IA générative et métiers du droit : un rapport d'information du Sénat formule 20 propositions

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Le rapport d’information de Christophe-André Frassa et Marie-Pierre de la Gontrie sur les effets de l’intelligence artificielle générative sur les métiers du droit vient d'être publié. La mission formule 20 propositions pour garantir l’appréhension éthique et déontologique de ces technologies, au service des justiciables.

Depuis son émergence à la fin de l’année 2022, l’intelligence artificielle générative a révolutionné de nombreux secteurs, y compris celui du droit. Cette technologie, capable de simuler des processus de pensée humaine, a déjà transformé la façon dont les professionnels juridiques travaillent et interagissent avec leurs clients. Toutefois, ces avancées technologiques s'accompagnent de défis éthiques, déontologiques et matériels qui doivent être soigneusement gérés.

Les auteurs du rapport ont constaté que « l’intelligence artificielle générative a rapidement trouvé une application dans le domaine du droit. Grâce, notamment, à sa capacité de contextualisation du sens d’un mot, elle permet en effet de surmonter la difficulté, qui paraissait infranchissable, de maîtrise du langage naturel ».

L'IA peut accomplir des tâches variées, telles que la recherche juridique, la synthèse documentaire ou la rédaction de documents standardisés. Cependant, cette capacité est limitée par des facteurs tels que les hallucinations de l’IA, la qualité des données utilisées et les biais de conception.

Elle offre des opportunités en termes de gains de temps, de productivité, d'amélioration de l'accès au droit et de prévisibilité de la justice.

Une adoption inégale selon les professions juridiques

Les avocats, notaires et juristes d’entreprise ont rapidement adopté ces outils pour gagner en efficacité et se concentrer sur des tâches à forte valeur ajoutée,

Les juridictions souffrent d’un retard technologique important, freinant l’intégration des outils d’IA générative. Bien que des projets soient en cours pour développer des outils spécifiques (comme la retranscription et la synthèse de documents), l’équipement informatique des juridictions reste largement insuffisant. Les rapporteurs préconisent un investissement accru et la nomination de référents en IA dans chaque juridiction.

Formation : une condition indispensable

La formation des professionnels du droit est essentielle pour assurer une utilisation responsable et efficace de l’IA générative.

Les écoles de droit adaptent leurs programmes pour inclure des modules sur l’IA générative, tout en préservant l’enseignement des fondamentaux juridiques. L’objectif est de former des juristes capables de travailler avec ces outils sans en devenir dépendants.

De même, les ordres professionnels et les écoles de droit élargissent progressivement leur offre de formation continue pour inclure l’usage de l’IA générative. L’accent est mis sur des approches innovantes, telles que le « reverse mentoring », où de jeunes professionnels familiarisent leurs aînés avec ces outils.

Nécessité de stabilité normative

Les outils d’intelligence artificielle générative doivent respecter un cadre juridique strict, incluant le Règlement européen sur l’intelligence artificielle (RIA) et le RGPD. Le RIA, en vigueur depuis août 2024, classe ces outils comme « à haut risque » et impose des règles restrictives, tandis que le RGPD interdit le profilage et l’automatisation complète des décisions.

Les professionnels du droit doivent également respecter leurs obligations déontologiques. Les codes de bonne conduite, en cours d’élaboration, apporteront une garantie supplémentaire.

Enfin, les rapporteurs insistent sur la nécessité de stabilité normative et déconseillent de nouvelles législations avant l’application complète du RIA.

LES 20 PROPOSITIONS :

Proposition n° 1 : Informer systématiquement l’utilisateur sur les risques d’erreurs de tout résultat fourni par une intelligence artificielle générative et sur la nécessité de vérifier ledit résultat, et l’orienter, lorsque cela est pertinent, vers un professionnel du droit.

Proposition n° 2 : Affiner le moteur de recherche de Légifrance pour permettre à l’usager du service public de l’information légale de formuler ses questions en langage naturel.

Proposition n° 3 : Définir légalement la consultation juridique en actualisant la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

Proposition n° 4 : Favoriser la montée en compétence des assistants juridiques au sein des cabinets, notamment en leur confiant des tâches de vérification des résultats de l’intelligence artificielle générative.

Proposition n° 5 : Favoriser l’accès des plus petites structures aux outils d’intelligence artificielle générative en mutualisant, au sein de chaque ordre, le coût de ces abonnements.

Proposition n° 6 : Établir des règles claires et transparentes d’usage de l’intelligence générative artificielle au sein de chaque profession, notamment par la rédaction d’une charte éthique ou d’un guide d’utilisation, transposées ensuite dans chaque cabinet ou juridiction.

Proposition n° 7 : Nommer un référent – ou une commission – au sein de chaque ordre professionnel, chargé de suivre les effets de l’intelligence artificielle générative sur la profession, identifier les dérives possibles, lancer des procédures de sanctions disciplinaires en cas de mésusage et mettre à jour le guide de bonnes pratiques.

Proposition n° 8 : Sans imposer d’obligation légale, conseiller dans les guides d’usage propre à chaque profession que, dans un souci de transparence, l’utilisation des outils d’intelligence artificielle générative ne doit pas être dissimulée au client.

Proposition n° 9 : Mettre à niveau les juridictions judiciaires et administratives en matière d’équipement informatique, d’automatisation des tâches et d’outils internes de recherche jurisprudentielle.

Proposition n° 10 : Nommer un ou plusieurs référents en matière d’intelligence artificielle au sein de chaque juridiction.

Proposition n° 11 : Anonymiser les magistrats et les greffiers dans les décisions de justice publiées en données ouvertes.

Proposition n° 12 : Préciser, dans chaque convention de stage des étudiants en droit et en particulier des élèves-avocats, les conditions d’utilisation des outils d’intelligence artificielle générative pendant le stage.

Proposition n° 13 : Inciter les écoles de droit à souscrire des abonnements à des outils d’intelligence artificielle générative spécialisés dans le droit et en fournir l’accès aux étudiants, afin que ces derniers travaillent sur des résultats sourcés plutôt qu’avec des outils généralistes.

Proposition n° 14 : Poursuivre – et accélérer – l’adaptation de la formation continue aux enjeux et à l’utilisation de l’intelligence artificielle générative.

Proposition n° 15 : Encourager de nouvelles modalités de formation, qui favorisent notamment la formation des professionnels les plus expérimentés par de jeunes collaborateurs compétents en matière d’intelligence artificielle (« reverse mentoring »).

Proposition n° 16 : Veiller à la formation de l’ensemble du personnel – et non seulement des professions juridiques – aux enjeux de l’intelligence artificielle générative.

Proposition n° 17 : Développer une certification ou un label public à la destination des éditeurs juridiques et des jeunes entreprises innovantes du secteur qui s’engagent à respecter certaines bonnes pratiques, relatives tant au traitement des données
qu’au fonctionnement du logiciel d’intelligence artificiel générative.

Proposition n° 18 : Inciter les administrations souhaitant se doter d’outils d’intelligence artificielle juridique à privilégier ceux développés en France ou au sein de l’Union européenne, dans le respect du code de la commande publique et de la réglementation
européenne.

Proposition n° 19 : Poursuivre, améliorer et canaliser l’accompagnement que l’État apporte aux entreprises innovantes et aux éditeurs juridiques.

Proposition n° 20 : Sécuriser la réutilisation des informations publiques contenues dans les décisions de justice rendues avant l’ouverture des données juridiques, ce au regard de l’interdiction de traitement des données sensibles établie par le RGPD.


Arnaud Dumourier


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