Réforme du droit des contrats français

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Eric Wallenbrock, counsel et Marine Besson, collaboratrice, Bird & BirdEric Wallenbrock, counsel et Marine Besson, collaboratrice, Bird & Bird reviennent sur la réforme du droit des contrats.

Longtemps annoncée, la réforme du droit des contrats aura bien lieu. L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a été publiée au Journal Officiel de la République Française du 11 février 2016 et affecte de nombreux aspects de notre droit.

L’ordonnance apporte, d’une part, ce qui était prévu : une nouvelle rédaction plus cohérente et lisible du Code Civil dans son ensemble qui, par ailleurs, reflète davantage la jurisprudence existante.

En outre, elle apporte des nouveautés au sein du paysage juridique français qui ne vont pas manquer de surprendre les acteurs économiques.

Les dispositions de la réforme entrent en vigueur à partir du 1er octobre 2016 pour tout nouveau contrat conclu à partir de cette date.

Cet article se concentre sur trois aspects de la réforme qui vont au-delà d’une clarification ou d’une reformulation de l’état actuel du droit positif et qui constituent de véritables modifications novatrices du Code Civil :

1 - Possibilité de révision judiciaire d’un contrat en cas d’imprévision ;

2 - Nouvelle obligation d’information précontractuelle en matière de pourparlers ; et

3 - Nouveaux droits en vue de modifier le prix convenu.

Possibilité de révision judiciaire d’un contrat en cas d’imprévision :

La théorie classique de l’autonomie de la volonté, jusqu’alors principe directeur du droit des contrats, a pris le parti d’ériger le juge en "ennemi contractuel numéro un" (D. Mazeaud).

Fondée sur le principe de l’intangibilité des conventions, cette théorie développée par la jurisprudence repose sur l’impossibilité pour le juge d’intervenir judiciairement dans la sphère contractuelle. A titre d’exemple, l’incontournable arrêt Canal de Crapone (Civ. 6 mars 1876), rendu au visa de l’article 1134, a introduit en droit français le principe de l’interdiction faite au juge de réviser un contrat pour imprévision1.

Cette théorie a néanmoins subi quelques assouplissements de la part d’une jurisprudence tantôt modérée, tantôt plus frondeuse. 

Par un arrêt de 1995, la Cour de Cassation a accordé au juge le pouvoir de sanctionner un prix abusif (Ass. Plénière, 1er décembre 1995, n°91-15.578). A première vue progressiste, cette décision n’en a pas moins été rendue en tenant compte de la théorie de l’intangibilité. Les pouvoirs de sanction du juge ont ainsi été limités au prononcé de la résiliation du contrat ou l’octroi d’une indemnité.

C’est par une jurisprudence du 29 juin 2010, que la Cour de Cassation a, pour la première fois, amorcé une certaine rupture avec la jurisprudence Canal de Crapone (Com. 29 juin 2010, n°09-67.369). Dans cet arrêt à contre-courant et plutôt isolé pour le moment, les juges ont admis qu’ensuite de la survenance de circonstances imprévisibles, le contrat désormais dépourvu de cause était caduque.

En parallèle, les praticiens ont mis en place des mécanismes contractuels leur permettant de réviser un contrat en cas de circonstances imprévisibles. C’est ainsi que sont notamment nées les clauses de sauvegarde (ou de « hardship »)2 et d’indexation3, dont la validité a été admise par la jurisprudence. Si ces types de clause offrent aux parties la possibilité de réviser le contrat en cas de circonstances imprévisibles, elles n’autorisent pas pour autant le juge à s’immiscer dans la sphère contractuelle afin d’imposer une révision lui paraissant opportune.

L’ordonnance précitée apporte une évolution plus que notoire sur ce point. A compter du 1er octobre 2016, les juges du fond auront la possibilité, sur demande des deux ou d’une seule des parties, d’intervenir en révision du contrat en cas d’imprévision.

Le nouvel article 1195 du Code Civil dispose que "si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe".

Bouleversement majeur, cet article permettra ainsi à une partie de demander la révision de son contrat en cas de changement de circonstances imprévisible et excessivement onéreux.

Le juge pourra mettre fin au contrat ou bien imposer une révision sans l’accord de l’autre partie et ceci même si une telle mesure n’a jamais été envisagée, ni imaginée au moment de la conclusion du contrat. Il incombera à la jurisprudence de définir la notion de "changement de circonstances imprévisible et excessivement onéreux".

Si elles le souhaitent, les parties pourront sans doute s’accorder et choisir d’exclure l’application de cette disposition dans le cadre de leurs conventions, à condition que l’exclusion soit stipulée de façon non-équivoque.

Nouvelle obligation d’information précontractuelle en matière de pourparlers :

Erigeant en principes directeurs l’analyse classique de la formation du contrat et le principe de liberté contractuelle, les dispositions actuelles du Code Civil se concentrent sur la rencontre des consentements des parties sans statuer sur une responsabilité précontractuelle des pourparlers.

