Asie et pays émergents, quelle stratégie pour s'implanter

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Où est la croissance mondiale ? Nous savons qu’elle n’est pas dans notre vieille Europe. Comment les avocats peuvent-ils aller chercher cette croissance dont la mondialisation de ces vingt dernières années a redistribué
les cartes ?

A l’exception notable de Gide, Loyrette, Nouel qui a déployé depuis trente ans une véritable stratégie d’expansion internationale avec ses 21 bureaux dans le monde entier (à l’exception de l’Amérique du Sud et de l’Océanie), les cabinets d’avocats français sont peu visibles sur la scène internationale. Certes, il est plus facile d’établir des réseaux de correspondants que de faire le grand saut et de s’implanter à l’étranger, néanmoins l’ouverture de bureaux en Asie et dans les pays émergents n’est pas un privilège réservé aux seules multinationales du droit.

Le Monde du Droit a cherché à mieux comprendre les opportunités et les risques liés à l’ouverture de bureaux lointains. A travers les expériences en Asie et en Afrique du Nord de Lefèvre Pelletier & associés, l’aventure asiatique étonnante de DS Avocats ainsi que l’approche très structurée et organisée de Linklaters sur le marché indien, nous avons voulu étudier différentes approches de l’expansion internationale. En comprenant la réflexion en amont, les stratégies de mise en oeuvre ainsi que les retombées prévisibles (ou pas), cette étude permet de mieux saisir les opportunités et de mieux comprendre les risques d’une expansion en direction des économies dites émergentes – même si celles-ci ont maintenant émergé.

Les "nouveaux pays" sont une opportunité pour les cabinets français

Progressivement mais inexorablement, la part de marché des cabinets d’avocats d’affaires " full service " français a diminué au profit des cabinets anglais et américains installés à Paris. Il ne s’agit pas de refaire l’histoire en se demandant si le phénomène est dû aux conditions du rapprochement entre avocats et conseils juridiques, à l’internationalisation de la pratique du droit des affaires ou tout simplement à la qualité des prestations offertes par ces structures, mais il faut se rendre à l’évidence que les avocats français qui ne sont pas allés gonfler les rangs des structures anglo-saxonnes ont rarement la force de frappe de ces dernières.

Au moment de traverser l’Atlantique ou la Manche, les grands cabinets anglais et américains se sont interrogés sur leurs choix d’implantation : Paris, Bruxelles, Londres (pour les Américains) ou encore Francfort. Les hésitations n’ont pas duré longtemps, la plupart de ces cabinets se sont installés dans toutes ces villes. Même si un certain nombre de cabinets français ont ouvert des têtes de pont à Bruxelles, il a fallu qu’ils se rendent à l’évidence qu’il était difficile de concurrencer des Clifford Chance ou des Cleary Gottlieb en Europe, en dehors de l’hexagone.

DS Avocats a ouvert un bureau à Pékin en 1986 bien avant que le monde entier ne s’y précipite. " Notre logique était d’aller là où il n’y avait personne et pas là où l’offre juridique était déjà satisfaite ", explique Daniel Chausse, associé et Président de DS Avocats. En effet, une telle implantation en 1986 précède de huit ans la véritable ouverture de la Chine à une économie de marché et au jeu des affaires internationales.

Même si les données de marché ont considérablement changé en Chine au cours des vingt deux dernières années, il n’en reste pas moins que pour les entreprises étrangères s’implantant ou investissant en Chine ou pour les sociétés chinoises se tournant vers l’étranger, la demande de services juridiques et de conseils tels que peuvent en fournir les avocats européens est supérieure à l’offre actuelle, comme le souligne Paul-Emmanuel Benachi, associé en charge de l’Asie au sein de Lefèvre Pelletier & associés. Il y aurait donc encore des places à prendre.

La question que beaucoup d’avocats peuvent se poser est la suivante : la présence en Chine est-elle une aventure encore dangereuse et spéculative ou est-elle une nécessité dans le contexte actuel de l’économie mondiale ? La réponse se situe entre les deux selon le profil et les moyens dont dispose un cabinet qui se poserait ces questions. Cela dit, ceux qui ont tenté et qui sont actuellement présents en Chine peuvent témoigner du caractère surmontable de nombreuses difficultés.

Il est cependant à regretter que les pouvoirs publics comme les instances représentatives de la profession d’avocat soient aussi peu mobilisés pour favoriser la présence des avocats français sur ces nouveaux marchés. " Il n’y a jamais eu véritablement de stratégie du Barreau pour aider les cabinets français à s’exporter ", regrette Jean-Luc Bédos, associé et membre du directoire de Lefèvre Pelletier & associés dont le cabinet a toutefois ouvert, en plus de leur bureau de Hong-Kong, quatre nouveaux bureaux au cours de ces trois dernières années dont deux en Chine (Canton (2005), Shanghai (2008), Alger (2007) et Casablanca (2008)). Il ajoute que les relations avec les postes d’expansion économique à l’étranger sont plus cordiales que porteuses de clients. Autant il existe des dispositifs et une écoute pour les PME, notamment industrielles, face aux interrogations et difficultés de ces nouveaux marchés, autant les avocats sont livrés à leur sort et doivent se débrouiller seuls.

