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Ils ont autour de quarante ans et ils ont fait le choix d’entreprendre. Portraits de quatre créateurs de cabinets.

Créer son cabinet et réussir dans le droit des affaires c'est possible... A certaines conditions

Les grands cabinets tiennent le marché du droit des affaires. Les secrétaires généraux et les directeurs juridiques ne veulent que des " marques " ... De tels propos sont souvent tenus et il est indéniable que l’évolution de la pratique du droit des affaires au cours de ces vingt dernières années a concentré entre les mains des cabinets importants une part considérable du marché.

Il y a cependant des avocats d’affaires qui ont fait le choix de structures dont ils sont les dirigeants et qui n’ont pas pour autant voulu sacrifier la qualité des dossiers ou l’importance des enjeux. Nous avons voulu interroger à la fois des avocats qui ont fait ce choix il y a une quinzaine d’années alors qu’ils avaient à peine trente ans ainsi que des avocats qui ont pris cette même décision plus récemment. Les témoignages sont particulièrement intéressants et nous confirment que même dans un marché très concurrentiel, il est possible de percer si on en a le talent et qu’on fait les bons choix.

Alors qu’une grande partie de la génération d’avocats qui ont autour de quarante ans aujourd’hui a été absorbée par les années de croissance des bureaux parisiens des cabinets mondiaux, il semble que les créations de cabinets se réveillent, prouvant qu’il n’est pas toujours nécessaire de travailler à 100 pour pratiquer le droit des affaires.

Les créateurs-nés

Il y a des avocats qui ont la fibre indépendante et qui ne veulent pas des contraintes et des procédures des grandes structures. Quand ces mêmes avocats veulent traiter des dossiers intéressants pour des clients importants, ils savent que l’indépendance n’est pas sans risques. Nous avons choisi deux exemples d’avocats qui, bien qu’ayant à peine trente ans, ont estimé qu’ils pouvaient se lancer dans l’arène. Créateurs de leurs cabinets, en 1994 pour l’un et en 1990 pour l’autre, nous avons décortiqué avec eux les explications de leur réussite.

Pascal Wilhelm a créé son cabinet, Wilhelm & Associés, en 1994. La structure compte aujourd’hui 5 associés et 13 collaborateurs. Il avait trente ans et avait prêté serment six ans plus tôt. Son exemple est intéressant car peu d’avocats ayant prêté serment à la fin des années quatre-vingt ont réussi à créer ex-nihilo des cabinets qui sont les conseils attitrés de certaines des sociétés françaises les plus importantes. La génération de Pascal Wilhelm est celle des avocats qui ont fourni les forces vives de l’implantation et de la croissance des cabinets anglais et américains à Paris.

Pascal Wilhelm a eu le talent de comprendre très tôt ce que d’autres avocats de sa génération ont compris trop tard. " Il fallait être un cabinet de niche dès le départ ", explique-t-il. En effet, il s’est lancé avec deux spécialités : le droit de la publicité et le droit de la distribution. Quatorze ans plus tard, il est encore fidèle à ses choix initiaux et il a été récompensé pour sa persévérance. Il est entre-autres le conseil de Canal + et d’Auchan. Malgré sa taille, son cabinet est structuré autour de trois pôles : droit économique, droit de la communication et le droit des sociétés, cette dernière équipe se consacrant essentiellement au contentieux et aux affaires de haut de bilan.

Pour Jean Reinhart, associé fondateur de Reinhart Marville Torre, cabinet de 46 avocats dont 15 associés, la création de son cabinet n’était pas préméditée. Formé pendant quatre ans chez Siméon, Moquet, Borde, il ne savait pas s’il devait suivre Siméon ou s’il devait suivre Moquet et Borde quand le cabinet a éclaté en 1990. Il décida donc de ne suivre personne et d’accrocher sa plaque avec la conviction que le cabinet qu’il allait créer devait être une structure capable d’éviter les querelles de personnes comme celles dont il venait d’être le témoin.

Jean Reinhart est un homme patient et discipliné et aussi un homme de principes. Rejoint par Laurent Marville un an plus tard, le cabinet s’est construit brique par brique et sans à-coups jusqu’à devenir ce qu’il est aujourd’hui. " Le respect de la personne est un principe fondateur du cabinet ", explique-t-il.

En plus des principes, il faut aussi des clients et Jean Reinhart a eu la chance de croiser Sega, l’ex leader mondial des jeux vidéo, dont il a accompagné la croissance, voyant son client Sega France passer de 5 à 500 salariés tout en restant fidèle à son avocat. Le cabinet a aussi beaucoup travaillé dans le secteur de la parapharmacie dans lequel il a développé une solide réputation.

