Après avoir statué fin 2024 sur la validité d’une clause d’obligation de cession (communément désignée « drag along »), la chambre commerciale de la Cour de cassation a, dans un nouvel arrêt en date du 12 février 20251, eu l’occasion de se prononcer à nouveau sur la validité d’un autre type de clause emblématique des pactes d’associés, les clauses d’offres alternatives. Explications par Frédéric Cohen, associé, Foley Hoag.
L’utilité des clauses d’offre alternative
Les clauses d’offre alternative semblent avoir émergé dans la pratique commerciale américaine dès les années 1960et avoir été introduites en France au début des années 1990. Elles sont utilisées dans des contextes où il y a généralement deux actionnaires (ou groupes d’actionnaires), en cas de survenance d’un conflit entre eux. On les trouve également dans les pactes régissant les joint-ventures, où elles peuvent être mises en œuvre lorsque survient un évènement susceptible de créer un désalignement des intérêts entre les partenaires, comme par exemple, un changement de contrôle, la création par l’un d’entre eux d’une activité concurrente à celle de la joint-venture ou la résiliation des accords liant la joint-venture au partenaire concerné, de telles circonstances pouvant mener à la paralysie de la coentreprise.
En cas de survenance de l’évènement autorisant la mise en œuvre de la clause, l’un des associés peut proposer à l’autre de lui céder la propriété de l’ensemble de ses titres à un prix qu’il aura – selon les termes du pacte – déterminé librement ou par application de règles spécifiques (ex. application d’une formule). L’autre associé, à réception de cette offre, pourra soit y répondre favorablement en acquérant ses titres, soit au contraire céder ses propres titres à l’associé ayant mis en œuvre la clause. La clause d’offre alternative peut également être structurée en sens inverse, l’associé à l’origine de son déclenchement ayant alors la possibilité d’acquérir les titres de son coassocié ou, en cas de refus du coassocié, de céder ses propres titres à ce dernier.
En définitive, cette clause entraîne la sortie de l’un ou l’autre des associés, à des conditions qui seront identiques quel que soit le sens de l’opération, d’où sa désignation comme « clause d’offre alternative » ou de « buy or sell ».
La clause du pacte d’associés sur laquelle la Cour de cassation a statué
Dans cet arrêt, deux associés d'une société à responsabilité limitée, détenant respectivement 40% et 60% des parts sociales, ont signé un pacte d'associés prévoyant notamment qu’« en cas de désaccord grave et persistant susceptible d'entraîner une paralysie dans le fonctionnement de la société et de porter atteinte à l'intérêt social, chaque associé pourrait proposer à l'autre associé de lui céder la totalité de sa participation au sein de la société aux prix et conditions précisés dans son offre, le bénéficiaire de l'offre disposant de trente jours pour lever l'option. » En cas de non-acceptation, l'associé bénéficiaire de l'offre s'engageait à vendre ses parts à l'associé ayant activé la clause, selon les prix et conditions initialement proposés dans son offre initiale par l’associé ayant mis en œuvre la clause.
Le pacte d’associés ne contenant aucune règle relative à la fixation du prix en cas de mise en œuvre de la clause d’offre alternative, laissant la fixation de celui-ci à la discrétion de l’associé mettant en œuvre la clause, on pouvait s’interroger sur sa validité, notamment au regard de l’arrêt récent de la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 27 novembre 2024, qui avait considéré comme nulle, sur le fondement de l’indétermination du prix, une clause de drag along permettant à un associé de forcer ses coassociés à lui céder leurs actions à un prix fixé librement par l’associé ayant activé la clause.
La Cour de cassation, dans l’examen des deux clauses – drag along et offre alternative – tire des conséquences très différentes quant au fait que le prix des actions était fixé librement par l’associé à l’origine de leur déclenchement.
Tout en réaffirmant, comme elle l'avait fait pour les clauses de drag along, que pour qu’une clause d’offre alternative soit valable, le prix de vente doit être déterminable et désigné par les parties, la Cour a fait une appréciation spécifique de cette déterminabilité au regard du caractère synallagmatique de la clause d’offre alternative. Aux termes de l’article 1106 du Code civil, « Le contrat est synallagmatique lorsque les contractants s'obligent réciproquement les uns envers les autres ». Autrement dit, pour qu'une clause soit qualifiée de synallagmatique, elle doit remplir des critères de réciprocité des contreparties entre les cocontractants et d’interdépendance des engagements ; en d’autres termes, l'exécution des engagements par l'une des parties est généralement conditionnée par l’accomplissement par la seconde partie d’autres engagements.
En l’occurrence, les obligations posées par la clause d’offre alternative sont bien réciproques et interdépendantes. La partie mettant en œuvre la clause peut obliger l’autre partie à acquérir ses titres, mais lui donne également la possibilité d’acquérir l’intégralité de ses propres titres, le prix étant dans les deux cas identiques (en général le prix est déterminé par la partie ayant mis en œuvre l’offre alternative).
Dès lors, la clause d’offre alternative constituant, selon les termes de la Cour de cassation « (…) un engagement synallagmatique librement consenti », le fait que le prix des parts sociales applicable pour la mise en œuvre de la clause d’offre alternative, ait été fixé unilatéralement par l’associé ayant mis en œuvre la clause, ne remet pas en cause le caractère déterminable de celui-ci. De plus, en raison du caractère réciproque de la clause d'offre alternative, l'associé ayant fixé le prix pour les titres de son coassocié pourrait voir ce même prix s'appliquer à ses propres titres. La Cour retient ainsi que « les modalités prévues pour la mise en œuvre de la clause permettent la détermination du prix, si la procédure a été respectée et qu'une offre remplissant les conditions prévues par le pacte d'associés a été valablement faite ».
Par conséquent, la dynamique d’une clause d’offre alternative est très différente de celle d’une promesse – engagement unilatéral par excellence – dans laquelle seul le promettant se verra imposer le prix déterminé par le bénéficiaire de la promesse, d’où une nécessité renforcée, pour assurer l’équilibre des obligations, une transparence et une indépendance dans la fixation du prix imposé au promettant par le bénéficiaire.
En revanche, un principe commun est pris en compte par la Cour de cassation pour rendre ses décisions, qu’il s’agisse des clauses de drag along ou des clauses d’offre alternative. Conformément à l’article 1104 du Code civil, la Cour rappelle que « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ». En l’occurrence, la haute juridiction a rappelé que la Cour d’appel avait vérifié l’existence du fait générateur – l’existence d’un désaccord majeur entre les associés de la société – permettant la mise en œuvre de la clause, et relevé que, dans le cas d’espèce, l’application de la clause d’offre alternative « n’était soumise à aucune condition tenant à des vérifications quelconques ».
Frédéric Cohen, associé, Foley Hoag
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