Tribune de Pierre-Olivier Sur, avocat de Claude Palmero, ancien bâtonnier de Paris.
Alors que, progressivement, les masques tombent à Monaco et que l’on découvre que l’éviction de Claude Palmero du Palais princier correspondait en réalité à de la basse besogne, une mise en scène poutinienne a été conçue pour remettre en selle l’image du Prince Albert, quand médias et réseaux sociaux commencent à répandre la réalité de la situation monégasque. Qu’on en juge : ses conseillers lui préparent un 14 mars de fête, pour son anniversaire, avec un rassemblement inédit sur la place du Palais entre 11 h 15 et 12 h 30, avec l’appui d’une grande agence de communication parisienne, de la presse locale et de relais locaux, tous orientés. Tout est prévu : les heures de fermeture des bureaux, le bain de foule, le gâteau, le joyeux anniversaire chanté par la foule. Selon les organisateurs, cette manifestation est organisée parce que « notre modèle, nos institutions et notre image sont mises en danger ».
Le journal Libération avait titré « Ubu Loi » il y a quelques semaines dans un article consacré à la misère de l’État de droit à Monaco. En fait, nous y sommes ! Ce régime anachronique de confusion et de concentration des pouvoirs ne peut survivre que dans un théâtre de poche ou via le microsystème néo-mafieux qu’il nourrit. La preuve, c’est l’affaire Palmero - le fidèle administrateur des biens du Prince ayant succédé à son père et adepte de la lutte contre la corruption, révoqué ad nutum de façon offensante et humiliante ! Or le sens des premières décisions de justice monégasques tente de lui faire comprendre qu’il serait sans accès au droit et sans recours judiciaire, du fait qu’il n’aurait été embauché ni par une personne physique ni par une personne morale, mais par « une maison souveraine », insusceptible de devoir rendre des comptes à un magistrat !
Comment croire qu’il existerait encore en Europe un État dont, selon la Constitution, l’exécutif relève de la haute autorité du Prince (art 3), le législatif est partagé entre le Prince et le Conseil National (art 4), et le judiciaire appartient au Prince qui nomme les membres du Tribunal Suprême (art 88) ? Faut-il rappeler que toutes les monarchies constitutionnelles européennes respectent, au contraire, la séparation des pouvoirs et que le gouvernement y est responsable devant le Parlement ?
Aujourd’hui, la juridiction internationale de Strasbourg est saisie de trois requêtes distinctes concernant Monaco. Et nul n’imagine la Cour Européenne des Droits de l’Homme ne pas sanctionner un tel système d’abus de pouvoir. Par ailleurs, l’organisme Moneyval, qui dépend du Conseil de l’Europe et qui est chargé d’assurer une lutte anti-blanchiment efficace harmonisée en Europe, devrait hélas mettre à l’index Monaco dans les tout prochains mois.
Alors, que peut rechercher Claude Palmero vis-à-vis d’une situation qui finalement concerne plus l’intérêt général que lui-même ?
Pendant deux générations, son père et lui ont fidèlement servi les Princes et la Couronne, sans que jamais ni l’honneur de la fonction, ni les lumières projetées sur le Rocher, ne leur fassent perdre la tête. Et si au début de l’affaire en cours, Claude Palmero se serait peut-être contenté d’une marque de reconnaissance (mais pas d’argent) pour pallier les raisons sulfureuses de sa révocation… maintenant que les procédures ont été lancées, il ne poursuit qu’une volonté de réparation au nom de certaines valeurs. C’est l’histoire d’Edmond Dantès, dénoncé comme conspirateur et jeté en prison sans procès. Puis vint la réparation morale de devenir symboliquement Comte à son tour, de Monte-Cristo, pour dénoncer la mafia et la corruption.
Quand on a souffert de l’injustice, il y a trois réponses possibles : le dédommagement financier pour soi-même, l’expiation par la souffrance pour l’auteur, la certitude du « plus jamais ça » pour les autres. C’est la troisième voie qu’a choisie Claude Palmero.
Claude Palmero luttait depuis des années contre la corruption et des intérêts financiers hégémoniques. Ce n’est pas par hasard qu’il a été brutalement évincé en juin 2023 après plus de 20 ans de loyaux services pour le Prince et la Principauté. L’étrange alignement auquel l’on assiste à Monaco depuis son départ en dit malheureusement long.
Devant une telle situation, on ne peut s’empêcher de penser au formidable discours fondateur que le Prince Albert avait prononcé lors de son avènement le 22 juillet 2005. Il s’engageait à faire de Monaco « une société modèle, un modèle de société », et soulignait qu’argent et vertu devaient « se conjuguer en permanence ». « Notre puissance doit être avant tout une puissance éthique », avait-il aussi déclaré. Alors qu’un grand bond en arrière est en cours à Monaco, que des intérêts puissants accentuent leur mainmise sur le richissime micro-État, que l’État de droit reste en pointillés et que l’arbitraire, l’impunité et le sentiment de toute-puissance semblent avoir désormais le champ libre, la question au Prince Albert qui vient naturellement à l’esprit est : « Monseigneur, qu’avez-vous fait de votre promesse ? ».
Pierre-Olivier Sur
Avocat de Claude Palmero
Ancien bâtonnier de Paris