Bien que les parties demeurent libres de conclure un contrat à l’issue de la période des pourparlers4, la Cour de Cassation a apporté plusieurs tempéraments au principe de liberté contractuelle en instaurant notamment un régime de responsabilité délictuelle en cas d’abus du droit de rupture unilatérale des pourparlers5.

Par un arrêt de 1995, la Cour de Cassation a accordé au juge le pouvoir de sanctionner un prix abusif.

La théorie classique de l’autonomie de la volonté, jusqu’alors principe directeur du droit des contrats, a pris le parti d’ériger le juge en « ennemi contractuel numéro un » (D. Mazeaud).

L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 consacre ce tempérament par la nouvelle rédaction de l’article 1112 du Code Civil qui met à la charge des parties aux pourparlers une obligation d’agir de bonne foi dans le cadre de l’initiative, du déroulement mais également de la rupture des négociations précontractuelles.

En outre, la réforme instaure notamment une véritable obligation d’information précontractuelle au-delà de tout précédent existant dans la jurisprudence.

En effet, le nouvel article 1112-1 prévoit que : "Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation.

Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.

Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir

Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entrainer l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants".

La rédaction de cette disposition est telle que si un contractant omet une information significative lors des pourparlers sans intention de nuire, comme, par exemple, la simple inadvertance, celui-ci pourrait voir son contrat annulé et être condamné à payer des dommages et intérêts à son ancien co-contractant.

Cette disposition modifie radicalement l’environnement et la stratégie autour des négociations contractuelles. Désormais, chacun va devoir évaluer les informations dont il dispose et, si nécessaire pour les besoins du contrat, les communiquer à son partenaire en conservant une trace écrite de leur transmission pour les besoins de la preuve.

Enfin, puisque les parties d’un accord ne pourront pas exclure cette obligation, on peut se demander si la disposition pourrait être invoquée par la partie lésée devant les tribunaux français quand bien même le contrat en question ne serait pas régi par le droit français.

Nouveaux droits en vue de modifier le prix convenu :

Le nouvel article 1223 introduit, pour la première fois, le droit de demander une réduction proportionnelle du prix convenu comme moyen de réparation. Jusqu’ici, cette faculté était plutôt réservée aux organismes de l’état et aux entreprises publiques dans les contrats régis par le droit administratif.

A présent, l’article 1223 est rédigé comme suit :

"Le créancier peut, après mise en demeure, accepter une exécution imparfaite du contrat et solliciter une réduction proportionnelle du prix.  S’il n’a pas encore payé, le créancier notifie sa décision de réduire le prix dans les meilleurs délais."

Ce droit pourra s’avérer particulièrement utile et efficace pour les acheteurs dans le cadre de projets de construction ou projets informatiques lors desquels les imperfections dans l’exécution sont relativement fréquentes. Au lieu de retenir l’intégralité du paiement qui constitue généralement une mesure disproportionnée, le créancier pourra « ajuster » son prix et le payer au prestataire. Ce dernier aura la charge de contester, le cas échéant, la solution devant les tribunaux.

Autre évolution intéressante, le nouveau Code Civil reconnait expressément l’existence des contrats cadres aux termes de son nouvel article 1111 et la possibilité, dans un contrat cadre, d’envisager la fixation ou la modification du prix unilatéralement par l’une des parties à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation. Les abus peuvent être sanctionnés par l’octroi des dommages et intérêts (art.1164).

Enfin, l’article 1165 est novateur en ce qu’il prévoit que « dans les contrats de prestations de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation. En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande en dommages et intérêts. »

Le nouveau Code Civil affirme donc expressément que tout contrat de prestations de service peut valablement être conclu sans mécanisme de détermination du prix sauf dispositions légales particulières. Une clarification forte utile.

 Eric Wallenbrock, counsel et Marine Besson, collaboratrice, Bird & Bird

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NOTES :

1. Voir également : Civ. 15 avril 1872, Foucault et Coulombe, sur le principe de l’interdiction de dénaturation du contrat par le juge.

2. Voir en ce sens : CA Paris, 1ère Ch., 28 septembre 1976 sur la renégociation d’un prix en application d’une clause de sauvegarde.

3. Voir en ce sens : Civ. 3ème, 11 décembre 2013, n° 12-22.616 sur la licéité des clauses d’indexation se référant à un indice de base fixe.

4. Voir en ce sens : Civ. 3ème, 28 juin 2006, n°04-20.040 sur la réaffirmation de la liberté contractuelle comme principe fondamental en droit des contrats.

5. Voir en ce sens : Com. 20 mars 1972, n°70-14.154 sur la responsabilité en cas de rupture fautive des pourparlers.


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