« Une bonne justice résout efficacement et équitablement le conflit en ne se limitant pas au seul litige »

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Maîtres Célina Guichenduc et Ibrahim Gabriel Hage Chahine, jeunes avocats inscrits respectivement aux barreaux de Paris et de Beyrouth, familiers des modes amiables de règlement des conflits (MARC), répondent aux questions de leur confrère David Lutran, avocat au barreau de Paris et médiateur agréé du Centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris (CMAP), à l’occasion d’un entretien en octobre 2020. Ils livrent leur conception de la défense et s’expriment sur le bon usage des MARC – et de la médiation au premier chef – dans l’exercice de leur profession, l’avantage tant pour le client que pour l’avocat d’y avoir recours et l’impérieuse nécessité de sensibiliser très tôt les avocats à cette pratique.

David Lutran : Vous êtes tous deux jeunes avocats. Pourquoi avoir choisi ce métier ?

Ibrahim Gabriel Hage Chahine : Plusieurs raisons m'ont conduit à choisir le métier d'avocat. D'abord, je suis né et ai grandi au sein d'une famille d'avocats. Par conséquent, j'ai été initié au droit dès mon plus jeune âge et je partage de ce fait les valeurs que devrait partager tout avocat, telles que la loyauté, l'honnêteté, la dignité, l'humilité, la courtoisie, la discrétion, la prudence, etc. Ensuite, j'ai choisi le métier d'avocat car c'est un métier libéral exclusif de tout lien de subordination, lui permettant d’exercer sa profession comme il l'entend. Enfin, le métier d'avocat ne connaît pas (ou peu) la routine. D'une part, le droit est mouvant et comprend une multitude de disciplines (droit civil, commercial, pénal, droit de la famille, droit administratif…). D'autre part, le métier d'avocat comprend des tâches très diverses : fourniture de conseils, rédaction d’actes, plaidoiries, transactions, etc…

Célina Guichenduc : Passionnée par le droit depuis ma première année à l’Université, je ne me suis toutefois intéressée au métier d’avocat qu’à l’issue de mon Master 2 de Droit des Affaires Internationales à l’Université Panthéon Assas lorsque j’ai effectué mon premier stage en cabinet d’avocats. Le métier d’avocat est particulièrement riche et stimulant puisqu’il requiert une grande capacité d’analyse et de raisonnement, outre l’apprentissage continu des règles et de la jurisprudence, en constante évolution. L’avocat dispose également d’une grande liberté du fait de son indépendance dans l’exercice de son métier, et notamment la recherche de la meilleure stratégie de défense de ses clients.

David Lutran : Qu’est-ce qu’être avocat ? Quel avocat aimeriez-vous devenir ?

Célina Guichenduc : Le rôle de l’avocat ne se limite pas à la transmission d’informations juridiques et à la rédaction d’écritures. Il en endosse en réalité plusieurs : stratège, technicien, conseiller, confident de son client. L’avocat accompagne son client dans tous les aspects de son dossier et est, de ce fait, son interlocuteur privilégié et chargé de faire la liaison entre différents intervenants (experts, avocats, magistrats, huissiers, notaires, parties adverses…).
J’aimerais accompagner la transformation du métier d’avocat avec l’essor des nouvelles technologies, du Legal Design, des modes alternatifs de règlement des litiges, pour les mettre au service des clients et leur proposer un service clair, transparent, de qualité et adapté à leurs besoins.

Ibrahim Gabriel Hage Chahine : Être avocat n'est pas simplement une profession, c'est une mission : garantir la justice et défendre les droits et libertés publiques des individus, contribuant ainsi au développement de la société.

J'aimerais me spécialiser en propriété intellectuelle. C'est à travers la protection de la propriété intellectuelle que je pourrai en effet contribuer à la promotion du développement de la société que ce soit au niveau économique, social, culturel, scientifique ou encore technologique.

David Lutran : Quelle définition donneriez-vous de l’intérêt du client pour lequel vous travaillez ? Qu’est-ce que défendre ?

Ibrahim Gabriel Hage Chahine : L'intérêt du client est double : éviter le conflit d’une part, résoudre le conflit d’autre part.

Dans cette perspective, "défendre" consisterait à faire valoir les droits et intérêts du client et donc à le protéger et le prémunir de la survenance de conflits et, le cas échéant, les résoudre.

