S’agissant de leur recrutement, les cabinets semblent peu affectés par la conjoncture économique morose. Ni les cabinets d’avocats, ni les spécialistes du recrutement sur ce marché ne font état d’un ralentissement dans leurs projets ou dans leur activité. Habitués à une croissance continue de leur activité depuis des années, les avocats ne veulent pas se laisser surprendre comme cela a pu être le cas, il y a quelques années. En 2001/2002, les cabinets avaient coupé dans leurs effectifs et se sont trouvés pris de court quand leur activité a redémarré en trombe. Si les corrections actuelles de l’économie mondiale ne sont pas révélatrices d’un ralentissement prolongé, les cabinets ne veulent pas se trouver démunis quand l’activité repartira.
En cette rentrée 2008, le Monde du Droit a voulu faire un point tant avec les cabinets d’avocats qu’avec les cabinets de recrutement spécialisés dans les métiers juridiques pour tenter de dégager les tendances du marché mais aussi pour aider les avocats dans un marché souvent compétitif et difficile où trop souvent ils recherchent tous les mêmes profils en même temps.
Les tendances du marché
" Au début de l’année 2007, nous étions dans un marché de pénurie de candidats ", rappelle Antoine Biot, Senior Manager Legal, Tax & HR du cabinet de recrutement Robert Walters. " Le manque de candidats était particulièrement ressenti pour les collaborateurs de mid-level dans les secteurs corporate, LBO et fiscalité. Le début de la crise des subprime a un peu ralentit le marché à la fin de l’année dernière mais le marché est reparti dès le 1er trimestre de 2008. Jusqu’à maintenant, 2008 reste un marché favorablement orienté pour les candidats ", explique-t-il.
Il ajoute que les recruteurs lui semblent plutôt attentistes pour 2009 mais que leur préoccupation actuelle est plus souvent d’avoir des équipes suffisamment garnies que le contraire.
La demande reste soutenue dans les principaux domaines du droit des affaires, à savoir en corporate et en fiscal et il y a toujours une demande forte en droit social. Antoine Biot constate également, et ceci est confirmé par de nombreux cabinets, qu’il y a une tendance générale à vouloir équilibrer les activités des cabinets avec des équipes performantes dans des domaines du droit qui sont moins vulnérables à la conjoncture, voire même contra-cycliques.
Ainsi, toujours en droit social, les compétences dans les domaines des restructurations sont très recherchées et il y a une augmentation des demandes de profils dans les domaines du contentieux et de la propriété intellectuelle. Il y a aussi eu une demande significative pour des candidats connaissant le droit public en raison de l’effervescence autour des PPP même si cette activité n’a pas encore décollé. Alors que jusqu’en 2007, il y avait une demande forte dans le domaine du Private Equity et en particulier pour les opérations de LBO, cette demande spécifique a très fortement baissé mais ce phénomène ne s’étend pas à tout le M&A pour lequel les cabinets sont toujours à la recherche de bons candidats.
William Cargill, lui-même ancien avocat, a créé le cabinet Aperlead, spécialisé dans le recrutement des professions juridiques. Il confirme et précise ce point. " Nous constatons aussi une baisse des demandes de profils adaptés aux très grosses opérations de M&A et aux instruments financiers, ce qui ne veut pas dire qu’il ne subsiste pas une demande pour le corporate ". Il ajoute que " malgré le ralentissement actuel de l’activité des cabinets, ceux-ci ne se séparent pas de leurs collaborateurs même si un certain nombre de ceux-ci sont moins occupés qu’avant ".
Quant aux niveaux de rémunération, ils restent élevés. " Il y avait eu une explosion de la rémunération en 2006 et début 2007. Le marché redevient plus raisonnable et il n’y a plus le phénomène de surenchère que nous pouvions observer jusqu’au 1er trimestre de l’année dernière ", ajoute Antoine Biot.
Pour les candidats dont les profils correspondent à ceux recherchés par les cabinets qui font appel aux sociétés de recrutement, les niveaux moyens actuels sont de l’ordre de 100.000 € et plus pour un collaborateur ayant cinq ans d’expérience et jusqu’au 130.000 ou 140.000 € pour un collaborateur senior ayant 7 ou 8 ans de pratique. Ces montants sont ceux d’une rétrocession d’honoraires fixe.
Autour de ces fourchettes moyennes de rémunération, les différences subsistent entre les cabinets qui paient ou pas les charges sociales de leurs collaborateurs et ceux qui pratiquent des bonus pouvant aller jusqu’à 20 ou 30 % du montant de la rémunération fixe. " Alors que les différences de niveaux de rémunération se résorbent entre les Français et les Anglais, les Américains restent au-dessus ", constate Antoine Biot. Les efforts des cabinets français sur le plan de la rémunération sont récents et semblent avoir eu lieu essentiellement au cours de ces deux ou trois dernières années.
