Grâce ou à cause du retentissement médiatique de certaines affaires, plus personne n’ignore ce qu’est l’arbitrage. Un événement de networking au féminin co-organisé par l’association Arbitral Women et August & Debouzy au lendemain de la journée de la femme constitue l’occasion de faire le point sur l’engagement et la présence des femmes dans ce secteur du droit.
L’arbitrage est un mode de résolution alternatif des différends dans le cadre duquel au lieu de présenter leur litige aux juridictions judiciaires nationales, les parties choisissent de confier sa résolution à un tribunal arbitral dont elles auront (directement ou indirectement) choisi les membres. Il ne s’agit donc pas comme dans la médiation ou la conciliation de se mettre d’accord sur une issue transactionnelle mais bien d’obtenir une décision à caractère juridictionnel qui pourra faire l’objet de mesures d’exécution forcée suite à une intervention minimale du juge judiciaire.
L’arbitrage international, parce qu’il présente de nombreux avantages - flexibilité, adéquation aux affaires internationales du fait de l’application de règles de caractère transnational, confidentialité, compétence et qualité des arbitres, etc. - est un secteur en forte croissance depuis une vingtaine d’années. Toutefois, la place que les femmes occupent, comme conseils des parties et comme arbitres y demeure particulièrement limitée. Ainsi, si l’on considère le nombre de désignations de femmes en tant qu’arbitre, les chiffres qui circulent dans la communauté de l’arbitrage international sont glaçants : 6,5 % des arbitres seraient des femmes1.
Comparant l’incomparable, ce chiffre apparaît bien faible, même en prenant pour étalon le barreau de Paris, au sein duquel "le pourcentage d'associées excédait tout juste les 20 % dans les 100 plus importants cabinets d'affaires"2. Le chiffre déploré par la presse française concernant les avocats d’affaires en général est, malgré tout, trois fois supérieur à celui déploré par la communauté de l’arbitrage international.
Au lendemain de la journée de la femme, l’association Arbitral Women créée dans le but d’encourager le développement de réseaux entre femmes, organisait un "speednetworking". Cet événement co-organisé par le cabinet August & Debouzy dont la pratique "arbitrage international" est incarnée par deux associées : Marie Danis et Carine Dupeyron, a permis de rassembler environ 60 professionnelles de l’arbitrage (5 experts financiers, 2 universitaires, et 8 membres d’institutions d’arbitrage, les autres participantes étant toutes avocates). Une dizaine de ces femmes environ intervient comme arbitre.
Les participantes, interrogées sur ces faibles statistiques, ont des opinions très diverses quant aux origines de ce "plafond de verre" dans le secteur de l’arbitrage où la reconnaissance de ses pairs est une des clefs du succès.
Un manque de confiance
Pour certaines, il s’agirait d’un manque de confiance réciproque que les femmes se font entre elles, créant une absence de cercle vertueux : avant de nommer une femme arbitre, une directrice juridique attendra des preuves concrètes de sa compétence et de son expérience en tant qu’arbitre, tandis qu’un directeur juridique ferait plus naturellement confiance à un avocat ou confrère qu’il connaîtrait, exigeant moins de preuves tangibles de son parcours. Les femmes arbitres ayant ainsi moins d’opportunités d’être nommées, elles acquièrent plus lentement -voire pas du tout- le "track record" nécessaire.
Peu de réseau
D’autres pensent qu’elles n’ont pas suffisamment valorisé la nécessité de "réseauter" par le passé ou que les cabinets d’avocats favorisent toujours les hommes quand il s’agit de confier une mission de "business development".
Conservatisme
Une jeune femme ayant rejoint une institution d’arbitrage nous indiquait qu’elle était surprise que les comités chargés d’élaborer des listes de noms à proposer pour les cas où l’institution doit intervenir dans le choix de l’arbitre proposent systématiquement des noms relativement conservateurs et surtout ne proposent quasiment jamais de femmes pour un rôle de présidente du Tribunal.
Quelles que soient les raisons, elles doivent appartenir au passé et l’avenir des femmes dans le monde de l’arbitrage dépend aujourd’hui de leur visibilité, de leur dynamisme et d’une forme de communauté d’intérêts, leurs compétences et leur sérieux n’étant ni discutables, ni discutés. En outre, de nombreuses initiatives concrètes récentes dont la création de groupes de jeunes de l’arbitrage et plus récemment même de groupes de "très jeunes" praticiens de l’arbitrage, encouragent tous les professionnels de la matière, en ce compris les femmes bien sûr, à rencontrer leurs confrères au stade le plus précoce de leur carrière afin de gagner en visibilité et partager leurs préoccupations propres dont, sans doute, celle d’être arbitre un jour !
Flore Poloni, Avocate senior, August & Debouzy Avocats
A propos
ArbitralWomen : association créée par Louise Barrington et Mirèze Philippe qui avait pour objectif que les femmes se connaissent et se soutiennent entre elles. La création de cette association se basant sur le fait que les réseaux qui existaient déjà naturellement chez les hommes devaient être créés de manière officielle pour les femmes3. ArbitralWomen organise des événements de networking autour de toutes les conférences majeures en matière d’arbitrage à travers le monde et met à la disposition de la communauté arbitrale les CV des arbitres qui sont ses membres4.
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NOTES :
1. Annalise Nelson, “The representation of women in arbitration – one problem two issues” (2012 -kluwerarbitrationblog.com), citant diverses études dont une réalisée par Madame Lucy Greenwood qui aurait reçu des statistiques de la part de la Stockholm Chamber of Commerce et de la London Court of International Arbitration. A noter selon la même source que pour l’arbitrage CIRDI, en mai 2010 seulement 4% des arbitres étaient des femmes avec Gabrielle Kaufmann-Kohler et Brigitte Stern, recevant 75% de ces mandats.
2. http://business.lesechos.fr/directions-juridiques/0203450675779-egalite-hommes-femmes-les-cabinets-d-avocats-ont-encore-du-travail-63349.php?IAogH0sd9g5kvi9y.99
3. L’association a été institutionnalisée en 2005 – davantage d’informations sur le site internet de l’association : www.arbitralwomen.com
4. Pour la dernière newsletter interrogeant des femmes pratiquement les modes de règlement alternatif des différends en Afrique :
http://www.arbitralwomen.com/files/founder/55031608553221.pdf