Ces deux créateurs de la première heure présentent des points communs. Ils se sont lancés jeunes parce qu’ils avaient commencé à travailler dans des cabinets pendant leurs études. Une fois le CAPA en main, ils avaient plus d’expérience que leurs pairs du même âge. Ils parlent aussi dans les termes les plus élogieux de ceux qui les ont formés et inspirés. " J’ai reçu la plus belle formation, comme il n’en existe plus ", dit Pascal Wilhelm à propos de ses années passées auprès de Louis Bousquet, l’avocat historique du groupe Bouygues. Il ajoute « Mes six années au cabinet Bousquet en valent le double ». Pour Jean Reinhart, c’est le père d’un de ses proches amis qui a fait figure de mentor. " J’avais quinze ans et il m’a donné la certitude que je voulais être avocat ", dit-il. Il a commencé à travailler à quasi-plein temps dès le DEUG. Quatre ans après son CAPA, au moment de la scission du cabinet Siméon Moquet Borde, il avait huit ans de fréquentation quotidienne de cabinets d’avocats à son actif.

L’autre point commun de ces deux créateurs qui ont su hisser leurs cabinets respectifs au niveau de qualité et de réputation où ils sont maintenant, est qu’ils sont restés fidèles à leurs idées de départ, du premier jour jusqu’à aujourd’hui. Pascal Wilhelm s’est accroché à sa spécialisation sectorielle très précise quitte à refuser de nombreux dossiers. Ses méthodes de formation des collaborateurs sont les mêmes depuis treize ans. Jean Reinhart, quant à lui, a toujours estimé qu’un même avocat devait choisir entre le conseil et le contentieux et il applique cette règle depuis dix-sept ans. Aussi, n’ayant jamais cessé de vouloir que son cabinet ait un " esprit maison ", il a accompagné la croissance et la maturation de ses collaborateurs et plus de la moitié des associés du cabinet sont des collaborateurs de celui-ci.

Ces itinéraires prouvent qu’avec des idées et des approches différentes, il est possible d’arriver à de brillants résultats à condition de tenir son cap.

Les créateurs plus récents

Ils ont le même âge mais ils ont fait leurs armes ailleurs avant de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale. Aujourd’hui, de nombreux créateurs de cabinets d’avocats d’affaires sont de jeunes associés de cabinets plus établis. Certains d’entre eux ont d’abord adhéré à la culture du Big is beautiful, avant d’en revenir, d’autres ont été les jeunes associés d’avocats qui ne leur ont pas fait la place qu’ils estimaient mériter. Il y a dix ou quinze ans, la structure et la composition du marché faisaient que ces profils de créateurs de cabinets n’existaient que très rarement. Ils sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à vouloir prendre le risque d’une plus grande autonomie.

Fabrice Marchisio est un des associés fondateurs de Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral (CVML). Le cabinet a à peine quatre ans et fait déjà beaucoup parler de lui. Les fondateurs viennent de chez Darrois, Bredin Prat, Gide ou encore Eversheds. " Nous souhaitions offrir le même standard professionnel que les cabinets dans lesquels nous travaillions, dans une structure jeune et entrepreneuriale ", explique Fabrice Marchisio avant d’ajouter " Supprimer toute forme de jeu politique en interne était également une priorité. On ne peut réussir de façon pérenne dans ce métier qu’en jouant collectif".

Chez CVML, la transparence des relations humaines est une telle priorité que les associés ont même intégré dans leurs statuts un article interdisant les votes à bulletin secret.

Les créateurs quadras des années 2000 sont moins idéalistes que les trentenaires du début des années 90 . Le temps passé au sein de structures importantes et très établies, souvent avec la casquette d’associé, a eu raison des élans de jeunesse. Aujourd’hui, on analyse et on décortique avant de se lancer. " Disposer d’activités contre-cycliques était pour nous déterminant ", explique Fabrice Marchisio (ndlr : il est diplômé d’HEC). Il poursuit son raisonnement avec une logique incontestable. Le cabinet a choisi d’équilibrer son activité de M&A avec une importante activité de droit social et de restructurations. Et surtout, depuis sa création en 2003, CVML s’efforce de maintenir un rapport 50/50 entre le conseil et le contentieux.

A la différence de Jean Reinhart qui a toujours scindé le contentieux et le conseil, CVML a décidé de privilégier la polyvalence parmi les associés et les collaborateurs du cabinet. " Le fait de pouvoir maintenir les mêmes équipes quand le conseil baisse et le contentieux augmente, et inversement, est un luxe très appréciable " conclut Fabrice Marchisio sur ce point.