Célina Guichenduc : L’intérêt du client est propre à son histoire et à son ressenti. Si les dossiers se ressemblent parfois, l’intérêt du client sera toujours différent d’un individu à un autre. Rechercher l’intérêt du client signifie aller au-delà de ses positions, rechercher avec lui ce qui améliorerait sa situation personnelle en cessant de se focaliser uniquement sur les autres parties prenantes du dossier.

Défendre, c’est tout mettre en œuvre pour satisfaire l’intérêt de son client, tant en matière de conseil que de contentieux, dans la limite de ce qu’il est matériellement et juridiquement possible d’obtenir.

David Lutran : Quel regard portez-vous sur la justice dans vos pays respectifs ? Qu’est-ce qu’une bonne justice selon vous ?

Célina Guichenduc : La justice en France souffre du manque de moyens et de l’engorgement des tribunaux, réalité exacerbée par la crise sanitaire actuelle qui a entravé son fonctionnement pendant de nombreux mois et retardé d’autant le traitement des dossiers par les magistrats.

Les décisions de justice sont rendues des mois voire des années après la saisine d’un tribunal et sont rarement à la hauteur des attentes des justiciables, faute pour les magistrats de disposer du temps nécessaire à allouer aux dossiers qui leur sont soumis.

Une bonne justice serait donc une justice permettant aux juges de travailler dans des conditions normales et rendue dans un temps raisonnable, en phase avec la réalité des dossiers.

Ibrahim Gabriel Hage Chahine : Le système judiciaire au Liban souffre de ce qu'on a tendance à appeler “crise judiciaire", essentiellement caractérisée par la lenteur de la justice, l’engorgement des tribunaux, la complexité extrême des procédures, l’inadaptation à certains contentieux, les coûts exorbitants des procès, les soupçons de manipulation de la justice et de corruption des magistrats protégés par les politiciens.
Par ailleurs, on constate que le système judiciaire ne résout pas le conflit mais se contente uniquement de trancher le litige. Or, le conflit n’est pas le litige, qui n’est que la « partie émergée de l’iceberg ». Le conflit est en effet plus large et plus dense que le litige. Par conséquent, un litige peut être juridiquement réglé sans que le conflit qui y a donné naissance le soit.

Une bonne justice serait donc celle qui ne connaît point les griefs susmentionnés et qui résoudrait efficacement et équitablement le conflit en se limitant pas au seul litige.

David Lutran : La médiation est-elle simplement un remède à une justice défaillante, ou plus que cela ?

Ibrahim Gabriel Hage Chahine : La médiation ne peut être réduite à un simple remède à une justice défaillante, elle est plus que cela, elle est une justice en elle-même, une justice "douce", à l'opposé de la justice traditionnelle qui, elle, est violente et hostile. Ceci apparaît déjà à-travers le symbole de la Justice, dont les yeux sont bandés et qui porte un glaive là où la justice douce, celle de la médiation, serait, comme l’a soulevé le Doyen Sourioux, une justice « aux yeux ouverts et tenant entre ses doigts le lien contributif au remaillage du tissu social ».

Célina Guichenduc : La médiation est un mode alternatif de règlement des litiges, alternatif en ce sens que le justiciable a le choix entre saisir un juge et recourir à la médiation – ou un autre mode de résolution amiable – pour la résolution de son litige. La médiation n’est donc pas un simple remède, c’est un processus en soi – au même titre que la justice – pour résoudre le conflit. Cela étant, il est vrai que la médiation est de plus en plus utilisée par les justiciables pour pallier les difficultés inhérentes à la procédure judiciaire. Le législateur a également œuvré en ce sens en instaurant des cas de recours préalable obligatoire aux modes de résolution amiable des différends, avant la saisine d’un juge.

David Lutran : Quelle définition donneriez-vous de la médiation ? Avez-vous déjà assisté à une médiation ?

Ibrahim Gabriel Hage Chahine : « La médiation, qu’elle soit judiciaire ou conventionnelle, est un processus structuré reposant sur la responsabilité et l’autonomie des participants qui, volontairement, avec l’aide d’un tiers neutre, impartial, indépendant et sans pouvoir décisionnel ou consultatif, favorise par des entretiens confidentiels, l’établissement et/ou le rétablissement des liens, la prévention, le règlement des conflits ».

