Selon Bercy, le Partenariat Public Privé (PPP) a pour but d’optimiser les performances respectives des secteurs public et privé. Le PPP aurait de très nombreux avantages. Il permettrait l’accélération, par le préfinancement, de la réalisation des projets. Le dynamisme et la créativité du privé bénéficieraient davantage à la collectivité. Le PPP apporterait une garantie de performance dans le temps ainsi qu’une répartition du risque optimale entre secteur public et privé, chacun supportant les risques qu’il maîtrise le mieux. Ces perspectives réjouissantes feraient du PPP un véritable outil de relance de l’économie et un moteur de la croissance nationale pour les années à venir. Comment, dans ce cas, ne pas se ruer sur cette nouvelle opportunité ? Depuis la création des PPP en 2004, de nombreux cabinets d’avocats se sont mis en avant en tant que spécialistes de ces nouveaux contrats. Or, quatre ans plus tard, il faut faire le constat qu’il y a plus de spécialistes du PPP que de PPP eux-mêmes !
Au moment où vient d’être adopté un projet de loi modifiant l’ordonnance du 17 juin 2004 qui avait donné naissance aux PPP, Le Monde du Droit a souhaité faire le point avec quelques uns des meilleurs spécialistes de la question. Les PPP ont-ils été un mirage survendu par les pouvoirs publics ou bien constituent-ils une véritable opportunité pour l’économie française et par ricochet pour les cabinets d’avocats qui s’y intéressent ?
Une réforme attendue mais aux effets contestés
" L’élargissement des cas de recours aux PPP est bienvenu. Le toilettage est également bienvenu puisque certaines des obscurités juridiques sont enlevées. Les améliorations sur le plan fiscal sont importantes puisqu’il y a une harmonisation fiscale avec d’autres contrats proches ... reste à savoir ce que le Conseil Constitutionnel va en faire ", constate et s’interroge Anne-Marie Leroy, responsable du département droit public et associée du cabinet Denton Wilde Sapte à Paris. Ancienne énarque et conseillère d’Etat, elle connaît les rouages de l’administration et elle sait que les personnes publiques sont moins enclines à se lancer dans des projets régis par des textes mal compris ou mal maîtrisés. Elle ajoute : " Certains textes spéciaux (lois dites LOPSI, LOPJ sur la sécurité intérieure et la justice, code de la santé publique pour les baux emphytéotiques hospitaliers) ont permis de réaliser des projets très importants en dehors des PPP de 2004. Donc quand il y a de bons textes, les personnes publiques sont plus disposées à y aller ".
Présentés par les pouvoirs publics comme une innovation majeure, qu’a-t-il manqué aux PPP de 2004 pour prendre une place importante dans notre économie ? Il y a d’abord eu un décalage entre un certain volontarisme économique et un conservatisme juridique. Le Conseil constitutionnel a estimé que le PPP devait rester un contrat d’exception justifié par l’urgence ou la complexité. Bien qu’il ne s’agisse sûrement pas de la seule raison du relatif échec des PPP, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Depuis 2004, il n’y a eu que 160 PPP répertoriés dont 37 concernent l’Etat et 123, les collectivités locales. Sur ces projets, 57 d’entre eux ont fait l’objet d’un chiffrage (montant d’investissement) et il n’y a que huit projets qui dépassent les 150 millions d’euros alors que 33 de ces projets portent sur des montants inférieurs à 30 millions d’euros.
Le nouveau projet de loi ajoute deux nouvelles voies d’accès : la démonstration de l’intérêt économique et financier de recourir au PPP par rapport aux autres outils de la commande publique et ouvre une nouvelle voie d’accès, limitée dans le temps, à des domaines considérés prioritaires (enseignement supérieur, recherche, transport, développement durable et rénovation urbaine). Cette redynamisation souhaitée par l’Etat ne fera pas oublier que les caisses sont vides et que, même si la personne publique ne porte pas le poids de l’investissement initial, il faudra quand même verser les redevances convenues au partenaire privé impliqué dans l’opération.
Malgré tout, les spécialistes ne perdent pas espoir, c’est le cas de Philippe Delelis, associé du cabinet Jones Day où il intervient principalement sur les questions de contrats publics. " Il y a dix-huit mois, j’étais encore pessimiste en raison de la lourdeur des formalités et des conditions de recours. Depuis, les administrations ont mis les moyens nécessaires pour montrer qu’elles pouvaient avoir recours aux PPP. Il n’y aura pas de progression spectaculaire mais on peut s’attendre à une progression constante du nombre de PPP ", dit-il.
Trop d’avocats et pas assez de projets
" Quand les pouvoirs publics ont commencé à réfléchir aux PPP en 2002, les cabinets anglais ont commencé à s’enthousiasmer car les Anglais avaient dix ans d’avance dans le domaine. Les grands cabinets anglais et américains ont créé des équipes, parfois surdimensionnées, et tous ont attendu les projets ", explique Philippe Delelis.