Le Barreau de Paris et le CNB pourront méditer sur cette situation et envisager un lobbying international plus efficace. Faut-il rappeler qu’il ne s’agit pas d’un problème français d’ordre juridique ou politique puisque les notaires français ont
réussi la prouesse de créer une profession notariale chinoise et les représentants du notariat français sont de tous les voyages et de toutes les délégations quant il s’agit de représenter le droit français en Chine.

Il n’en demeure pas moins que malgré les difficultés, les retombées sont au rendez- vous pour ceux qui ont le courage d’y aller et la persévérance d’y rester. Partis pour assister les entreprises françaises dans la conquête de nouveaux marchés, ceux qui ont tenté l’aventure des économies émergentes bénéficient maintenant d’un effet qu’ils n’avaient pas anticipé. Les flux économiques se sont en partie inversés et les eldorados d’hier sont devenus les conquistadors d’aujourd’hui. Les investissements peuvent changer de sens mais les avocats demeurent nécessaires.

" Actuellement 15 à 20% de notre chiffre d’affaires global est lié à l’Asie. Nous prévoyons que ce sera 50% dans sept à dix ans ", anticipe Daniel Chausse expliquant que le cabinet recueille maintenant les dividendes de sa stratégie d’implantation.


La méthode Far-east ou business plan ?

Une expansion internationale en direction de pays nouveaux et parfois peu connus ne s'improvise pas. Pourtant, en écoutant ceux qui ont vécu ces expériences, il y a une part incompressible de risque et de telles décisions ne s’affranchissent jamais de cette sensation excitante et effrayante de saut dans le vide.

Dans cette partie de l’article, nous mettons volontairement de côté les cas de cabinets très importants qui se structurent pour accompagner leur clientèle de multinationales dans le monde entier. Si un cabinet représente Total et que ce dernier lui demande d’ouvrir un bureau à Bakou, il y aura une certaine prévisibilité quant à la nature et à la quantité de travail qui sera effectué par ce bureau.

Malgré des approches et un historique différents Lefèvre Pelletier & associés et DS Avocats se sont lancés dans l’expansion internationale sans avoir de clients à suivre dans ces nouveaux territoires. Ces deux cabinets ont donc agi dans une anticipation spéculative de ce que leurs décisions pouvaient leur rapporter ou leur coûter.

Daniel Chausse a participé à l’expansion internationale de DS Avocats depuis le début et se souvient de l’époque où le cabinet disposait de très peu de moyens. " C’était une affaire d’hommes et de capacités à saisir des opportunités, mais surtout un pari ", explique-t-il. Dans son cas, il considère que la petite taille du cabinet il y a vingt ans était un avantage. " Nous étions un petit nombre de gens qui se faisaient confiance, c’est ce qui permettait aux initiatives de se réaliser ", poursuit-il.

Effectivement, les premières tribulations de DS Avocats en Asie se sont faites avec des moyens limités. " Nous misions sur de jeunes collaborateurs dont l’objectif était d’établir une présence sur place et de récupérer les entreprises françaises qui s’installaient là-bas ", raconte Daniel Chausse. Les expériences ne sont pas toujours de tout repos car les collaborateurs qui développent et suivent des affaires localement sont souvent la proie de concurrents qui arrivent et veulent profiter du travail de défrichage déjà accompli.

Depuis, l’environnement s’est professionnalisé et durci mais la fibre internationale de DS Avocats est restée intacte. Après Pékin en 1986, le cabinet s’est installé à Shanghai en 1997 et à Canton fin 2006. DS Avocats a été le premier cabinet étranger à disposer de trois licences lui permettant d’exercer à partir de trois bureaux en Chine. Parallèlement à son expansion chinoise, DS avocats dispose de deux bureaux au Vietnam à Hanoï et à Hô-Chi-Minh-Ville depuis 1993.

Ces dernières années, les règles ont changé et les conditions de marché également. Lefèvre Pelletier & associés (LPA) a vécu cette évolution de manière intéressante. Le cabinet avait ouvert un petit bureau à Hong Kong en 1998.   " La décision d’ouvrir à Hong Kong était un mélange d’impulsion et d’opportunisme. Le bureau a été un laboratoire qui nous a été utile pour savoir comment nous organiser par la suite " explique Jean-Luc Bédos avant de préciser " Alors que c’était un poste de coûts, nous ne l’avons jamais fermé ".