Cette définition est tirée du préambule du Code national de déontologie du médiateur de 2009 rédigé par le Rassemblement des Organisations de la Médiation (ROM). Elle a le mérite d'élargir le champ d'intervention de la médiation en ne la limitant pas au seul conflit, à l’inverse du droit libanais définissant la médiation comme « un mode alternatif de résolution du conflit » ayant pour but de « résoudre le conflit survenu entre les parties ». En effet, la médiation peut intervenir en dehors de tout conflit.

Plus large qu’un mode de résolution du conflit, la médiation ne consiste pas seulement à régler un conflit, elle est aussi susceptible d’établir ou de rétablir entre les parties un lien inexistant ou disparu. Dès lors, la médiation ne se définit pas à partir du conflit et peut exister sans lui.

Je n’ai toujours pas eu la chance d’assister à de véritables médiations. Cependant j’ai assisté à des médiations fictives (jeux de rôles) dans le cadre de ma formation au CPM.

Célina Guichenduc : La médiation est un mode alternatif de règlement des différends qui fait intervenir un tiers neutre, indépendant et impartial appelé médiateur, dont le rôle est d’accompagner les parties dans l’émergence d’un accord entre elles.

J’ai déjà eu la chance d’assister à une médiation en tant qu’observatrice. J’ai été stupéfaite de l’efficacité de la médiation puisque les parties sont parvenues à un accord au bout de quatre heures seulement dans un litige qui les opposait depuis deux années. Si la médiation a si bien fonctionné en l’espèce, je pense que c’est en partie lié à la volonté de l’une des parties de parvenir à un accord et sa force de proposition pour sortir du conflit.

David Lutran : Où en est aujourd’hui la médiation en France ? Au Liban ?

Ibrahim Gabriel Hage Chahine : La médiation en tant que "processus structuré" a vu le jour au Liban très récemment. Plusieurs initiatives en matière de médiation ont été conduites dans le pays, la première ayant été le Centre Professionnel de Médiation (CPM) créé au sein de l’Université Saint Joseph de Beyrouth (USJ) en 2006 (aujourd’hui le premier centre de médiation au Liban et au Moyen-Orient). La plus récente est l'adoption de la loi 82/2018 sur la « médiation judiciaire au Liban » du 10 octobre 2018, texte ayant également le mérite de prévoir, en annexe, des règles déontologiques du médiateur. Aujourd'hui, seule la médiation judiciaire est réglementée en droit libanais, la médiation conventionnelle étant toujours soumise au droit commun des contrats.

Célina Guichenduc : La médiation en France se développe progressivement même si elle demeure assez peu connue et utilisée, tant par les justiciables que par les avocats souvent plus habitués aux procédures contentieuses. De nombreux centres de médiation voient néanmoins le jour en France et l’on a parfois du mal à s’y retrouver, la profession n’étant pas réglementée à ce stade. Le législateur s’est également emparé de la médiation pour désengorger les tribunaux et tant la médiation judiciaire (qui intervient au cours de l’instance) que la médiation conventionnelle (initiée par les parties en dehors de toute instance) font partie intégrante du Code de procédure civile français.

La crise sanitaire a, sans aucun doute, amplifié le recours à la médiation et suscité l’intérêt de nombreux avocats, qui ont été nombreux à participer à des formations en ligne sur le sujet pendant la période de confinement.

David Lutran : Etiez-vous sensibles à la médiation ? Comment avez-vous été amenés à vous y intéresser ?

Célina Guichenduc : Avant de prêter serment en novembre 2019, je n’étais pas particulièrement sensible à la médiation, pour en avoir vaguement entendu parler à l’Université puis davantage à l’Ecole de Formation du Barreau de Paris. Je m’y suis réellement intéressée à l’occasion de ma collaboration actuelle où il m’a été vivement conseillé de me former aux modes amiables et notamment à la médiation afin d’être en mesure d’apporter un accompagnement juridique complet et efficace aux clients du Cabinet.

Ibrahim Gabriel Hage Chahine : La médiation et les modes amiables de résolution des litiges en général, ont suscité mon intérêt dès les premiers cours de droit à l'Université Saint Joseph de Beyrouth, où l’on enseigne que le procès doit toujours être l'ultime recours. Dans cette perspective, la résolution du litige devrait d'abord se faire à l'amiable. Il était donc naturel que je sois sensible à la médiation vu qu'elle permet de résoudre le conflit à l'amiable avant la saisine du juge.

David Lutran : Avez-vous été formés à la médiation ? Quel profit en retirez-vous dans le cadre de votre pratique professionnelle ?