Effectivement, les contrats de partenariat entre le secteur public et le secteur privé sont très nombreux en Angleterre et sont profondément ancrés dans les habitudes de gestion des personnes publiques. Mais à la différence de la France, l’Angleterre ne s’embarrasse pas de complexités procédurales et de critères juridiques restrictifs. Le pragmatisme économique domine et permet aux affaires de se conclure facilement. D’autre part, il y a un effet d’optique puisqu’une grande partie de ce que les Anglais appellent PPP relèvent, chez nous, de la concession, une forme contractuelle pratiquée de très longue date par les collectivités publiques françaises et relevant d’une autre législation que l’ordonnance de 2004. Enfin, les besoins d’équipement public de l’Angleterre au sortir de l’ère Thatcher
étaient sans commune mesure avec ceux de la France d’aujourd’hui.
Or, depuis la création du PPP, les projets sont arrivés au compte-goutte comme le démontrent les statistiques évoquées plus haut. De plus, quand les premiers projets sont arrivés, la concurrence entre les industriels était telle que tous les opérateurs s’alignaient sur toutes les opérations et que, bien entendu, peu d’entre eux arrivaient jusqu’au closing.
Même si l’offre et la demande se réajustent en fonction des réalités du marché, " le déséquilibre entre un nombre trop important d’avocats en concurrence pour un nombre insuffisant d’opérations crée des conditions de marché qui ne sont pas bonnes ", précise Anne-Marie Leroy.
Le PPP, une vraie spécialité ?
" Le PPP n’est pas si nouveau, explique Anne-Marie Leroy. Depuis 150 ans, l’Etat et les collectivités pratiquent la délégation de service public et la concession. Les différences ne sont pas aussi importantes qu’il y paraît à première vue". Elle ajoute : " Les avocats sont nombreux à dire que le PPP est une spécialité car tous les cabinets qui ont une capacité en financement de projets et une pratique du droit public ont vocation à en faire ".
En réalité, quand on évoque les PPP, il faut faire une distinction entre les grands projets de plusieurs centaines de millions d’euros et les petites opérations des collectivités locales. Dans le premier cas, ces projets exigent une connaissance pointue et des capacités importantes à la fois en droit public, en droit du financement, en droit bancaire sans oublier le droit des sociétés et enfin le droit fiscal qui est souvent complexe dans de telles opérations. Sur ces grands projets, il ’y a probablement qu’une quinzaine de cabinets d’avocats qui ont structuré des équipes capables d’intervenir dans l’ensemble des domaines requis.
Les autres PPP sont à la portée de structures aux dimensions plus modestes qui ont une bonne expérience des procédures de marchés publics et de délégations de service publics. Philippe Delelis dont le cabinet, Jones Day, ne postule pas pour les PPP locaux estime que ces derniers pourront apporter une nouvelle vitalité à la pratique des publicistes à travers la France. Il salue au passage le travail fait par la MAPPP (Mission d’appui des PPP) qui fait " un travail compliqué dans un milieu parfois hostile ".
Eric Gintrand, directeur associé du Département Droit Public de Fidal, relativise aussi la notion de spécialité s’agissant des PPP : " Certains cabinets ont peutêtre fait croire que c’était très particulier mais ce n’est pas le cas et tous lescabinets qui ont une expérience dans le domaine des contrats publics complexes sont susceptibles d’intervenir en matière de PPP". Il ajoute toutefois que " Ceux qui se sont le mieux positionnés au départ, ce sont surtout les cabinets conseils des banques en raison notamment des problématiques liées à la bancarisation du contrat de PPP ". Cette analyse permet de mieux comprendre la forte présence des anglo-saxons sur ces dossiers.
Il constate que beaucoup de cabinets se sont spécialisés dans des domaines d’activités très spécifiques comme le secteur hospitalier, les infrastructures de transport ou les réseaux de communication.
Enfin, concernant la dimension pluridisciplinaire des PPP, il précise que même les cabinets qui disposent des ressources les plus importantes interviennent rarement en conseil global d’une opération. Ainsi, Eric Gintrand constate que Fidal intervient plus sur les aspects de droit public et de droit fiscal que sur le droit des sociétés ou le droit bancaire.
Il faut noter que les attentes en matière de conseils des différents acteurs d’un PPP sont très variées. Par exemple, les collectivités publiques recherchent en priorité la sécurité de la procédure pour minimiser les risques de recours en annulation et s’intéressent moins aux aspects fiscaux et financiers alors que c’est vraisemblablement l’inverse pour les opérateurs économiques. " Il faut être souple et partager le conseil à plusieurs ", conclut-il sur ce point.
