Pertes d’exploitation Covid : l’espérance légitime de la CEDH au secours des restaurateurs ?

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À l’heure où les restaurateurs pansent leurs plaies et que le marché retrouve enfin des couleurs, les dernières cicatrices de la pandémie ont parfois du mal à se refermer. Le contentieux opposant les restaurateurs à leurs assureurs a laissé un gout amer aux premiers, la Cour de cassation ayant statué, en 2021, en faveur de la validité des clauses d’exclusion stipulées par AXA. Mais les cours d’appel de renvoi s’apprêtent à recevoir de nouvelles conclusions, et l’espoir des restaurateurs renaît en cette veillée d’armes, car certains arguments pourraient faire pencher la balance en leur faveur.

Chacun se souvient des arrêts litigieux1. Plusieurs sociétés exploitant des restaurants avaient conclu, comme tant d’autres, un contrat d’assurance « multirisque professionnel » avec la société AXA France IARD. Quelques années plus tard, la pandémie touche la France et le gouvernement réagit en promulguant plusieurs arrêtés, en 2020 puis en 2021, portant interdiction pour les restaurants et débits de boissons d’accueillir du public. La société a déclaré son sinistre découlant de ces deux périodes de fermetures. La garantie « protection financière » du contrat type, dont l’assuré souhaitait bénéficier, renfermait une clause ainsi rédigée : « La garantie est étendue aux pertes d’exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l’établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : 1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même ; 2. La décision de fermeture est la conséquence d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication. » Mais l’assureur lui oppose une clause d’exclusion de garantie excluant « les pertes d’exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative pour une cause identique. » De nombreux restaurateurs ont alors assigné AXA en paiement de la garantie.

Pour les assurés, la clause n’était pas formelle et limitée au sens de l’article L.113-1 du Code des assurances et devait être réputée non écrite. La Cour de cassation considère cependant que la clause ne souffrait d’aucune ambiguïté pas plus qu’elle n’était illimitée puisque « alors que la garantie couvrait le risque de pertes d’exploitation consécutives, non à une épidémie, mais à une fermeture administrative ordonnée à la suite d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication, de sorte que l’exclusion considérée, qui laissait dans le champ de la garantie les pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à ces autres causes ou survenue dans d’autres circonstances que celles prévues par la clause d’exclusion, n’avait pas pour effet de vider la garantie de sa substance. »

Le droit commun des obligations n’avait pas eu plus de chance. Des cours d’appel avaient ainsi décidé d’annuler les clauses d’exclusions sur le fondement de l’ancien article 1131 du Code civil par lequel les clauses vidant de substance l’obligation essentielle devaient être réputées non écrites. La Cour de cassation refuse d’adopter une approche cumulative des deux textes. Au nom du principe specialia generalibus derogant, seul l’article L.113-1 du Code des assurances peut permettre l’annulation de la clause, et les conditions de ce dernier ne sont pas réunies2.

Par ces deux arrêts, la Cour de cassation a douché les espoirs des assurés. Pour éviter de faire peser sur AXA un risque systémique, la Cour de cassation a préféré aller contre l’écrasante majorité des cours d’appel qui, à la lumière de leur libre pouvoir d’appréciation, avaient considéré que les clauses d’exclusions étaient manifestement illimitées. Une telle série d’arrêts ne laisse plus beaucoup d’espoirs aux assurés et le droit national semble avoir épuisé tout son arsenal juridique.

Ceci étant, on est en droit de se demander si l’évolution particulièrement cruelle de ce contentieux systémique ne traduirait pas dans les faits une véritable expropriation d’un droit de créance indemnitaire.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) protège, en effet, au titre du droit de propriété protégé par l’article 1§1 du protocole additionnel à la CEDH, « l’espérance légitime » d’une créance.

À ce titre, la CEDH admet ainsi qu’il y a espérance légitime dès lors que « le titulaire de la créance démontre que celle-ci a une base suffisante en droit interne, par exemple qu’elle soit confirmée par une jurisprudence bien établie des tribunaux3 ».

Tel pourra être le cas dans l’hypothèse d’un revirement inopiné de jurisprudence. Dans une affaire « Mottola contre Italie », la Cour a ainsi considéré que « compte tenu des incertitudes pouvant subsister quant à l’interprétation des dispositions pertinentes du texte unifié sur l’emploi public, (…) l’État n’a pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts publics et privés en jeu, et que la décision du Conseil d’État a vidé de toute substance l’espérance légitime des requérants de voir reconnaître leurs droits à pension. Les intéressés ont donc dû supporter une charge excessive et exorbitante, ce qui a emporté violation de l’article 1 du Protocole no 1 »4.

En l’occurrence, dès lors que l’écrasante majorité des cours d’appel ont reconnu que la clause d’exclusion des contrats d’AXA vidait de sa substance la garantie en ce qu’elle était soit ambiguë, soit illimitée, il est possible d’avancer que les assurés avaient une espérance légitime à voir concrétiser leurs créances d’indemnisation. D’autant plus lorsque que l’on considère que la Cour de cassation a simplement voulu éviter un risque systémique pour les assureurs en privant les juges du fond de leur liberté d’appréciation. L’État français, à travers la Cour de cassation, a porté une atteinte particulièrement grave à l’espérance légitime des assurés d’obtenir leur créance d’indemnisation.

En refusant l’indemnisation des restaurateurs, les juridictions commettraient dès lors une violation de l’article premier du protocole n°1 pour exiger paiement aux assureurs.

Si les cours d’appels de renvoi et la Cour de cassation persistent dans leur position, une saisine de la CEDH par les restaurateurs lésés pourrait sans doute permettre de renverser la vapeur…

Etienne Feildel, Associé, Bruzzo Dubucq

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1. Civ. 2e, 1er décembre 2022, n°21-15.392 ; n°21-19.341 ; n°21-19.342 et  n°21-19.343. 
2. Civ. 2ème, 12 octobre 2023, n°22-13759.
3. CEDH, 6 octobre 2005, Maurice c/ France, n°64 et s. 
4. CEDH, 4 février 2014, Mottola c/ Italie, n°29932/07


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