Ibrahim Gabriel Hage Chahine : Je suis actuellement en train de suivre une « formation à la pratique professionnelle de la médiation » au Centre professionnel de médiation de l’USJ. Cette formation présente un double avantage : (i) mieux connaître les règles et procédures du processus de médiation pour une meilleure assistance des clients durant les séances de médiation ; (ii) une meilleure maîtrise des outils et de l’éthique de la médiation à mettre également en œuvre dans l’exercice de ma profession d'avocat : l'absence d'a priori et de préjugé, l'écoute active, l'empathie, la patience, l'humilité et surtout le fait de me concentrer sur les intérêts de mes clients et leurs véritables préoccupations plutôt que sur le seul objet du conflit.

Célina Guichenduc : J’ai été formée cette année aux modes alternatifs de règlement des litiges, dont la médiation, à l’École internationale des modes alternatifs de règlement des litiges (EIMA) créée par le barreau de Paris et l’École de formation du barreau de Paris. Je prévois de suivre une formation approfondie à la médiation en 2021.

Ma formation à l’EIMA a complètement changé ma façon d’appréhender la relation client. Les outils de la négociation raisonnée m’ont permis de recentrer mon attention sur le client, davantage que sur l’aspect purement juridique d’un dossier.

Donner la parole au client, l’écouter attentivement, reformuler ses propos, faire preuve d’empathie sont autant de moyens de renforcer la confiance entre l’avocat et son client et de faciliter la recherche de son intérêt afin d’être en mesure de lui proposer la meilleure stratégie de défense pour son dossier.

David Lutran : Avez-vous l’intention de devenir médiateurs ?

Célina Guichenduc : J’ai toujours aimé diversifier mon travail, raison pour laquelle je ne me suis pas spécialisée dans une branche du droit en particulier. Devenir médiateur me permettrait d’enrichir encore davantage ma façon de travailler et relever de nouveaux défis. Le métier de médiateur est complètement différent de celui d’avocat dans l’attitude neutre et impartiale que doit conserver le médiateur mais également complémentaire en ce qu’il requiert de maîtriser les outils de la négociation raisonnée, outils indispensables à l’avocat selon moi. C’est pour toutes ces raisons que je souhaite devenir médiateur.

Ibrahim Gabriel Hage Chahine : Oui, j'ai l'intention de devenir médiateur.

D'une part, le métier de médiateur en soi m'intéresse, celui-ci, tout comme celui d'avocat, répond à mes attentes et mon éducation. En effet, un médiateur doit disposer des qualités généralement reconnues aux avocats. Par ailleurs, le métier d'avocat et de médiateur sont similaires : les deux œuvrent à la satisfaction des intérêts des clients et à la résolution des conflits, les deux sont des métiers libéraux exclusifs de tout lien de subordination et, de ce fait, le médiateur peut exercer son métier tel qu'il l'entend. Enfin, tout comme le métier d'avocat, le métier de médiateur ne tombe pas dans la routine dans la mesure où toute affaire soumise à la médiation est unique en ses spécificités.

D'autre part, devenir médiateur me permettrait de devenir un meilleur avocat. En effet, un médiateur a une bonne connaissance des règles et procédures de la médiation et maîtrise de nombreux outils de médiation qui peuvent m'être utiles dans ma carrière d'avocat.

David Lutran : Un jeune avocat peut-il accompagner ses clients en médiation ? Le cas échéant, peut-il faire un bon médiateur pour autant qu’il ait été formé ? En quoi est-il intéressant d’être formé tôt à la médiation et aux autres modes amiables ?

Ibrahim Gabriel Hage Chahine : Il n'existe aucun texte en droit libanais interdisant à un jeune avocat – stagiaire – d'accompagner ses clients en médiation. Quant à la deuxième question, je pense qu'un avocat formé à la médiation, bien qu'étant jeune, peut faire un bon médiateur à condition d'inspirer confiance aux parties. En effet, la confiance en la personne du médiateur est une condition nécessaire à la réussite du processus de médiation. En général, un très jeune médiateur n'inspire pas confiance aux parties puisque celles-ci associent le plus souvent l'âge à la sagesse et l'expérience. Rien n'empêche toutefois les parties d’avoir une vision différente.

Il me paraît important d'être formé tôt à la médiation puisque l'ancienneté dans le domaine est souvent un critère de poids pour la désignation du médiateur.