La sécurité juridique
Un consensus se dégage sur la question de la sécurité juridique. A ce titre le PPP ne serait pas moins fiable que les autres modes de commande publique. Alors que tombent les premières décisions d’annulation – il y en a eu trois au total – celles-ci ne sont pas considérées comme significatives. D’autant plus que le projet de loi contribue à améliorer les dispositions existantes sur ce point.
"Jusqu’à maintenant, les annulations de PPP sont platoniques, constate Philippe Delelis. Ce n’est pas le PPP qui crée l’insécurité. L’insécurité est dans les procédures devant être suivies par les personnes publiques et comme pour toutes les procédures, il y aura des contentieux par lesquels le juge régulera le marché. Le contentieux est inévitable et naturel de la part des candidats évincés ". Anne-Marie Leroy a la même analyse et considère que parmi les annulations de PPP intervenues à ce jour, il n’y en a aucune qui soit de nature à représenter un danger.
L’avenir du PPP
Concernant l’avenir, les spécialistes interrogés restent prudents. Il apparaît clairement que malgré l’entrain de la communication gouvernementale autour de l’actuel projet de loi, le nouveau texte ne va pas bouleverser la donne.
La crise économique et les limitations budgétaires restent un problème que le PPP n’efface pas. " Le PPP n’est pas une solution miracle permettant de répondre à la crise économique réelle des finances publiques ", dit Eric Gintrand. Ce dernier se rappelle de l’expérience douloureuse des METP (Marchés d’entreprise et de travaux publics) qui ont constitué une des premières formes de PPP. D’une part, ces contrats ont été mêlés à des affaires d’ententes et de corruption (la rénovation des lycées d’Ile de France) et d’autre part, ils n’ont pas toujours répondu aux attentes en terme de coût global et de performance. Il est vrai que le METP était encore moins bien ficelé que le PPP sur le plan juridique et notamment fiscal puisque le traitement de la TVA avait posé de très nombreux problèmes. Les collectivités
locales qui ont mis en place des METP en gardent souvent de mauvais souvenirs et, voyant le gouvernement promouvoir son nouveau dispositif, elles se demandent si elles ne se font pas resservir le même plat avec une nouvelle sauce.
Le petit nombre de dossiers rend aussi les spéculations difficiles. " Il n’y a pas assez de projets et pas assez de recul pour y voir encore clair. Le succès du PPP dépendra notamment de la position adoptée par les collectivités locales ", ajoute Eric Gintrand. Or, ce n’est pas encore le cas. Pour le moment, il y a relativement peu de dossiers, souvent de faible importance et dans les domaines limités comme la signalisation ou l’éclairage.
On peut penser que certaines dispositions du projet de loi auront un impact favorable et rendront certains PPP plus séduisants aux yeux des personnes publiques comme des personnes privées. A ce titre, les assouplissements sur les possibilités pour le partenaire privé d’exploiter le domaine de la personne publique en marge du projet faisant l’objet du PPP, sont intéressants. Tel est le cas d’un partenaire privé auquel on accorde le droit d’installer un hôtel sur un espace jouxtant un parc des expositions dont la réalisation lui aurait été confiée dans le cadre d’un PPP. Les revenus de cette dernière activité sont alors pris en compte et viennent diminuer le montant des redevances dues par la personne publique pour l’ouvrage principal. Ces cas de figure gagnant/ gagnant ont vocation à être plus nombreux.
Il reste certaines questions de fond qui n’ont pas été tranchées et qui auront, le moment venu, un impact sur la généralisation des PPP. Il faudra ainsi savoir si le titulaire d’un contrat de PPP peut gérer le service public ou s’il ne fait qu’y participer sans gérer. Cette question se pose dès lors que le service est délégable. Dans le cas, par exemple, d’une installation d’incinération de déchets : est-ce que la simple exploitation par le partenaire privé de cet équipement signifie qu’il assume la gestion du service public ? Quand ces questions seront soulevées, il faudra trancher sur la question de savoir si le recours au PPP est possible en cas de gestion de service public. Une réponse négative serait susceptible de limiter considérablement la portée du PPP.
En conclusion, il ressort de notre enquête que les praticiens sont là pour répondre présents aux défis du PPP mais que pour le moment, c’est ce dernier qui manque à l’appel. Peut-être que les gros projets qui viennent d’être mis en route par l’administration pénitentiaire ou encore l’armée contribueront à donner l’exemple. Le Conseil constitutionnel et les tribunaux saisis de recours devront quant à eux décider si le PPP peut devenir une pratique courante ou devra se cantonner dans un rôle d’exception. La voie ouverte aux PPP pour les domaines dits prioritaires jusqu’en 2012 verra très vraisemblablement cette date prorogée. Les collectivités locales devront quant à elles décider si elles veulent se lancer pour de bon. En attendant, les nombreux publicistes qui ont imprimé les lettres PPP dans les brochures de leurs cabinets sont contraints d’attendre encore un peu que ces initiales s’inscrivent dans leur pratique courante.