Autopsie d’un crime : au-delà de l’extinction de l’action publique (Troisième partie)

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IIIᵉ partie – L’autopsie psychologique d’un criminel défunt : où est le problème ? par Frédérique Fiechter-Boulvard, Maître de Conférences en Droit privé, Université Grenoble Alpes, Faculté de Droit, CRJ.

Alors qu’aux États-Unis l’autopsie psychologique constitue une pièce de la procédure pénale ayant force probante, en France l’outil est mis en œuvre au stade expérimental. Tout comme l’expertise, elle ne saurait constituer qu’un indice éclairant le juge. Par principe, l’examen psychologique est réalisé au cours de l’enquête ou de l’instruction afin d’établir, si besoin, l’état psychique du suspect toujours en vie, au temps de l’action (Art. 122-1 s. CP). L’expertise est essentielle dans la mesure où elle participera à la mise en œuvre de la responsabilité pénale de la personne poursuivie, éventuellement atténuée, ou, dans le cas contraire à sa mise à l’écart. Comment comprendre alors qu’une expertise puisse être requise quand le suspect est mort et que le procès ne pourra avoir lieu ? La principale des raisons réside dans la préoccupation grandissante de la compréhension de l’acte criminel. Cette compréhension participe directement à la politique criminelle préventive. La préoccupation du devenir des victimes directes qui survivent ou des victimes par ricochet, proches de la victime décédée, est également à prendre en considération de manière essentielle. Elle s’inscrit d’ailleurs également dans la prévention du crime.

Que l’auteur de l’acte homicide soit vivant ou décédé, l’examen de son état psychique est toujours réalisé a posteriori, c’est-à-dire après le passage à l’acte. Et dans les deux situations, il s’agit de se demander si l’individu avait toutes ses facultés au moment de la commission de l’infraction. C’est donc l’enjeu qui diffère. Dans le premier cas, l’expertise commande en partie le sort pénal de l’auteur, dans le second cas, elle renseigne les victimes et les autorités judiciaires. Dans le premier cas, l’expertise s’inscrit parfaitement dans les enjeux de la procédure pénale, ses principes et ses effets. Dans le second cas, elle apparait plus discutable dans la mesure où on dépasse précisément ces enjeux.

Quand certains dénoncent la place de la victime dans le procès pénal, on conçoit que la première critique qui pourrait être invoquée à l’encontre de l’autopsie psychologique est qu’elle sert les intérêts des victimes, non ceux du procès pénal. Pourtant, nous ne le pensons pas. Dans la mesure où l’auteur du crime est décédé, l’examen réalisé n’a certainement pas pour objectif d’aggraver une sanction qui ne sera pas prononcée. Elle a pour unique objectif de renseigner les vivants, sans pour autant servir les intérêts civils (Question à l’Assemblée Nationale n°84344, JO 20 juillet 2010, p.8049).

Y aurait-il un risque d’alourdir la procédure pénale ? Sur le terrain juridique, des investigations peuvent être menées alors même qu’aucune infraction n’est constatée et que seule une mort suspecte mérite enquête. A fortiori, le suspect qui s’est donné la mort après avoir commis un homicide suscite de nombreuses interrogations qui doivent trouver réponse. L’autopsie psychologique y participe grâce, notamment, à la participation des proches qui trouveront également quelques réponses au crime (Art. 164 CPP). Surtout, la procédure est donc tout à fait envisageable et son parcours déjà dessiné.

