Le succès des négociations qui se tiennent entre un débiteur et ses créanciers dans le cadre des procédures de prévention, encore appelées procédures amiables, dépend de la bonne foi des parties et de l'autorité du professionnel (conciliateur ou mandataire ad hoc) sous l'égide duquel se tient la négociation pour la faire respecter. La sanction judiciaire de cette bonne foi est nécessaire pour contrer les tentatives des créanciers minoritaires qui refusent tout accord aux fins d'extorquer un traitement particulier.
Par un arrêt du 22 septembre 2015 (n° 14-17.377), la Cour de cassation a jugé qu'"un créancier appelé à négocier dans le cadre d'une procédure de mandat ad hoc n'est pas tenu d'accepter les propositions du mandataire ad hoc".
L'arrêt n'innove pas. S'appuyant sur le caractère fondamentalement consensuel des procédures amiables, il est conforme aux textes. Il est également conforme à la logique qui gouverne les procédures amiables : l'impossibilité de se voir imposer une solution est essentielle pour convaincre les créanciers de prendre part à des négociations qui - par définition - visent à conclure un accord qui modifiera leurs droits. A chaque créancier d'apprécier librement si la contrepartie de l'effort qu'il consent dans le cadre de l'accord est satisfaisante pour lui.
Une phrase incidente dans la décision peut inquiéter les praticiens : en validant la décision de la cour d'appel, les juges de cassation ont précisé que celle-ci "n'avait pas à effectuer la recherche inopérante invoquée par la seconde branche" du moyen, à savoir celle de l'existence d'un abus de droit du banquier qui refuse de négocier. Il ne faudrait pas que l'on puisse en conclure qu'un créancier qui participe à une procédure amiable ne commet jamais d'abus en opposant un refus au cours des négociations.
En l'espèce, pas moins de 18 créanciers avaient été conviés à participer à une procédure amiable.
Sur ces 18 créanciers, 17 avaient donné leur accord à la solution proposée par le mandataire. Un seul créancier avait opposé son veto, empêchant ainsi la conclusion d'un accord.
Rien d'étonnant en cela car en procédure amiable, la force obligatoire des contrats prévaut. Leur modification requiert toujours l'accord unanime des parties : pour passer cet obstacle le mandat ad hoc ne confère aucun pouvoir coercitif au mandataire ad hoc et, en conciliation, l'unique menace possible est celle d'un étalement du paiement de la créance sur deux années au visa des articles 1244-1 et s. du Code civil. Encore cette menace est-elle souvent vaine, notamment contre le banquier dont la créance arrive à maturité à plus de deux ans.
Pour sortir de l'impasse, le débiteur n'a alors qu'une issue : ouvrir l'une des procédures collectives qui permettent, par un vote à la majorité de chacun des comités de créanciers, de passer outre le refus du créancier minoritaire.
Cela étant, même si les effets d'une sauvegarde accélérée ou d'une sauvegarde financière accélérée (SFA) sont aussi limités que possible, le débiteur qui quitte l'abri de la confidentialité d'une procédure amiable risque d'endommager l'image et le crédit de l'entreprise avec la publicité d'une procédure collective. In fine c'est bien le gage de tous les créanciers qui risque d'être dévalorisé.
Ensuite, lorsque le refus du récalcitrant aura finalement été balayé par un vote majoritaire, le débiteur restera encore exposé au risque d'un recours abusif.
Car souvent, le même créancier qui a refusé d'adhérer à l'accord cherchant ainsi à se créer un levier de négociation, ayant déjà contraint le débiteur à ouvrir une SFA, n'hésitera pas à former un recours contre la SFA ou le plan qui en résulte pour accroitre encore son levier, pratiquant la politique du pire et monneyant au prix fort son pouvoir de nuisance.
Pour éviter cela, il est impératif de réaffirmer qu'en procédure amiable la bonne foi doit être la boussole des négociations et de rappeler que l'abus de droit - y compris lorsqu'il se manifeste dans le refus d'adhérer à un accord - peut être effectivement sanctionné.
S'exprimant sur d'autres sujets ou le consensualisme prévaut également la Haute juridiction a déjà eu l'opportunité d'énoncer clairement que "le caractère discrétionnaire est limité par un éventuel abus de droit" (3ème Civ., 2 fév. 2005, n° 03-15.409). Ainsi, même si "le banquier est toujours libre, sans avoir à justifier sa décision qui est discrétionnaire, de proposer ou de consentir un crédit quelle qu'en soit la forme, de s'abstenir ou de refuser de le faire" (Cass. AP, 9 oct. 2006, n° 06-11.056), rien n'interdit de rappeler que la limite de l'abus de droit existe aussi dans les négociations en procédure amiable.
Il serait en tout cas opportun que la Cour de cassation l'énonce clairement car laisser croire à l'immunité totale des créanciers minoritaires risque d'encourager ceux qui ont pour stratégie habituelle d'abuser de leur "pouvoir de dire non", prenant ainsi en otage l'entreprise, ses salariés et l'ensemble des créanciers, afin d'obtenir un traitement particulier.
Pierre-Emmanuel Fender et François Wyon, Avocats Ashurst