Célina Guichenduc : Un jeune avocat, même s’il a peu d’expérience, est parfaitement compétent pour accompagner ses clients en médiation dès lors que l’avocat de médié (la partie en médiation) exerce pleinement son rôle de conseil. La différence étant qu’en médiation, l’avocat ne plaide pas son dossier et doit demeurer en retrait lors des réunions plénières.

Un jeune avocat peut également faire un bon médiateur à condition d’avoir été bien formé et de s’être suffisamment entraîné à endosser ce rôle. Pour avoir eu l’occasion de m’essayer à l’exercice dans le cadre de ma formation à l’EIMA, je peux confirmer que le métier de médiateur ne s’apprend pas en un jour et que l’expérience est nécessaire pour faire un bon médiateur.

Il est très intéressant d’être formé tôt à la médiation et aux autres modes amiables pour être en mesure de proposer à ses clients toutes les voies possibles à la résolution du conflit. Il en va du devoir de conseil de l’avocat, et particulièrement dans le contexte de la défaillance de la justice en France. Il est fréquent en outre que la résolution amiable du litige s’avère la meilleure stratégie dans un dossier. Plus l’avocat est formé tôt aux modes amiables, plus il sera en mesure de répondre aux besoins de ses clients.

David Lutran : Vos jeunes confrères manifestent-ils un intérêt pour la médiation ? Ont-ils été formés à celle-ci (par leurs patrons, à l’Université…) ?

Célina Guichenduc : Mes jeunes confrères connaissent la médiation mais n’y sont pas particulièrement sensibles faute d’avoir été formés à cette pratique. Nombre d’entre eux sont davantage attirés par le contentieux et la plaidoirie, où l’avocat peut exercer pleinement l’art du syllogisme juridique et de l’éloquence. Je pense que c’est en partie lié au fait que les jeunes avocats n’ont pas suffisamment de recul sur la profession et la nécessité de trouver des alternatives à une justice qui fonctionne très difficilement.

A l’EIMA, j’ai constaté que j’étais la plus jeune avocate tandis que la plupart de mes confrères étaient installés à leur compte depuis plusieurs années. Les modes amiables et la médiation mériteraient d’être davantage enseignés à l’Université et lors de la formation initiale des avocats afin de les préparer aux défis qui les attendent eu égard aux carences de la justice et au besoin croissant des clients de s’impliquer dans leurs dossiers et d’être éclairés sur l’ensemble des possibilités qui s’offrent à eux.

Ibrahim Gabriel Hage Chahine : A ma connaissance, parmi ceux qui ont prêté serment avec moi, je suis le seul qui a suivi une formation à la médiation.

David Lutran : Être médiateur requiert-il des compétences juridiques particulières ?

Ibrahim Gabriel Hage Chahine : La déontologie du médiateur en droit libanais oblige le médiateur à être « compétent ». Cette compétence ne l'oblige pas pour autant à disposer de compétences juridiques particulières. Simplement, la garantie de compétence du médiateur suppose d'abord une maîtrise des règles et procédures de la médiation, et ensuite que le médiateur dispose des connaissances requises pour traiter le conflit qui lui est soumis, en ce sens qu'il faut que ses connaissances soient en adéquation avec les questions que soulève le conflit. Toutefois, s'il doit agir dans le respect des lois et de l'ordre public, il n'est pas indispensable pour le médiateur qu'il ait des compétences juridiques particulières.

D'une part, le médiateur ne doit pas intervenir dans la rédaction de l'accord de médiation, d'autre part, le médiateur peut toujours réclamer, si nécessaire, le recours à d'autres professionnels pour les questions juridiques.

Célina Guichenduc : La profession de médiateur n’est pas réservée aux juristes dès lors que le médiateur ne concourt pas à la solution qui sera trouvée, ne prend pas position et ne conseille pas les parties. Son rôle est de faciliter le dialogue entre elles afin de permettre l’émergence d’une ou plusieurs solutions au conflit.

Cela étant, le médiateur qui possède de telles compétences juridiques pourrait être plus à même d’appréhender les enjeux du débat dans leur globalité et d’entendre les avocats éventuellement présents lors de la médiation.

Les compétences juridiques peuvent donc s’avérer un réel atout pour le médiateur à condition qu’elles soient utilisées à bon escient et que le médiateur ne se laisse pas influencer, consciemment ou non, par son analyse juridique du conflit. D’où la nécessité pour l’avocat qui souhaite devenir médiateur d’être correctement formé à cette pratique, qui bouleverse complètement nos habitudes et réflexes de conseil juridique.