Redlink est une société d’avocats créée en 2007 par Antoine Bolze, Frédéric Fournier, Hervé de Kervasdoué, Benjamin Louzier et Thomas Rabant. Ils ont été chez Jeantet, Ernst & Young, Dechert, Hogan & Hartson et quatre d’entre eux se sont rencontrés chez Deprez Dian Guignot.

Frédéric Fournier, Benjamin Louzier, Hervé de Kervasdoué et Thomas Rabant croyaient en un avenir possible chez DDG en leur qualité de jeunes associés à qui les fondateurs passeraient progressivement la main. Erreur d’appréciation des plus jeunes ou manque de volonté des plus anciens, les désaccords ne rendaient plus possible la poursuite d’un projet commun. Ils ont décidé de faire le grand saut et de nombreux clients les ont suivis dont M6 et ATAC. " Les clients ont été séduits par la dynamique de notre projet ", commente Hervé de Kervasdoué avant d’ajouter, réaliste, " Quand le travail ne nécessite pas de grandes équipes, des clients importants acceptent de suivre ".

Cependant, il ne suffit pas d’être jeunes et sympathiques pour alimenter en clients un cabinet d’avocats naissant. " Notre stratégie est claire : nous ne sommes pas des généralistes mais des multi-spécialistes. Nous nous positionnons pour servir une clientèle de grosses PME sur des compétences précises à un coût compétitif ", explique Hervé de Kervasdoué.

Redlink en est encore à ses premiers pas mais interrogé sur ses ambitions, Hervé de Kervasdoué fixe déjà les objectifs du cabinet : atteindre un effectif de plus de quarante avocats, ce qu’il considère comme une première taille critique.

Un constat unanime : l'importance du recrutement et de la formation

Ces créateurs, quels que soient leurs parcours, sont unanimes pour reconnaître l’importance du recrutement et de la formation des collaborateurs dans le développement du cabinet. Cette préoccupation vient en première ligne avant même la recherche de clients. En effet, ces avocats font la même analyse : si le cabinet fournit du bon travail, le marché le sait et les clients viennent. Or, pour fournir du bon travail, il faut des compétences chez les collaborateurs comme chez les associés.

Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral a non seulement compris qu’il fallait recruter les meilleurs éléments mais a également décidé de faire de sa politique de recrutement un outil de communication. Depuis sa création en 2003, le cabinet a participé à pas moins de 38 job fairs. Dans les écoles de commerce, les universités américaines, au Japon, CVML est allé à la rencontre des meilleurs talents. " Cette politique de recrutement est une des meilleures décisions que nous ayons prises ", dit Fabrice Marchisio. Cette visibilité sur le marché du recrutement – rare pour un cabinet aussi jeune – a permis à CVML de côtoyer les plus grands et de se construire une image très forte.

Mais le recrutement n’est pas que du marketing, c’est avant tout la clé de la stratégie de croissance du cabinet.  " Le plus important n’est pas d’attirer les clients, insiste Fabrice Marchisio. Le plus important est d’attirer les talents. Dans un marché efficient, les clients finissent toujours par suivre les talents ".

Comme CVML depuis sa création, Reinhart Marville Torre réussit depuis dix sept ans à maintenir un taux de turnover très bas de ses collaborateurs. " Nous savons identifier chez un collaborateur les caractéristiques et les qualités qui correspondent au cabinet et qui feront qu’il ou elle se sentira bien chez nous ", explique Jean Reinhart.

Chez Wilhelm & Associés, c’est la formation qui est une religion. " Depuis le premier jour, je forme mes collaborateurs comme j’ai été formé moi-même ", explique Pascal Wilhelm. Dans son cabinet, la formation des collaborateurs réclame aux associés un temps et un engagement considérables mais Pascal Wilhelm considère que cet investissement est indispensable à la qualité du travail produit par le cabinet. Sa technique, rodée au fil des années, consiste à créer de véritables binômes entre associés et collaborateurs dans lesquels l’associé laisse beaucoup d’indépendance et de responsabilités au collaborateur tout en étant omniprésent afin de garantir un travail irréprochable. " C’est un travail à quatre mains ", explique-t-il pour illustrer son propos. Cette méthode produit vite de jeunes avocats aux compétences remarquables. Pascal Wilhelm attache aussi beaucoup d’importance à ce que les avocats du cabinet écrivent des articles, soit dans la presse ou chez les éditeurs juridiques, soit dans les trois lettres d’information qui sont publiées par le cabinet et auxquelles tous les avocats du cabinet participent. Le cabinet organise également deux ou trois séminaires de
formation par an au cabinet.

