L'obligation de déclaration de soupçons incombant aux avocats français ne viole pas l'article 8 de la Convention EDH relatif au droit au respect de la vie privée.
L'adoption par la Commission européenne d'une série de directives transposées en droit français et visant à prévenir l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment des capitaux, a aboutit à une obligation pour les avocats de déclarer les soupçons qu’ils pourraient avoir en la matière à l’égard de leurs clients, lorsque, dans le cadre de leur activité professionnelle, ils les assistent dans la préparation ou la réalisation de transaction concernant certaines opérations définies, ou participent à des transactions financières ou immobilières ou agissent en qualité de fiduciaire. Ils doivent communiquer leurs déclarations, selon le cas, au président de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ou au bâtonnier de l’ordre auprès duquel ils sont inscrits, à charge pour ces derniers de les transmettre à la "cellule de renseignement financier national" (Tracfin). Le conseil national des barreaux (CNB) a d'ailleurs pris une décision qui, notamment, rappelle cette obligation et impose aux avocats la mise en place de procédures internes relatives aux diligences à accomplir lorsqu’une opération paraît susceptible de faire l’objet d’une "déclaration de soupçon". Le fait de ne pas se conformer à ce règlement est passible de sanctions disciplinaires.
Soutenant que cette obligation faite aux avocats est contraire au principe de respect du secret professionnel prévu par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, un avocat français a saisi la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH).
Dans un arrêt du 6 décembre 2012, la CEDH juge que si l'article 8 protège la confidentialité de toute "correspondance" entre individus, ce principe souffre d'une exception qui est la poursuite d'un but légitime, en l'espèce, l'importance de la lutte contre le blanchiment de capitaux mise en place par les Etats. Il convient donc de mettre l'importance du secret professionnel en balance avec celle de la lutte contre le blanchiment de capitaux issus d’activités illicites, susceptible de servir à financer des activités criminelles.
Elle rappelle alors d'une part que le fait que les avocats ne sont astreints à l’obligation de déclaration de soupçon que pour des activités éloignées de la mission de défense confiée aux avocats, similaires à celles exercées par les autres professionnels soumis à cette obligation. Au surplus, la loi précise que les avocats n’y sont pas assujettis lorsque l’activité dont il est question se rattache à une procédure juridictionnelle et, en principe, lorsqu’ils donnent une consultation juridique. L’obligation de déclaration de soupçon ne touche donc pas à l’essence même de la mission de défense qui constitue le fondement du secret professionnel des avocats.
D'autre part, la Cour rappelle également que les avocats ne communiquent pas directement les déclarations à Tracfin mais, selon le cas, au président de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ou au bâtonnier de l’ordre auprès duquel ils sont inscrits. Il peut être considéré qu’à ce stade, partagé avec un professionnel soumis aux mêmes règles déontologiques et élu par ses pairs, le secret professionnel n’est pas altéré.
La Cour juge donc que l’obligation de déclaration de soupçon incombant aux avocats dans le cadre de la lutte contre le blanchiment ne porte pas une atteinte disproportionnée au secret professionnel.