Enquête interne et défense pénale : un collectif d’avocats publie un rapport en faveur de la protection des salariés et des dirigeants

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À ce jour, les enquêtes internes (investigations mises en place de façon privée au sein d’entreprises) se déroulent en France hors de tout cadre juridique permettant d’assurer les droits de la défense des personnes physiques visées par celles-ci. Pourtant, ces enquêtes connaissent un essor important et constant en France, notamment depuis l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2. Partant de ce constant, un groupe de travail composé d’avocats s’est réuni pour étudier le sujet et publie ce jour un rapport contenant un état des lieux de la situation ainsi que des recommandations.

Plusieurs catégories d’enquêtes internes

Le rapport identifie deux grandes catégories d’enquêtes internes : celles initiées à la suite d’une alerte, rumeur ou dénonciation et celles mises en place à la suite de suspicions formulées par une autorité de poursuite ou une organisation publique, française ou étrangère. Les enjeux de ces enquêtes peuvent différer en partie les uns des autres- le risque de poursuite pénale étant de surcroît plus direct et important dans le dernier cas de figure. Le rapport considère toutefois que ces deux types d’enquêtes sont indissociables en ce que, régies par la même pratique, celles-ci se déroulent aujourd’hui de façon similaire et exposent les personnes physiques concernées à des potentielles poursuites pénales.

L’absence de cadre juridique garantissant le respect des droits de la défense

L’enquête interne demeure aujourd’hui un sujet non encadré (à l’exception de règles spécifiques propres, notamment celles relatives à la protection des données à caractère personnel), dont le législateur ne s’est pas encore emparé, alors que les enjeux induits par cette enquête sont significatifs.

Il est relevé en ce sens par le rapport l’existence d’une pluralité de risques pour les individus visés par ces enquêtes et notamment celui que les conclusions de l’enquête puissent servir de fondement au prononcé d’une sanction disciplinaire ou soient utilisées dans le cadre d’une procédure diligentée par les juridictions répressives, françaises ou étrangères.

En effet, le risque pénal pour les personnes physiques n’est pas à négliger - d’autant moins, notamment, que les règles dégagées par la jurisprudence sociale en matière d’enquêtes internes permettent uniquement de définir les conditions dans lesquelles un salarié peut contester une sanction disciplinaire qui se fonderait sur les résultats d’une telle enquête interne, mais pas de contester, devant le juge pénal, l’admissibilité des éléments d’une telle enquête.

La nécessaire application de garanties procédurales

Le rapport souligne qu’il existe un ensemble de droits de la défense applicables, de manière large, à tout type d’enquête pénale et soutient que les caractéristiques de l’enquête interne devraient lui permettre de bénéficier d’un certain nombre de ces garanties procédurales.

En ce sens, il explore les parallèles qui pourraient être faits avec les enquêtes prévues par la procédure pénale française et évoque également, par analogie, la position du droit américain, qui tend à reconnaître l’applicabilité des règles de procès équitable à l’enquête interne.

LES RECOMMANDATIONS         

Les auteurs du rapport recommandent que les droits préconisés suivants trouvent une application systématique à l’occasion des enquêtes internes mises en place dans le cadre d’une négociation avec des autorités de poursuite (françaises ou étrangères) mais puissent éventuellement être adaptés aux spécificités de la situation dans le cadre d’enquêtes internes mises en place plus spontanément à la suite d’un soupçon, d’une alerte ou d’un quelconque besoin de vérification au sein de l’entreprise :

  • Auditions
    - notification écrite, dans un délai raisonnable avant l’audition (au moins 3 jours ouvrables sont suggérés) :
         o du droit à l’avocat et à l’interprète pour toute personne auditionnée ;
         o du caractère non coercitif de l’audition ;
         o du droit au silence ;
         o des éventuels griefs pesant sur la personne entendue ;
    - limitation de la durée maximale d’audition ;
    - information de la personne entendue, en début d’audition, de la possibilité dont elle dispose de mettre fin à l’audition lorsqu’elle le souhaite (ce droit n’empêchant pas en revanche l’employeur de déduire toute conclusion de son exercice) ;
    - rédaction d’un procès-verbal relu et signé par la personne auditionnée à l’issue de l’audition. Dans le cas d’auditions ayant été programmées sur une durée longue (plusieurs jours), la personne auditionnée devrait pouvoir bénéficier d’un délai supplémentaire de relecture si elle en fait la demande ;
    - possibilité de produire des observations écrites à l'issue de l'audition concernant le contenu ou les conditions de celle-ci, annexées au procès-verbal d’audition.
  • Accès partiel au dossier
    - avant chaque audition : accès, pour toute personne auditionnée contre laquelle il existe des soupçons, dans un délai raisonnable avant l’audition (au moins 3 jours ouvrables sont suggérés), aux documents la concernant directement, en ce compris les documents où elle est mentionnée en relation avec le sujet central du document concerné, même si elle n’est pas le rédacteur, l’expéditeur ou le destinataire de ce document et/ou tous les documents qui seront visés dans une question qui lui sera posée ;
    - à l’issue de l’enquête : accès et copie, pour toute personne contre qui des griefs sont retenus dans le rapport d’enquête final, aux seuls extraits du rapport la concernant directement, sur demande de l’intéressé.
  • Clôture du dossier
    - à l’issue de l’enquête : information des personnes soupçonnées durant l’enquête de la clôture du dossier et information sur les suites données à ce rapport (notamment sa transmission éventuelle).

LE RAPPORT :

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* Groupe de travail dirigé par Dorothée Hever, Avocat au Barreau de Paris et composé de :
- Nicolas Brooke, Avocat au Barreau de Paris (Signature Litigation)
- Emmanuel Daoud, Avocat au Barreau de Paris (Vigo)
- Marine Doisy, Avocat au Barreau de Paris (Vigo)
- Lucie Mongin-Archambeaud, Avocat au Barreau de Paris (Osborne Clarke)
- Samuel Sauphanor, Avocat au Barreau de Paris (Le 16 Law)
- Alix de Saint Germain, Avocat au Barreau de Paris (Doumic Avocats)


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