Du jeu compliqué du droit privé et du droit public : le cas de la nullité du bail rural

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hubert seillanHubert Seillan, Docteur d’Etat en droit et Avocat au barreau de Paris, Cabinet Michel Ledoux et associés, revient sur la nullité du bail rural.

A l’heure où la réforme pourtant si opportune du code du travail ouvre quasiment une crise de régime, bien d’autres chantiers mériteraient d’être engagés dans de nombreux autres domaines législatifs. Mais alors ce serait 1789 ! Dont acte. Le sujet a de beaux jours devant lui, tant les Français ont le réflexe du hérisson quand ils entendent le mot réforme.

Une des difficultés majeures communes à tous ces « nouveaux » dispositifs sociaux se trouve dans la juxtaposition des logiques du droit privé et du droit public avec, bien souvent, en sus celle du droit pénal. Mais si l’on peut comprendre qu’un pays de tradition aussi interventionniste que la France mette le droit des contrats en tutelle de l’administration, on peut aussi en attendre qu’il le fasse dans des termes clairs et précis, de sorte que soit dit sans ambigüité, ce qui relève du droit privé et ce qui est permis au droit public. La législation relative aux baux ruraux nous offre un bel exemple de cette complexité sur maints sujets et tout particulièrement sur celui très fondamental de la nullité.

I- Le régime légal

Les articles L 331-2, 6 et 7 du code rural sont en cause. Comme son cousin, le contrat de travail, le contrat de bail a été au fil du temps très encadré. C’est ainsi que lorsque certaines conditions sont réunies, le fermier doit disposer d’une autorisation administrative d’exploiter (art. 2). Si ce texte ne pose pas de difficultés majeures, ce n’est plus le cas avec les conditions du contrôle et de la sanction de l’inobservation de la règle (arts. 6 et 7). Une certitude cependant, le droit pénal n’intervient pas.

L’article L 331- 6 prive le bail de toute existence pour défaut d’autorisation administrative. Mais comme il convient que sa nullité soit enregistrée, l’annulation doit être proclamée, ici par le tribunal paritaire des baux ruraux. Et comme le tribunal doit être saisi, la loi a confié cette saisine à l’autorité administrative délivrant l’autorisation, au bailleur et si elle exerce son droit de préemption, à la Sté d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer).

Trois remarques :
- La nullité, parce qu’elle consiste dans l’anéantissement de l’acte, existe virtuellement antérieurement à son prononcé dans une décision de la justice ou de l’administration.
- La compétence du pouvoir judiciaire exprime le souci du législateur de maintenir le droit du bail rural dans la sphère du droit privé (1).
- La loi place le préfet sur le même plan que le bailleur et que la Safer, sans évoquer ses pouvoirs régaliens.

L’article L 331- 7 précise les prérogatives de l’administration. Trois données principales : absence de contrôle de légalité du bail, mise en demeure administrative et sanction financière.

Cependant, lorsqu’il est informé, par quelque cause que ce soit, de l’irrégularité et est ainsi placé devant le fait, le préfet est tenu -compétence liée- de mettre l’intéressé en demeure de régulariser.

L’administration peut aussi prononcer une sanction pécuniaire.

II- Deux dynamiques distinctes et non convergentes

Nous observons que
- Le bailleur, la nullité du bail, son annulation ne sont envisagés qu’à l‘article 6.
- Les mises en demeure administratives et les sanctions pécuniaires n’apparaissent qu’à l’article 7.
Nous en déduisons que
- L’article 6 est inutile à l’article 7 et l’article 7 à l’article 6.
- Le 1er développe l’énergie du droit privé et le second l’énergie du droit public.
- La nullité qui relève essentiellement de la dynamique du droit privé n’est en rien concernée par la dynamique des mises en demeure et de la sanction pécuniaire.

III- Difficultés pratiques

Cette indifférence des deux régimes est d’ordre juridique. Au plan pratique, rien n’interdit au préfet d’engager les deux actions en parallèle. Sauf que le procédé n’aurait pas de sens. Comment accepter qu’en même temps qu’il fixe un délai de régularisation au preneur, il demande la nullité du bail ? Les deux actions seraient contradictoires. L’hypothèse n’est cependant pas à écarter, car elle a été jugée par la Cour de cassation qui l’a censurée (2).

Il est également possible d’envisager sa mise en demeure dans l’intention de priver le bailleur de son droit à demander la nullité du bail.

Un autre cas pratique, celui où le preneur défaillant oppose l’absence de mise en demeure administrative à la demande judiciaire de nullité (3).

Ces difficultés sont autant de sources de contentieux abusifs.

IV- Peut-on proposer une modeste adjonction ?

Il suffirait de peu.
1°) Lorsque l’administration a délivré une mise en demeure au preneur, le préfet doit attendre son parfait achèvement avant de pouvoir demander la nullité du bail.

2°) Lorsque le bailleur ou la Safer demandent la nullité du bail pour absence d’autorisation, la procédure de mise en demeure de l’administration, ne peut être une cause de suspension de l’action judiciaire.


Ces deux précisions qui ne feraient que transcrire les solutions dégagées par la jurisprudence, garantiraient en outre l’équilibre subtil et nécessaire des droits du contrat et des prérogatives de l’administration.

Hubert Seillan, Docteur d’Etat en droit et Avocat au barreau de Paris, Cabinet Michel Ledoux et associés

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NOTES

(1) Un tel contrat de droit privé dépendant d'une autorité administrative peut être attaqué devant le juge administratif par le biais de la théorie des actes détachables du contrat en question. Il s'agit là d'une vieille jurisprudence du Conseil d'Etat.
(2) Cass. civ. 3ème Arrêt n° 1513 du 12 décembre 2012, Bull. 2012, III, n° 184 
(3) Cass. 3e Civ., 31 octobre 2007, Bull. 2007, III, n° 186


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