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Comment améliorer les méthodes de travail du Conseil constitutionnel ?

Noëlle Lenoir, avocate à la Cour et membre honoraire du Conseil constitutionnel, s’interroge sur la pratique du commentaire autorisé qui accompagne chaque décision du Conseil. Forte de son expérience au sein de cette institution, elle livre une réflexion sur la transparence et la motivation des décisions.

Dans le dernier numéro de l’Actualité Juridique du Droit Administratif (n°19), divers articles sont consacrés à l’avenir, c’est-à-dire aussi au présent, du Conseil constitutionnel. Ils sont tous particulièrement intéressants et documentés. Le seul regret est que la revue n’ait pas sollicité les anciens membres ou secrétaires généraux du Conseil constitutionnel. Cela aurait permis de faire valoir une vision un peu moins professorale du fonctionnement interne du Conseil.  

Faut-il supprimer le commentaire autorisé publié avec chaque décision du Conseil constitutionnel ? 

Parmi les propositions qui sont formulées dans ce numéro de l’AJDA figure la disparition des « commentaires » autorisés du Conseil qui sont aujourd’hui publiés sur le site internet avec chaque décision et avec le « dossier documentaire » renfermant tous les textes et toute la jurisprudence sur lesquels le Conseil s’est fondé pour parvenir à la décision. De prime abord, cette proposition intrigue tant ce commentaire éclaire des décisions avant tout abstraites et peu motivées. Les auteurs de cette proposition (pages 949 et 950) se plaignent de ne pouvoir réfuter un commentaire « forcément exact au sens juridique du terme » car « contredire l’interprétation du commentaire, c’est contredire le Conseil constitutionnel lui-même… ». Aussi est-il suggéré que le Conseil renonce à cette publication pour exprimer « plus clairement les précédents jurisprudentiels sur lesquels il s’appuie ou en évoquant les différentes options qui se présentent à lui dans le cas d’espèce ». 

Cette remarque n’est pas dénuée de tout fondement. L’un des motifs pour lesquels en effet notre jurisprudence constitutionnelle est moins comprise et donc moins utilisée par les justiciables et les cours et tribunaux étrangers que d’autres, tient à ce qui est regardé comme de la sous-motivation. Aussi les décisions de notre juge constitutionnel sont-elles difficilement compréhensibles pour qui n’est pas familiarisé avec cette approche minimaliste : l’absence de narratif, le fait qu’il n’y ait pas d’exposé véritablement étayé des arguments en présence et de références jurisprudentielles, voire doctrinales dans le corps des décisions du Conseil constitutionnel les fait parfois regarder en effet comme des « arrêts de règlement ». Leur caractère apparemment péremptoire n’est pas sans heurter certains interlocuteurs à l’étranger, et même en France. 

Pour atténuer la rigueur de cette appréciation, on peut opposer deux remarques : 

  • D’une part, l’efficacité de la jurisprudence constitutionnelle en France est inégalée au sens où les décisions du Conseil constitutionnel interviennent dans le mois – pour ce qui est du contrôle de la loi a priori, c’est-à-dire avant sa promulgation – et dans les trois mois – en cas de transmission d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC). Aucune Cour constitutionnelle ou suprême au monde ne statue dans des délais aussi rapides et aussi certains, puisque fixés par des textes organiques (Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel). 
  • D’autre part, la décision, pour sous-motivée qu’elle puisse paraître, est tout de même éclairée par le dossier documentaire qui accompagne sa publication et le commentaire « officiel » émanant du service juridique du Conseil dont le Secrétaire général qui assiste à toutes les séances, même celles tenues secrètes du contrôle a priori.  

Explorer la mise en disposition de référendaires auprès de chaque membre du Conseil constitutionnel

Il faut cependant admettre que le commentaire des décisions ainsi publié ne tient pas compte des nuances entre les membres qui s’expriment lors des débats particulièrement nourris au sein du collège dans le cadre du contrôle a priori et lors du délibéré sur les QPC. Lorsque je siégeais au Conseil (1992-2001), comme accrédité par les procès-verbaux des séances maintenant accessibles au public (et dont la rédaction échappe totalement aux membres étant le seul fait du Secrétaire général et du service juridique, par conséquent non soumise pour validation aux membres, ce qui est en soi un problème), un temps était consacré à la discussion générale sur la loi. Compte tenu de l’expérience politique de beaucoup de membres, c’était un moment passionnant. Ensuite, la discussion au sein du collège porte sur les articles et les moyens invoqués par les requérants, disposition par disposition. C’est alors que des divergences peuvent apparaître alors même qu’in fine, en général, la grande majorité, sinon l’unanimité du collège, adopte la décision préparée entre le rapporteur membre du Conseil et le service juridique. 