Le comportement des candidats
Alors que les candidats des années 90 étaient prêts à tout sacrifier pour leur carrière et leur employeur, les jeunes avocats du 21ème siècle ne voient pas toujours la vie sous le même angle que leurs aînés. Il est intéressant d’observer que les soucis liés à la préservation d’une certaine vie privée sont soulevés par les candidats dès les premiers entretiens avec les chasseurs ainsi qu’avec les cabinets d’avocats eux-mêmes. Plus les avocats sont jeunes, plus ils expriment ouvertement ces souhaits.
Ces comportements ont plusieurs explications. Il y a d’abord " l’effet 35 heures " car même si aucun avocat ne travaille aussi peu que la durée légale du travail, les plus jeunes ne sont pas immunisés contre un état d’esprit général par rapport aux heures de bureaux. Ils voient aussi leurs anciens camarades de lycée ou d’université qui ont choisi une autre carrière que celle du droit et qui collectionnent les RTT et autres jours de récupération. La seconde explication est liée à l’état du marché. Dans un contexte où les bons candidats sont très sollicités, ceux-ci se sentent en position de force et intègrent la notion de qualité de vie dans leur réflexion et dans leurs demandes.
" Nous devons veiller à orienter les candidats vers les cabinets qui leur correspondent ", précise Antoine Biot. En effet, le métier d’avocat reste très exigeant et les cabinets les plus prestigieux sont très souvent ceux où les avocats travaillent le plus. Dans ces derniers cabinets qui souvent n’affichent pas d’objectifs chiffrés sur le nombre d’heures travaillées et/ou facturables, ce n’est un secret pour personne que la semaine de 60 heures est monnaie courante. Cependant, dans les cabinets la qualité de vie n’est pas en reste à l’image de ce qui se pratique aux Etats-Unis depuis fort longtemps, tout doit être fait pour que l’avocat soit mis dans des conditions de travail optimales : bureaux confortables (dans lequel le collaborateur est souvent seul), services de conciergerie, abonnement à une salle de sport... les petites attentions sont nombreuses pour séduire les candidats.
Pour tous les recrutements autres que les recrutements de débutants, un des facteurs clé du marché est la mobilité des collaborateurs. En dehors des cas où les associés vont d’une structure à une autre, suivis de toute une équipe, il est intéressant de se pencher sur les raisons qui peuvent faire bouger un collaborateur. Selon les spécialistes du recrutement, la revendication principale des collaborateurs souhaitant changer de cabinet est celle d’une plus grande autonomie. Cette demande est récurrente et permet d’ailleurs à certains cabinets français de tirer leur épingle du jeu. En effet, ces cabinets, moins structurés, ne présentent pas les mêmes rigidités que certaines des grandes structures, anglaises notamment, très départementalisées. La seconde motivation est celle de rejoindre un cabinet plus prestigieux que celui qu’on quitte. En dernier lieu, les personnes que nous avons interrogées citent les revendications liées à une meilleure formation et enfin à une meilleure rémunération mais ce dernier critère est rarement déterminant ... ce qui laisserait entendre que nombreux sont les jeunes avocats d’affaires qui n’ont pas le temps de dépenser ce qu’ils gagnent.
Même si les collaborateurs regardent souvent comment ça se passe chez le voisin, les jeunes avocats ne semblent pas malheureux d’exercer leur métier. Les jeunes avocats d’affaires français ne semblent pas touchés par le Blues des avocats souvent évoqué dans la presse outre-Atlantique et aussi abordé, il y a quelques mois, dans un long article du magazine de la Lettre des Juristes d’Affaires. Les collaborateurs restent dans le métier mais il faut néanmoins signaler deux phénomènes qui se sont récemment amplifiés : le départ des jeunes avocats vers les services juridiques d’entreprise et les créations de cabinets par de jeunes avocats d’affaires. Les avocats sont en effet de plus en plus nombreux à quitter les cabinets pour rejoindre les directions juridiques des grandes entreprises. Ceci s’explique par le fait que l’image du juriste d’entreprise s’est considérablement dépoussiérée au cours des dernières années et que ce dernier participe maintenant de façon active à la politique et la stratégie de l’entreprise à l’image du General Counsel américain. Cette évolution de la fonction du juriste d’entreprise s’est accompagnée d’un effort considérable de ces entreprises sur le plan de la rémunération et il est maintenant possible pour un collaborateur d’un grand cabinet d’avocats de gagner autant en entreprise en travaillant moins d’heures. Le deuxième phénomène qui est à noter est que les collaborateurs expérimentés hésitent moins à se lancer dans l’aventure entrepreneu-riale qu’il y a encore quelques années. Ceci s’explique par le fait que la taille du marché des avocats d’affaires a une tendance à se stabiliser après une période de plus de quinze ans pendant laquelle les cabinets anglais et américains qui se sont implantés les uns après les autres ont absorbé toutes les forces disponibles du marché. Les créations de cabinets, devenues rares dans le domaine du droit des affaires, retrouvent des couleurs et les jeunes avocats sont un peu plus nombreux à penser que Big n’est pas forcément beautiful.