A partir de son expérience de Hong Kong, LPA a ensuite construit de façon très méthodique et rationnelle son expansion chinoise. Commençant par Canton, proche de Hong Kong, le cabinet a mis un premier pied en Chine en 2005. Le choix se posait alors entre Pékin et Shanghai et LPA a opté pour cette dernière où elle vient d’ouvrir un bureau cette année. " Hong Kong reste très stratégique pour nous. C’est encore là que se structurent les investissements pour la Chine continentale avec l’avantage d’une certaine souplesse juridique qui permet d’apporter aux clients les solutions souhaitées ", souligne Paul-Emmanuel Benachi.

Le bureau de Shanghai est actuellement en pleine organisation : l’enjeu est de combiner le transfert des compétences de Paris vers la Chine tout en y associant des compétences locales. Ce n’est pas une mince tache puisqu’il y a encore assez peu de juristes chinois qui soient à la fois francophones ou anglophones et compétents techniquement. Quant aux européens ou américains qui ont une expérience de la Chine, leurs compétences sont très prisées dans un marché très demandeur. Pour ses bureaux chinois, LPA n’a que peu eu recours à l’expatriation. Une telle solution reste une option souvent trop coûteuse et ceux qui sont recherchés sont ceux qui n’envisagent pas un retour en Europe, ou en tout cas pas à moyen terme.

Même dans un marché aussi énorme que la Chine, les avocats étrangers se font vite connaître et les clients potentiels sont vite informés de la présence d’un nouvel arrivant. Néanmoins, la concurrence se développe et dès ses premiers jours à Shanghai, LPA a prévu de doter son nouveau bureau d’une personne dédiée au marketing. " Pour nos nouvelles implantations, nous nous organisons pour atteindre le point mort dans 12 à 18 mois ", précise Jean-Luc Bédos.

Pour Jean-Luc Bédos, il n’est maintenant plus envisageable de tenter l’ouverture de bureaux secondaires avec des collaborateurs ou il faut à tout le moins que le ou les collaborateurs concernés sachent que leur association est prévue. En effet, la distance ne facilite pas la communication et un responsable d’un nouveau bureau a besoin d’être autonome et en confiance.

Tour intégré, réseau ou les deux ?

Réfléchissant à l’opportunité d’être présent sur de nouveaux marchés, de nombreux cabinets se disent que l’appartenance à un réseau efficace et bien structuré peut suffire pour offrir un service de qualité. En effet, pourquoi s’infliger le risque et les contraintes liées à une implantation lointaine ?

Pour Daniel Chausse, l’expansion internationale de DS Avocats a eu de nombreuses vertus. " Grâce à notre expansion internationale, nous nous sommes adaptés plus vite à une vraie culture d’entreprise. Nos implantations internationales nous ont aidé à réagir plus vite en termes d’organisation. A Paris, nous devions être à la hauteur de ce que nous sommes là-bas ", explique-t-il.

Jean-Luc Bédos souligne que les implantations à l’étranger de LPA permettent au cabinet d’être perçu différemment par certaines des grandes structures anglosaxonnes. " Quand on leur dit que nous sommes présents à tel ou tel endroit, cela a une grande résonance puisqu’ils ont eu la même démarche. Ils sont à Bruxelles ou à Francfort et nous sommes à Casablanca ou à Alger. Ils nous comprennent et, de ce fait, nous pouvons être leur relais dans ces endroits où ils ne sont pas implantés ".

Indépendamment de toute considération liée au chiffre d’affaires développé sur place, il est incontestable qu’une présence physique dans des marchés où se trouvent des relais de croissance crée un impact bénéfique pour ceux qui font ce choix. Il s’agit de trouver le juste équilibre entre les implantations et le travail en coopération avec des avocats sur place.

Chez LPA, les implantations locales se sont accompagnées d’un réseau de cabinets " good friends " à la fois dans les pays où le cabinet n’est pas présent mais également dans ceux où des bureaux ont été ouverts, notamment pour l’activité contentieuse indispensable pour être en mesure de fournir un  service complet.

Chez DS Avocats, le choix a été de combiner sous l’appellation DS des cabinets qui font intégralement partie de l’association, à savoir Paris, Lyon, les trois cabinets chinois, les deux cabinets vietnamiens et Singapour, avec des cabinets indépendants mais qui opèrent également sous la marque DS associée à leur propre nom, comme c’est le cas à Bruxelles, Barcelone, Milan, Buenos Aires et Tunis.