Le rôle joué par le commentaire autorisé dans l’explicitation de l’interprétation des décisions du Conseil constitutionnel présente des inconvénients si, compte tenu du délai nécessaire à sa formalisation, la décision publiée sur le site du Conseil sans son commentaire est d’intérêt dans un contentieux. 

On peut penser à cet égard que le jugement du 31 mars du tribunal correctionnel de Paris condamnant Madame Le Pen et des députés européens de son parti à l’inéligibilité avec exécution provisoire, aurait pu être différent si le commentaire de la décision publiée n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025, M. Rachadi S. était paru en même temps que ladite décision. Le commentaire insiste en effet sur le caractère inédit d’une réserve d’interprétation en matière d’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, appelant à tenir étroitement compte de la proportionnalité de l’atteinte ainsi portée au « droit d’éligibilité » qu’il convient selon le Conseil constitutionnel de borner (le terme est fort) « à l’aune des exigences d’égalité devant le suffrage et de liberté de l’électeur ».  

L’emprise du service juridique du Conseil constitutionnel sous la houlette du Secrétaire général a toujours été naturellement très importante. Elle est sans doute encore accentuée aujourd’hui du fait de la multiplicité des saisines et de la mise en circulation dans les semaines précédant la séance (publique ou non) d’une note juridique sur le texte déféré au Conseil établie par le service juridique. 

Dans ce contexte, une façon de réconcilier la brièveté des délais impartis au Conseil constitutionnel pour délibérer sur une décision et l’impératif d’une motivation plus étayée et contradictoire dans l’énoncé des arguments « pour » et « contre », et donc plus intelligible pour les citoyens, serait de renoncer au système du « pool » juridique en transformant le service juridique en une instance de coordination et de référence à l’instant où les projets de décision des membres sont étudiés par leurs référendaires. Chaque membre du Conseil serait, selon cette nouvelle organisation, doté de deux ou trois référendaires pour l’assister dans ses missions d’analyse juridique et de préparation des décisions (si elle ou il est rapporteur) et des débats en séance du Conseil.  

C’est le système adopté au sein de pratiquement toutes les cours suprêmes des pays de Common Law (singulièrement, la Cour suprême des États-Unis), mais aussi dans les tribunaux constitutionnels des pays de droit écrit en Europe. Ainsi, au Tribunal constitutionnel allemand à Karlsruhe, les juges disposent de 3 ou 4 référendaires chacun qu’ils choisissent parmi les meilleurs diplômés en droit. 

Le service juridique du Conseil est d’un très haut niveau d’excellence, mais il faut tenir compte de la période actuelle qui invite plus que jamais à confronter les points de vue entre juges constitutionnels de sensibilités et de divers horizons, ce qui doit se faire avant le délibéré du collège. 

Et pourquoi pas les opinions dissidentes et concurrentes ? 

La seconde étape, qui dépend largement de cette première réforme qui ne requiert, elle, l’adoption d’aucun nouveau texte, serait d’autoriser les opinions dissidentes et concurrentes des membres, à l’instar de ce qui existe à la Cour suprême des États-Unis ou à la Cour européenne des droits de l’homme, par exemple. Je l’avais proposé dans l’entretien publié dans la Revue Débat (n° 114 (mars-avril 2001) après ma rencontre avec Marcel Gauchet. Je maintiens, près de 25 ans après, cette proposition qui me semblerait ouvrir de manière heureuse un espace de respiration et d’innovation juridique à l’ère de la montée des critiques des décisions du Conseil constitutionnel en particulier et des décisions de justice en général, un phénomène largement lié à l’instantanéité de la diffusion des idées que permettent les réseaux sociaux ; pour le meilleur et pour le pire.  

Noëlle Lenoir, avocate à la Cour, membre honoraire du Conseil constitutionnel  

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