Méthodes de recrutement
La généralisation du recours aux sociétés de recrutement
Antoine Biot constate une évolution dans les méthodes de recrutement avec la généralisation du recours à des sociétés spécialisées. A ce titre, il remarque que Robert Walters a de plus en plus de clients français et que, selon lui, il y a au moins une quinzaine de cabinets français qui ont maintenant des méthodes de recrutement comparables à celles des grands cabinets anglo-saxons.
Les cabinets de recrutement ont aussi adapté leurs offres et leurs discours pour des clients de taille plus réduite. Ils ont gardé en mémoire la crispation du marché en 2001 et 2002 et savent qu’il y a un intérêt évident à diversifier leur risque. " J’ai toujours voulu garder et développer une part significative de clientèle française et provinciale qui est moins vulnérable aux flottements de l’économie mondiale ", souligne William Cargill.
Les job – fairs
A l’instar des universités américaines, les grandes écoles françaises et internationales et de plus en plus d’universités organisent des job-fairs. En France, c’est le terme de forum de recrutement qui est souvent utilisé pour désigner ces manifestations. Paris 2, Paris 1 ou encore l’EFB organisent maintenant de tels évènements. Ces grands rassemblements qui permettent à un même cabinet de faire la connaissance de nombreux candidats en peu de temps et en un même lieu ont beaucoup d’atouts pour séduire.
D’abord, les job-fairs sont peu coûteux pour le cabinet qui recrute puisqu’il n’y a aucun intermédiaire à rémunérer. Aussi, ces job-fairs sont une méthode très efficace puisque le cabinet opère une présélection des étudiants qu’il souhaite rencontrer, évitant de perdre du temps avec des candidats qui ne correspondent pas à ses critères.
L’autre avantage de ces évènements est qu’ils permettent de passer un message fort auprès des candidats. Le fait pour un cabinet d’être présent lui donne aussitôt une visibilité importante sur le marché du recrutement. Fabrice Marchisio, associé du cabinet Coty Vivant Marchisio & Lauzeral a tout de suite compris que la présence de son cabinet, dès sa création en 2003, dans les job-fairs à travers le monde serait un facteur-clé de son développement. Coty Vivant Marchisio & Lauzeral savait qu’il fallait non seulement recruter de bons éléments mais a également décidé de faire de sa politique de recrutement un outil de communication. Depuis sa création en 2003, le cabinet a participé à pas moins de 38 job fairs dans les écoles de commerce, les universités améri-caines et même au Japon. " Cette politique de recrutement est une des meilleures décisions que nous ayons prises ", dit Fabrice Marchisio. Cette visibilité sur le marché du recrutement lors de job-fairs – rare pour un cabinet aussi jeune – a permis à CVML de côtoyer les plus grands et de se construire une image très forte.
La formation en interne des associés
Naturellement, tous les cabinets souhaitent éviter de rater leurs recrutements. Un collaborateur qui déçoit, c’est une expérience désagréable et pénible qui, souvent, met un temps considérable à se dénouer et dont aucune des parties ne sort gagnant. C’est la raison pour laquelle de plus en plus de cabinets veillent à ce que les associés qui sont amenés à faire passer des entretiens soient spécifiquement formés à cet exercice.
Ici encore, les cabinets internationaux ont une longueur d’avance. " Je savais qu’une véritable formation à l’entretien d’embauche pouvait être d’une grande aide ", souligne Stéphanie Stein, associée du cabinet Eversheds à Paris où elle est en charge du département de droit social. Stéphanie Stein a choisi de suivre, à Londres, la formation qu’Eversheds organise pour ses associés pour les aider à optimiser les entretiens d’embauche.
L’importance d’une vraie politique de recrutement
Chasseurs de têtes, job-fairs, formation interne au recrutement ... il est non seulement important de connaître et d’utiliser les moyens disponibles, il est surtout important d’avoir une véritable stratégie de recrutement. Pour que les équipes ne soient pas des gruyères dont on tente de boucher les trous, pour que le cabinet se repose sur une pyramide des âges solide et réfléchie, un cabinet doit veiller à une politique de recrutement construite sur la durée.
