Réussir son installation aux États-Unis en tant qu’avocat : parcours, défis et conseils

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S’installer et exercer en tant qu’avocat aux États-Unis est un défi de taille, mais c’est un pari réussi pour Flore Brunetti, avocate en droit de la propriété intellectuelle travaillant principalement dans le domaine de l’audiovisuel. Membre des barreaux de New York et de Paris, elle revient sur son parcours entre la France et les États-Unis, partage son expérience et livre des conseils précieux pour les jeunes avocats souhaitant suivre le même chemin.

Pour commencer, pouvez-vous revenir sur votre parcours universitaire et professionnel ?

J'ai commencé mon cursus en France. Après un master en propriété intellectuelle appliquée, j’ai eu l’opportunité de réaliser un stage dans la branche contenus et nouveaux médias d’un groupe audiovisuel, ce qui a conforté ma volonté de travailler dans ce domaine. Ce secteur marqué par une constante interaction avec des distributeurs, producteurs, et talents américains est par nature très international. J’ai été très tôt attirée par les États-Unis qui possèdent une industrie audiovisuelle particulièrement dynamique.

À la fin de mes études, j'ai décidé de poursuivre un LLM aux États-Unis. L'objectif était de comprendre les différences entre le cadre juridique français et américain, notamment dans le secteur de la propriété intellectuelle et de la protection des droits des auteurs et artistes interprètes. Cette expérience m'a aidée à mieux appréhender la culture juridique des entreprises avec lesquelles nous travaillons quotidiennement.

Comment avez-vous commencé votre carrière ?

De retour en France, j'ai intégré un cabinet français dirigé par une associée américaine, travaillant avec des studios et distributeurs américains. Mon rôle consistait à accompagner les clients du cabinet dans chaque étape du développement, de la production, et de la distribution de films et séries dans un contexte international (une production américaine faisant l’objet d’un tournage en France ou travaillant avec des artistes français par exemple), ce qui impliquait la négociation de contrats variés entre la France et les États-Unis.

Après près de trois ans dans ce cabinet, j’ai ressenti le besoin de voir comment mon expertise européenne pouvait être valorisée dans un cabinet américain. J'ai alors pris la décision de déménager aux États-Unis, sans opportunité professionnelle assurée à ce moment-là. J'avais essayé de contacter des professionnels depuis la France, mais il était difficile d'obtenir des opportunités à distance. Être sur place a fait une grande différence.

Comment avez-vous trouvé votre poste actuel ?

Il m’a fallu plusieurs mois pour trouver une collaboration dans le secteur très spécifique de l’audiovisuel et de la création de contenu. Durant cette période, j’ai accepté un poste temporaire en propriété intellectuelle plus généraliste. Pour maximiser mes chances, j'ai intégré plusieurs associations professionnelles et organisé des conférences offrant une perspective européenne sur des problématiques de création et distribution de contenu à l’international.

L’un des éléments qui m’a permis de me démarquer a été la rédaction et publication d’articles juridiques en anglais, démontrant ainsi ma maîtrise de la langue et de la culture juridique américaine, ainsi que la valeur ajoutée d’une perspective transatlantique.

Quelle valeur ajoutée vous apporte votre expérience en France dans votre pratique aux États-Unis ?

Mon expérience en France m’offre une connaissance approfondie du marché français et européen de la production et de la distribution, qui se distingue fortement du marché américain, notamment en termes de culture juridique. Aux États-Unis, le droit d’auteur repose sur le principe du work for hire, selon lequel les sociétés de production et les studios détiennent généralement tous les droits. En revanche, le droit français protège davantage les artistes, qui conservent leurs droits sauf cession expresse et bénéficient de la protection de leur droit moral. Cette divergence fondamentale peut complexifier la négociation de contrats internationaux en raison des pratiques sectorielles distinctes.

Maîtriser ces deux systèmes et leurs règles respectives permet non seulement d’expliquer aux clients et aux parties prenantes la perspective des autres intervenants pour une meilleure compréhension des attentes, mais aussi de proposer des solutions adaptées aux deux cadres juridiques. Bien que les contrats avec des entreprises américaines soient souvent soumis au droit américain, il est essentiel de trouver des compromis respectant les exigences des deux parties afin de parvenir à des accords équilibrés.

Cette double expertise est un atout aussi bien pour les clients américains collaborant avec des talents français et européens que pour les producteurs et créateurs français cherchant une représentation aux États-Unis.

Quels conseils donneriez-vous à des avocats souhaitant s’installer aux États-Unis ?

  1. Maîtriser l’anglais juridique : Lorsque l’anglais n’est pas notre première langue, le premier obstacle consiste à convaincre les recruteurs d’une parfaite maîtrise de l’anglais juridique, aussi bien à l’oral qu’à l’écrit. Si l’aisance orale peut être démontrée en entretien, l’aisance écrite peut être plus délicate à illustrer, et la publication d’articles en anglais est un atout important.
  2. Avoir la formation adéquate : La formation juridique classique aux États-Unis consiste en l’obtention d’un "Juris Doctor" (JD) en trois ans. Néanmoins, les étudiants ayant un niveau d’étude équivalent en France ou à l’étranger peuvent postuler directement pour un ‘Master of Laws’ (LLM) qui s'obtient en un an dans une université américaine et permet de passer le barreau de New York, qui est lui-même indispensable pour pouvoir y exercer.
  3. Valoriser une expertise unique : Montrer en quoi son profil international est une valeur ajoutée dans un secteur donné.
  4. S’impliquer dans des associations professionnelles : Cela permet de rencontrer des praticiens, de se créer un réseau, et de démontrer son implication et son expertise auprès de professionnels du secteur.
  5. Rédiger des publications juridiques : Publier des articles dans des revues spécialisées est un bon moyen de gagner en visibilité et de démontrer son expertise dans un secteur donné.
  6. Contacter des professionnels aux profils similaires : Ne pas hésiter à envoyer des emails ou à utiliser LinkedIn pour échanger avec des personnes ayant suivi un parcours similaire, d’autant qu’il existe une forte entraide à l’international.
  7. Se renseigner sur les cabinets d’avocats recrutant des internationaux : Identifier les cabinets travaillant avec une clientèle internationale, valorisant l’expérience à l’étranger et les compétences linguistiques, et ayant déjà recruté des avocats internationaux ou des titulaires de LLMs. Ces cabinets sont plus susceptibles de valoriser des parcours juridiques diversifiés et d’offrir des opportunités à des avocats ayant une expérience internationale.

Pouvez-vous décrire votre quotidien professionnel actuel ?

Je me concentre principalement sur la négociation et la rédaction de contrats dans le domaine audiovisuel, couvrant tous les aspects de la production, de la distribution et du financement de films, séries, et documentaires. Je travaille également sur des projets de podcasts et plus généralement de création de contenu et réalise des clearances pour ces projets, ce qui consiste à examiner les œuvres afin d’identifier d’éventuelles problématiques juridiques (par exemple en matière de respect du droit d’auteur des tiers et de diffamation).

Comment voyez-vous votre avenir professionnel ?

Si je n’exclus pas un retour en France à terme, mon expérience aux États-Unis est extrêmement enrichissante. Elle me permet d’acquérir une vision plus internationale et business du métier, ce qui est essentiel dans cette industrie, et je souhaiterais continuer à me développer professionnellement au sein de mon cabinet actuel et contribuer à renforcer sa présence internationale, notamment en Europe.

Propos recueillis par Arnaud Dumourier


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