuel vers un Etat membre de l’Union Européenne où la société Coty ou une société du même groupe ne l’aurait pas mis en vente, pendant un délai d’un an à compter de la date du premier lancement du produit dans un Etat membre.

La Cour a jugé que cette clause constitue une restriction de concurrence caractérisée en ce qu’elle restreint le territoire sur lequel le revendeur peut vendre les biens contractuels.

La Cour de cassation sera amenée à rappeler les conditions de licéité de ce type de réseau

L’analyse de la Cour d’appel de Paris soulève une interrogation importante car, soit :

- elle considérait que la licéité du réseau résultait de la réunion des trois conditions cumulatives, et elle n’avait nul besoin d’analyser les clauses du contrat de distribution sélective au regard du règlement d’exemption sur les accords verticaux,

- elle considérait que la deuxième ou troisième condition n’était pas remplie, et elle devait alors examiner la licéité du contrat au regard du règlement d’exemption sur les accords verticaux, pour en déduire l’existence de clauses constitutives de restrictions de concurrence caractérisées.

Or, il semblerait qu’en l’espèce la Cour retienne bien la réunion des trois conditions précitées et qu’elle procède néanmoins à l’examen de la licéité du réseau de distribution au regard du règlement d’exemption sur les accords verticaux.

Ce faisant, la Cour instaurerait une quatrième (et nouvelle) condition cumulative à la licéité d’un réseau de distribution sélective, à savoir l’absence de toute clause pouvant constituer une restriction de concurrence caractérisée au sens du règlement d’exemption sur les accords verticaux.

A n’en pas douter, la Cour de cassation sera amenée à analyser la motivation de cet arrêt et à rappeler, si nécessaire, les conditions de licéité d’un réseau de distribution sélective.

Réf : Cour d’appel de Paris 25 mai 2016 – Pôle 5 – Chambre 4 – RG n°14/03918.

Bruno Martin, associé, et Jean-Jacques Benattar, avocat au cabinet Courtois Lebel, département Concurrence et distribution

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