David Lutran : Peut-il exister de « grands » médiateurs comme il existe de « grands » avocats ou de « grands » magistrats ? Dans l’affirmative, comment se distingueraient-ils ?

Gabriel Hage Chahine : Oui certainement. Ce qui permet de distinguer un grand médiateur c'est avant tout son savoir-être, autrement dit ses qualités. En effet, la médiation vaut ce que vaut le médiateur. Celui-ci devrait posséder en général les qualités suivantes : l'intelligence, la culture, le discernement, la maîtrise de soi, la bienveillance, la diplomatie, la crédibilité, la patience, la ténacité, la sagesse, la fermeté, la finesse et l'ouverture d'esprit.

D'autres critères peuvent également permettre de distinguer un « grand » médiateur, tels que (i) son CV c'est-à-dire sa formation, ses diplômes, son expérience professionnelle, son ancienneté, son appartenance à un centre de médiation renommé ; (ii) le taux de réussite des médiations menées sous sa direction et (iii) l'importance des conflits lui ayant été soumis comme médiateur.

La question de savoir s'il pourrait exister de grands médiateurs conduit à envisager celle de leur notoriété. En effet, la médiation est dominée par le principe de confidentialité. Ceci laisserait penser que le médiateur, aussi « grand » fût-il, ne pourrait être notoirement connu. Cependant, ce principe n'est pas absolu et connaît des exceptions. Il en est une qui résulte de la volonté des parties, il en est une autre, en cas de médiation institutionnelle, qui découle du devoir du médiateur de notifier le centre de médiation de l'issue de la médiation.
En effet, la déontologie du médiateur en droit libanais oblige le médiateur à rendre des rapports de médiation au centre à des fins statistiques qu'il pourrait publier, témoignant ainsi du taux de réussite des médiations menées par celui-ci. Enfin, lorsque la médiation est judiciaire, la connaissance du conflit soumis à la médiation par le public est assurée par la publicité de la décision du juge d'ordonner le recours à la médiation et par la décision d'homologation de l'accord de médiation.

Célina Guichenduc : Oui, il peut exister de grands médiateurs comme il existe de grands avocats ou de grands magistrats, étant observé que tous les grands avocats ou grands magistrats ne sont pas connus du public. Les plus connus sont ceux qui auront plaidé ou jugé des affaires très médiatisées, souvent en matière pénale. Néanmoins, d’autres moins connus voire pas du tout excellent tout autant dans leur domaine d’activité : l’avocat qui emportera la conviction du juge grâce à la qualité de ses écritures ou de sa plaidoirie ; le magistrat qui rendra une décision parfaitement motivée en fait et en droit.

De la même façon, certains médiateurs se distinguent des autres par la qualité de leur intervention, leur maîtrise des outils de la négociation raisonnée, leur discours clair et synthétique, leur personnalité rassurante, etc… Mais ces « grands » médiateurs le sont dans le huis clos de la médiation, laquelle est par nature confidentielle. Seules les parties qui auront participé à la médiation pourront reconnaître ces qualités. Les grands médiateurs sont aussi ceux qui sont passionnés par leur métier, communiquent sur le sujet, réalisent des formations et œuvrent pour une généralisation de la médiation.

David Lutran : Pensez-vous que la médiation doive se généraliser ?

Célina Guichenduc : Oui bien sûr. La médiation est un moyen de résolution des litiges rapide (quelques mois tout au plus), peu coûteux si l’on compare aux procédures judiciaires ou arbitrales, et efficace avec un taux de réussite important (plus de 80% des médiations conventionnelles débouchent sur un accord selon les statistiques du CMAP).

La médiation est également un vecteur d’apaisement des relations sociales et participe en quelque sorte de la paix sociale et économique.

Cela étant, je ne pense pas que la médiation ait vocation à remplacer la justice, mais véritablement à la compléter. L’accès au juge doit rester un droit fondamental de tout citoyen et le justiciable doit être en capacité de choisir la voie qui lui semble la meilleure pour son dossier.

Ibrahim Gabriel Hage Chahine : Faisant mien l’adage selon lequel le procès doit toujours être l'ultime recours, je pense que la médiation, et les autres modes amiables de résolution des conflits, doivent se généraliser et être considérés comme des modes principaux de résolution des conflits et non comme des modes alternatifs. En effet, ce n'est qu'après avoir épuisé tous les modes amiables que l'on devrait recourir au procès, de manière à ce que ce dernier devienne « l'alternative.

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