Le contentieux : une des clefs de l'indépendance

" Le contentieux est irremplaçable, essentiel, c’est aussi l’école du conseil ", nous dit Fabrice Marchisio.

Pascal Wilhelm insiste sur le fait qu’un avocat qui doit défendre le travail qu’il a fait pour un client devant une juridiction saura le conseiller avec d’autant plus de rigueur et d’intelligence.

Au-delà de l’attachement personnel à l’activité contentieuse qui peut exister chez certains, il ressort clairement des échanges avec ces avocats mais aussi d’une analyse du marché, que les cabinets plus jeunes ou de taille plus réduite ont des atouts à faire valoir sur le plan du judiciaire.

Le contentieux (de la manière dont il est exercé en France) est moins consommateur de ressources humaines que les grosses opérations en droit des sociétés. Outre ses vertus formatrices pour les avocats, le contentieux crée aussi une relation très intense entre l’avocat et son client. Le client reste fidèle à un avocat qui le défend bien.

Jean Reinhart l’a bien compris en décidant dès le jour de son installation qu’il se consacrerait à défendre ses clients devant les tribunaux. D’abord en droit social puis dans le pénal des affaires, cette activité contentieuse a été un des principaux moteurs de la croissance d’un cabinet qui compte maintenant près de 50 avocats intervenant dans de nombreux domaines.

Chez CVML, une très grande importance est attachée au contentieux, ce qui n’est en rien incompatible avec l’image de cabinet international de droit des affaires que ce cabinet se construit avec sa présence à Tokyo et l’ouverture récente d’un desk coréen à Paris.

Enfin, il faut ajouter que tout jeune cabinet a intérêt à se positionner pour hériter des dossiers contentieux qui posent des problèmes de conflits d’intérêts aux grands cabinets. Ce volume d’affaires est significatif et  constitue souvent une contribution importante à l’activité des premières années et même au-delà.

Appel d'air et optimisme

Aucun des avocats interrogés pour ce dossier ne s’est plaint de grandes difficultés ou de pénibles incidents de parcours. Les pressions et les contraintes qui vont avec le métier sont toujours présentes et sont rudes mais sur le plan économique, ces entrepreneurs semblent avoir su adapter leurs structures à leur progression en évitant de se mettre en difficulté.

De plus, au moment de la création d’un nouveau cabinet, les anciens patrons,  les confrères et les clients ont en général envie de soutenir la nouvelle aventure. " Dès la création, nous avons bénéficié d’un appel d’air, d’un capital de sympathie qui a favorisé le lancement ", explique Fabrice Marchisio.

" Nous sommes 30% au-dessus de nos objectifs ", souligne Hervé de Kervasdoué de Redlink. Il ajoute que l’effort financier des associés a principalement consisté à accepter un léger décalage de revenus le temps de financer le besoin de fonds de roulement de la nouvelle structure.

" Nous progressons de 20% par an sur le droit de la concurrence. Nous ne nous développerions pas plus vite si nous étions le département d’un cabinet anglosaxon ", affirme Pascal Wilhelm.

" Nous avons passé sans encombres les crises de jeunesse. Nous avons toutes les armes pour continuer à grandir ", dit Jean Reinhart. Ce dernier voit d’un très bon oeil les créations de nouveaux cabinets autour de lui. Les 17 ans écoulés depuis la création de Reinhart Marville Torre font de ce cabinet un ancien parmi les jeunes. Il observe qu’après une période où les avocats ont été moins nombreux à se lancer, il semblerait que nous soyons entrés dans une nouvelle dynamique.

Quand ils sont interrogés sur la concurrence très forte qui existe dans le domaine du droit des affaires, ces avocats-entrepreneurs ne s’en inquiètent pas. Ils savent que le marché est très atomisé et que c’est aussi une chance d’évoluer dans un marché dans lequel il y a autant d’opérateurs. Ils considèrent tous que si la qualité du travail est au rendez-vous, les clients répondent présent.

Pour fournir cette qualité, il faut un management rigoureux et une stratégie claire. A côté de certains facteurs incontournables de la réussite (parmi lesquels le recrutement, la formation ou l’importance de l’activité contentieuse), nombreuses sont les stratégies ou les axes qui peuvent fonctionner pour assurer une croissance saine et durable. Il faut cependant que l’avocat-créateur sache garder le cap qu’il s’est fixé et n’oublie jamais l’importance de la clarté de son message. Il est frappant de constater que les créateurs interrogés ont parfaitement expliqué le positionnement et l’identité de leurs cabinets, ce qui est parfois un exercice beaucoup plus difficile pour les associés de structures plus anciennes pour lesquelles les scissions, rapprochements ou fusions ont compliqué le message identitaire.


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