Mercredi 12 janvier 2022 a eu lieu, à Strasbourg, le Colloque labellisé Présidence française du Conseil de l’Union européenne, organisé par le Conseil national des barreaux, le barreau de Paris, la Conférence des bâtonniers, le barreau de Strasbourg et la Délégation des barreaux de France, avec l’aide de l’ERAGE. Premier évènement organisé dans le cadre de cette présidence, ce colloque entendait mettre au cœur de l’Europe, protectrice des injustices, la profession d’avocat.
Si la première partie de l’évènement était dédiée à l’avocat en tant que garant de la protection des libertés, la seconde traitait de la profession sous le prisme de l’état de droit : « l’avocat acteur de l’état de droit. » Lors de ce dernier atelier, avocats, ministres, magistrats, journalistes, commissaires et députés européens se sont succédé pour faire entendre leurs points de vue sur le rôle de l’avocat dans la lutte contre l’intimidation judiciaire.
Comment lutter contre l’intimidation judiciaire ?
Christina Kruger – ancienne bâtonnière de l’Ordre des avocats du barreau de Strasbourg – a d’emblée posé cartes sur table : la dénonciation de groupes pour avoir lancé l’alerte ou apporté des critiques est aujourd’hui monnaie courante. Selon elle, on assiste à un détournement du débat de la sphère politique à la sphère juridique.
De la lutte contre les poursuites-bâillons aux propositions de sanctions, les instances européennes s’en sont saisies en instaurant des groupes de travail afin que les avocats soient inclus comme victimes directes et non seulement à travers leurs clients.
« La réponse à l’intimidation judiciaire est judiciaire »
Vincent Nioré – Vice bâtonnier du barreau de Paris – a rappelé à cet égard que l’intimidation judiciaire n’est pas seulement le fait d’un gouvernement, mais peut également venir d’un magistrat, d’un procureur général donc, ou encore d’un avocat, qui porte plainte au pénal. Il a souligné à ce titre, le rôle que joue le bâtonnier dans ce combat, qu’il lui tient à cœur de préserver : défenseur des droits de la défense et du secret professionnel. Le renforcement du dialogue avec les magistrats est l’une des premières pierres à poser à l’édifice pour militer contre ces pratiques.
Les avocats peuvent effectivement faire l’objet d’intimidation de la part d’adversaires de leurs clients ou d’autorités publiques. Matthieu Boissavy – Avocat au barreau de Paris et Vice Président de la Commission Libertés et Droits de l’homme du CNB – s’est joint au discours du Vice-bâtonnier du barreau de Pairs tout en regrettant que la loi ne prévoit pas de protection contre ce type d’action. Si les tiers peuvent aujourd’hui facilement saisir le bâtonnier ou l’instance disciplinaire pour engager des poursuites contre un avocat, Matthieu Boissavy espère une législation européenne forte et efficace en la matière. Des questions restent d’ailleurs en suspens à l’heure actuelle. Par exemple, une poursuite-bâillon est-elle constitutive d’une intimidation au sens de l’article 334-8 du code pénal ? Selon lui, une législation spécifique semble aujourd’hui nécessaire.
« Rien n’est jamais acquis, la démocratie est extrêmement fragile »
Le juge Pawel Juszczyszyn – juge au Tribunal Régional de Olsztynie – venu témoigner de l’état actuel d’une justice polonaise politisée et « à la botte du pouvoir », faute de réformes jugées contraires à la Constitution polonaise, à la Convention européenne des droits de l’Homme et aux valeurs et droits fondamentaux de l’Union européenne. Concrètement, il a expliqué que la politisation de la chambre nationale judiciaire représente le « Mal » au sens où « depuis mars 2018, la nomination des magistrats au sein de cet organe a commencé à appartenir au Parlement polonais ». Une grande partie des juges ont refusé de participer aux élections des juges de cet organe : sur plus de 10.000 magistrats polonais, seuls 18 ont candidaté pour 15 postes. L’un d’ailleurs, n’a pas réussi à réunir les 25 signatures de soutien requises.
« Selon moi, mais aussi d’autres de mes collègues, nous estimons que les personnes qui siègent là-bas ne sont pas dignes de représenter le personnel de la magistrature ». Pawel Juszczyszyn a été le premier a appliqué la jurisprudence A.K. de la Cour de justice de l’Union européenne du 19 novembre 2019 (requêtes n° C-585/18, C-624/18 et C-625/18). Résultat des courses : il a été révoqué de ses fonctions 5 jours plus tard, par une lettre adressée par le ministre de la Justice polonais.
« Un juge ne doit pas avoir peur des politiques » s’est-il exprimé. Son but était d’en informer les médias, quoi qu’il en coûte. Il raconte qu’il a toutefois fait l’objet de poursuites disciplinaires, ses agissements ont même été qualifiés de « criminels ». En février 2020, il a été écarté définitivement de ses fonctions de juge. Refus d’exécuter les décisions des différentes cours européennes, destruction de documents officiels, décisions dénuées de force de chose jugée, nouvelle loi bâillon empêchant les juges de vérifier l’impartialité et l’indépendance des organes qui rendent les décisions, etc. : tous les moyens sont bons pour faire taire l’opposition aux réformes populistes et autoritaires.
« Nous les juges, nous sommes en première ligne de la protection des libertés. Nous en payons le prix fort, mais nous y sommes prêts et nous comptons sur vos soutiens », a-t-il conclu. De la même manière, Hania Goutierre – Avocate au barreau de Paris, Présidente honoraire de la Chambre de commerce polonaise en France – a rapporté que « les avocats en Pologne sont aussi souvent mis sur écoute lorsqu’ils s’engagent pour la défense des juges comme Pawel ». Les avocats sont, selon elle, dans une position inconfortable et dichotomique : quel aspect prime sur l’autre, l’intérêt du client ou l’état de droit ?
Elle a expliqué à cet égard vouloir continuer à sensibiliser la population sur les valeurs de l’Europe et attendre le soutien des avocats français, sans jamais céder ou transiger sur les valeurs fondamentales.
« Les procédures-bâillons sont devenus l’arme favorite des riches et des puissants pour exercer des représailles contre ceux qui parlent et qui s’expriment »
A l’image des avocats, les journalistes – véritable incarnation des valeurs de liberté, d’indépendance et de pluralisme – sont devenus des cibles systématiques à l’égard desquelles un grand nombre de procédures-bâillons ont été engagées. Selon Paul Coppin – Responsable des affaires juridiques chez Reporters sans frontières – « les juges ne condamnent pas, mais pour autant, le mal est fait. Ceci notamment dans les pays où la justice est corrompue ». S’il a estimé que cela représentait un problème pour le droit du public à l’information, il a expliqué que c’était aussi une atteinte importante à la démocratie.
Face à ce phénomène qui s’accroît et se multiplie, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, est intervenu en clôture pour exprimer son soutien et rappeler que « le projet de directive annoncé pour le mois d’avril devrait annoncer des mesures de soutien pour les victimes de ces procédures et des remparts ».
Léa Verdure