Approcher les marchés fermés aux avocats étrangers : Linklaters en Inde

Même dans un marché mondialisé, la pratique du droit reste très réglementée et certains pays n’autorisent pas (encore) l’exercice d’une activité juridique par des étrangers sur leur territoire. C’est le cas de l’Inde alors que ce pays présente des opportunités considérables pour les avocats du monde entier dont les clients convoitent ce gigantesque marché. Malgré ces restrictions, Linklaters est très actif sur les dossiers indiens.

Par une approche très organisée et structurée impliquant près de 120 avocats à travers le monde dont une trentaine se consacrent entièrement aux dossiers indiens, Linklaters accompagne ses clients en Inde et assiste ses clients indiens. Bien que s’agissant d’un cabinet avec une présence mondiale et des moyens très importants, le travail que Linklaters accomplit avec son India Group peut inspirer des structures qui ne disposent pas de ressources aussi importantes mais s’interrogent sur la manière d’approcher le marché indien.

Sandeep Katwala est basé à Londres d’où il dirige le India Group de Linklaters. A Paris, les activités concernant l’Inde sont suivies par un certain nombre d’associés et de collaborateurs dont Bertrand Cardi, associé de Linklaters à Paris, spécialisé en fusions-acquisitions et offres publiques. Au cours des années 90, Linklaters a développé une activité de conseil liée aux activités d’infrastructures en Inde ainsi que l’assistance de sociétés indiennes dans leurs opérations de levées de capitaux sur les marchés européens. C’est en 2003 que le cabinet a constitué son India Group entièrement dédié aux affaires indiennes. Les membres de ce groupe sont installés dans les desks indiens situés dans différents bureaux notamment à Londres, Singapour, Hong Kong, Düsseldorf.

Les équipes travaillent sur trois axes : les sociétés indiennes qui s’établissent en dehors de l’Inde, les multinationales qui font des acquisitions ou qui s’installent en Inde et les banques et institutions financières qui financent toutes ces opérations.

Rappelant que la loi indienne interdit l’installation d’avocats étrangers, Sandeep Katwala explique : " Notre valeur ajoutée est dans notre savoir-faire en matière de transactions internationales associée à une profonde connaissance du marché indien. Nous employons des avocats indiens même si ceux-ci n’exercent pas en Inde et nous avons des relations privilégiées avec des avocats sur place que nous connaissons depuis plus de vingt ans ".

" A l’exception d’Allen & Overy, nous sommes le seul cabinet à avoir mis en place une telle organisation ", ajoute Sandeep Katwala qui consacre une partie importante de son temps à présenter dans le monde entier les services que peut offrir son équipe. " Un certain nombre de sociétés françaises développent actuellement leurs activités en Inde. C’est un pays qui intéresse tout le monde. Avant, c’était un marché de sous-traitance et d’outsourcing, maintenant les entreprises françaises s’intéressent au marché intérieur indien, a fortiori dans le contexte du ralentissement de la croissance en Europe ", ajoute Bertrand Cardi.

Le service que Linklaters apporte à ses clients intéressés par le marché indien repose sur un travail d’équipe entre l’associé qui connaît son client et l’India Group qui connaît l’Inde. Le conseil dépasse alors le cadre strictement juridique. "Notre but est d’expliquer comment les choses se déroulent vraiment en Inde. Les barrières à l’entrée sont parfois plus importantes qu’on ne le croît ", prévient Sandeep Katwala.

L'apparition de nouveaux axes

Pendant longtemps, les Européens ont eu une vision un peu binaire de l’économie mondiale basée sur de grands axes Nord – Sud et Est-Ouest. Or, les évolutions de l’économie mondiale ont changé la donne et la géométrie n’est plus si simple. L’exemple le plus frappant en est le poids économique de la Chine en Afrique depuis quelques années. Les avocats français ont là des cartes à jouer et c’est une des directions stratégiques choisies par Lefèvre Pelletier & associés.

" Notre présence en Afrique du Nord, associée à notre présence en Chine, nous donne des arguments de poids pour assister les Chinois dans leurs activités économiques en Afrique ", explique Jean-Luc Bédos. Il faut ajouter que cette présence au Maghreb peut avoir des ramifications sur l’ensemble du continent. Dans sa stratégie, LPA reste proche des centres financiers et les banques marocaines sont omniprésentes en Afrique de l’Ouest et en Afrique équatoriale.

DS Avocats a également compris cette opportunité en faisant valoir à ses clients chinois que le cabinet disposait maintenant d’un bureau associé à Tunis. Les effets ricochet sont également nombreux et les cabinets français qui s’implantent en Asie ou en Afrique ont de ce fait davantage de services à proposer à leurs confrères et correspondants étrangers. Plus le temps passe et moins il y aura de pionniers dans ces nouveaux marchés de moins en moins nouveaux. Toutefois, la demande de conseils et d’assistance est, pour le moment, encore supérieure à l’offre.


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