L’image et la cohésion d’un cabinet dépendent en grande partie du recrutement. Un cabinet doit donc parler d’une seule voix quand il recrute. Afin de tendre vers cette harmonie, il est préférable pour un cabinet de fonctionner avec un comité de recrutement ou d’avoir un ou deux associés qui vont être spécialement affectés à la coordination du recrutement.
Lorsque des cabinets sont mis en concurrence par un client, il est de plus en plus fréquent que des questions soient posées sur le recrutement. En Angleterre ou aux Etats-Unis, les questions de la diversité des origines ou du ratio hommes/ femmes sont systématiquement soulevées. Ces considérations ne peuvent se gérer que dans le cadre d’une politique organisée.
Une méthode qui marche : recruter à la source
Alors que beaucoup de cabinets se plaignent de la difficulté de recruter et de garder leurs collaborateurs, Cleary, Gottlieb, Steen & Hamilton (CGSH) n’a pas ce problème. Outre sa réputation de grande qualité, le cabinet a aussi la réputation méritée d’avoir des équipes d’une exceptionnelle stabilité. Qu’il s’agisse du partnership lui-même qui n’a connu aucun départ pour une autre firme depuis vingt ans ou des collaborateurs, le constat est le même : le turnover est probablement le plus faible de tous les cabinets d’avocats d’affaires français ou implantés en France.
Les méthodes de recrutement contribuent de manière importante à cette stabilité. Après trois ans consacrés à cette tache Pascal Coudin, vient de passer le flambeau d’associé en charge du recrutement à François Brunet, également associé de CGSH. Leur présence conjointe lors de notre discussion est sans doute une preuve supplémentaire d’une mécanique bien rodée.
« La clé de notre recrutement, c’est le stage », explique Pascal Coudin. " C’est le meilleur moyen pour nous de connaître nos recrues et c’est également le meilleur moyen pour elles de nous connaître ". Il ajoute : " Le stagiaire est quelqu’un que nous voulons mieux connaître tant pour juger des aptitudes de travail que de ses qualités comportementales ".
CGSH applique, pour ses stagiaires, une procédure éprouvée et les résultats sont au rendez-vous. Lors du déroulement du stage, chaque stagiaire aura un ou plusieurs tuteurs. Les stagiaires seront pleinement intégrés dans les réunions de formation ainsi que dans les réunions des practice groups. Bien entendu, le stagiaire effectuera aussi un travail réel sur des dossiers auprès des collaborateurs et des associés. Enfin, pendant la durée du stage – qui est toujours de trois mois – le comité de recrutement rencontrera le stagiaire au moins trois fois.
Le cabinet fait de son stage une véritable vitrine pour ses futurs collaborateurs. Ainsi, le fait d’exposer le stagiaire à différents domaines du droit avec différentes équipes n’est pas un leurre. " Nous sommes très attachés à une formation de généraliste ", dit François Brunet. " Nous voulons de bons juristes et le droit est un ensemble ", ajoute-t-il avant de préciser, " nous encourageons nos stagiaires à suspendre leur jugement ou leurs aspirations par rapport à telle ou telle spécialisation le temps d’acquérir une formation plus générale ".
Autre caractéristique de la méthode CGSH : une sélection à la fois stricte et réfléchie pour accéder à ce stage de trois mois au sein du cabinet. Il est intéressant de noter que le cabinet n’a pas d’idée préconçue sur la formation du stagiaire. " Nous n’exigeons pas de double formation même si beaucoup de nos candidats en ont une ", précise Pascal Coudin. " Ce que nous voulons, ce sont des éléments brillants ", ajoute François Brunet avec un sourire tout en indiquant que les critères sont nombreux : " Il faut des qualités intellectuelles, des qualités juridiques, des qualités humaines et évidemment l’Anglais ". C’est ainsi que CGSH a dans ses rangs des avocats aux profils très variés. Souvent, au moment de leur recrutement, les candidats qui ont commencé leur formation par autre chose que du droit n’ont pas encore achevé leur formation juridique. Dans ce cas, il n’est pas rare que le cabinet accompagne ses nouvelles recrues en les aidant au cours de la fin de leur parcours universitaire.
Pour un cabinet qui compte environ une centaine d’avocats à Paris, CGSH recrute entre 40 et 50 stagiaires par an. Près d’un quart de ceux-ci deviendront des collaborateurs du cabinet. La " méthode Cleary " fait donc la part belle au recrutement de débutants, facteur essentiel de la stabilité des équipes et de leur fidélité à la firme. Bien entendu, ceci ne signifie pas qu’il n’y ait aucun recrutement à un niveau plus confirmé, ainsi six collaborateurs disposant d’une certaine expérience ont été récemment recrutés pour renforcer l’équipe contentieux / arbitrage qui connaît un essor important mais le moteur du système est incontestablement le stage.