Les biotechs font leur entrée dans le dispositif de contrôle des investissements étrangers en France

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Bertrand Baheu-Derras, avocat à la Cour, counsel au sein du cabinet Aramis, livre son analyse sur la récente décision du Gouvernement de soumettre à son contrôle les investissements étrangers réalisés au sein des biotech françaises.

Les biotechs n’échappent pas à la grande volatilité des marchés depuis le début de la crise sanitaire du Covid-19. Après une chute de 25 % en un mois, le repli du CAC Health Care se situe désormais autour de 10 %. Si certaines biotechs ont vu leur cours flamber, d’autres nombreuses ont accusé une très forte chute, sans compter toutes celles non cotées en bourse. Dans ce contexte de plus grande vulnérabilité à des prises de participations ou rachats, le Gouvernement vient de soumettre à son contrôle les investissements étrangers dans les biotechnologies françaises.

Notion d’investissement étranger en France

Si « les relations financières entre la France et l’étranger sont libres », cette liberté est soumise au contrôle du Gouvernement pour certains investissements étrangers dans certains secteurs d’activités sensibles. Une série de textes a étendu ce contrôle ces dernières années. Les derniers sont la loi PACTE et son décret d’application en vigueur depuis le 1er avril 2020, dans la droite ligne du règlement européen du 19 mars 2019 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union.

Qu’entend-on par « investissement étranger en France » ? Il s’agit d’un investissement réalisé en France par un étranger. Un investissement en France consiste en la prise de contrôle, l’acquisition de tout ou partie d’une branche d’activité ou le franchissement du seuil de 25 % des droits de vote d’une entité de droit français.

L’investissement peut ainsi prendre des formes variées : souscription au capital d’une société, achat d’actions, offre publique, acquisition de fonds de commerce, fusion, etc. Son montant est sans importance.

Un étranger est une personne physique de nationalité étrangère, une personne physique de nationalité française mais dont le domicile fiscal est à l’étranger, une entité de droit étranger ou une entité de droit français mais contrôlée par une ou plusieurs personnes ou entités tombant dans l’un des cas précédents.

Inclusion des biotechnologies dans les secteurs d’activités sensibles

Un tel investissement est soumis à autorisation préalable du Gouvernement lorsqu’il est effectué dans une activité en France qui, notamment, est de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale.

Sont entre autres visées les activités de recherche et développement portant sur des technologies critiques dont la liste est définie par arrêté. Par arrêté du 27 avril 2020, le ministre de l’économie et des finances vient précisément d’y inclure les biotechnologies. Rappelons que l’intelligence artificielle et la robotique figuraient déjà dans cette liste, technologies au cœur des medtechs qui sont donc susceptibles d’être visées par la procédure d’autorisation préalable.

Biotechs susceptibles d’être visées

Tout investissement étranger dans une biotech française est-il alors soumis à autorisation préalable du Gouvernement ? La réponse à cette question procède en deux temps.

Tout d’abord, il faut que l’activité de la biotech porte sur des infrastructures, biens ou services essentiels. Cette condition peut être difficile à appréhender car elle revient à se demander si la solution développée par la biotech est essentielle pour le pays. Cela état, l’expérience montre que cette condition peut être interprétée largement par le Gouvernement.

Ensuite, il faut que les biotechnologies soient destinées à être mises en œuvre dans l’un des secteurs d’activités sensibles. Parmi ceux-ci, figure tout particulièrement la protection de la santé publique. Une biotech développant un médicament dans le domaine de la santé humaine est donc fortement visée.

Pour une biotech intervenant dans un autre secteur d’activité, il faut identifier si celui-ci correspond à un secteur d’activité sensible. Ainsi, une biotech développant un biocarburant est susceptible d’être visée puisque l’intégrité, la sécurité ou la continuité de l’approvisionnement en énergie constitue un secteur d’activité sensible. De même pour une biotech développant un traitement de la pollution de l’eau puisque l’intégrité, la sécurité ou la continuité de l’approvisionnement en eau constitue un autre secteur d’activité sensible. Ou encore une biotech dans le domaine agricole puisque la production, la transformation ou la distribution de produits agricoles constitue également un autre secteur d’activité sensible.

Dans le doute, il est possible de saisir le ministre chargé de l’économie d’une demande préalable d’examen afin de savoir si l’activité relève de la procédure d’autorisation préalable.

Finalement, on voit que l’arrêté 27 avril 2020 semble apporter plus une précision qu’une nouveauté : les biotechnologies, dès lors qu’elles intervenaient dans l’un de ces secteurs d’activités sensibles, étaient déjà appréhendées par la catégorie plus vaste de celui-ci. L’arrêté apporte éventuellement une clarification : les biotechnologies visées ne sont pas uniquement celles disponibles sur le marché mais également celles encore au stade de la R&D.

Vers un plus difficile accès au financement pour les biotechs françaises1 ?

On sait combien les biotechs ont régulièrement besoin de lever des fonds substantiels. C’est même la préoccupation majeure des entrepreneurs qui y consacrent en moyenne 35 % de leur temps. On sait également leur difficulté à lever des fonds toujours plus importants. Cette inclusion des biotechnologies dans le champ de la procédure d’autorisation préalable crée-t-elle un obstacle de plus ?

Qui dit autorisation préalable ne dit pas interdiction de principe, ni refus systématique. Certes, elle constitue une étape supplémentaire dans la réalisation d’un projet d’investissement par un investisseur étranger. Mais il n’y est soumis que s’il porte sur plus de 25 % (ou 10 % dans une société cotée2) et s’il est réalisé par un investisseur étranger non européen. Or, dans les faits, la plupart des investisseurs dans les biotechs françaises sont français ou européens. Un tiers seulement des healthtechs (dont les biotechs constituent environ la moitié) a un ou plusieurs investisseurs étrangers au capital et sur l’ensemble d’elles, 93 % du capital restent détenus par des investisseurs européens. La portée de cette inclusion semble donc à relativiser.

Bertrand Baheu-Derras, avocat à la Cour, counsel au sein du cabinet Aramis.


1. Source : Panorama France Healtech 2019, France Biotech.

2. Le Gouvernement a annoncé que le seuil de 25 % serait prochainement abaissé à 10 % pour les investissements non européens dans des sociétés cotées, jusqu’au 31 décembre 2020.


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