Dans l’étude la plus récente de l’Inserm, et uniquement à propos des actes suicidaires isolés, il est proposé que tous les médecins amenés à constater la mort par suicide mentionnent un obstacle médicolégal à l’inhumation sur le certificat de décès. Suivrait alors la saisine d’un service de médecine légale par le Procureur en vue de procéder à une autopsie et à un examen toxicologique. Enfin, la police judiciaire, dans le cadre d’une enquête, renseignerait les données personnelles et sociales du défunt, son état de santé et son statut toxique. Ces préconisations conduisent à ne pas laisser les suicides dans l’indifférence et à explorer toutes les données susceptibles d’être recueillies alors, ceci dans le cadre de la recherche clinique sur les suicides, afin d’améliorer la connaissance statistique et épidémiologique en la matière. Selon nous, la procédure est facilement transposable dans les affaires criminelles. Lorsque l’auteur de l’infraction s’est suicidé, les informations recueillies sur les causes des décès sont essentielles pour les deux familles. Mais, avant tout autre chose, il faudra établir que la personne décédée par suicide est bien auteur de l’homicide commis sur la victime directe. C’est déjà ce qui doit être fait lors de l’enquête préliminaire où il convient d’administrer la preuve du fait criminel et de l’identité de son auteur. Les affaires d’homicide-suicide n’y échappent donc pas. L’autopsie psychologique s’ajoute à ces investigations. Il s’agit alors de dupliquer une procédure réclamée en matière de recherche sur le suicide, aux affaires criminelles. Il y a là identité de protocole.

En effet, les mêmes champs d’investigation pourraient être explorés alors que l’on constate que les propositions couvrent le même champ lexical. Il en est ainsi des circonstances de l’acte suicidaire. A leur propos il est question de s’intéresser à la préparation, à la préméditation et aux moyens utilisés. Or, les mêmes questions se posent en matière pénale : l’acte infractionnel a-t-il été préparé, prémédité et quels moyens matériels ont été mis en œuvre ? De même, l’histoire familiale, l’environnement social, le parcours de vie, les antécédents de conduites suicidaires font écho à l’enquête de personnalité (Art. 81 al.6 CPP)..

Ainsi, les rouages du procès sont bien installés et permettent de répondre favorablement à l’autopsie psychologique en matière criminelle sans coût supplémentaire mais avec un profit humaniste sans conteste. L’autopsie psychologique s’inscrit dans ces entrevues d’enquête auxquels tous les proches de l’affaire judiciaire sont susceptibles de participer. A propos de ces entrevues d’enquête, le code de procédure pénale prévoit que les victimes pourront se voir remettre une copie de tout ou partie du dossier de la procédure (Art. 77-2 CPP), et que les avocats des parties pourront recevoir copie du rapport d’expertise (Art. 166 CPP). C’est dire que tout est en place pour accueillir et développer l’autopsie psychologique en matière judiciaire sans que ne soit nécessaire une quelconque consécration législative, la formulation des textes applicables à l’enquête et à l’instruction étant suffisamment générale et précise pour ce faire.

Au fond, il ne resterait peut-être qu’une seule réserve, celle de la fiabilité du diagnostic psychiatrique post-mortem. Aux dires des praticiens, le travail de l’expert réalisé sur un sujet décédé ne diffère pas foncièrement de celui réalisé sur un sujet en vie. Une fois l’expertise réalisée, l’expert procèdera à une description des opérations d’expertise réalisées, énoncera ses conclusions avant de remettre le rapport d’expertise et les scellés éventuels au greffier de la juridiction ayant ordonné l’expertise (Art. 166 CPP). Ainsi, il est indéniable que l’autopsie psychologique pourrait constituer un outil complémentaire à l’approche des homicides-suicides que l’on médiatise de plus en plus, qu’il s’agisse des homicides-suicides familiaux ou des homicides-suicides terroristes.

Frédérique Fiechter-Boulvard, Maître de Conférences en Droit privé, Université Grenoble Alpes, Faculté de Droit, CRJ.

Voir aussi :

Autopsie d’un crime : au-delà de l’extinction de l’action publique (Première partie : L’autopsie d’un crime :  remède au procès qui ne se tiendra pas)

Autopsie d’un crime : au-delà de l’extinction de l’action publique (Deuxième partie : L’autopsie psychologique d’un criminel défunt : où est le problème ?)


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