Quelle structure juridique choisir pour concilier intérêt économique et finalité sociétale ?

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Christophe Guénard et Philippe Durand, avocats associés chez PwC Société d'Avocats, reviennent sur les questionnements relatifs à la « raison d'être » des entreprises et à la forme juridique idoine des entreprises pour concilier à la fois des intérêts économiques et des finalités sociétales.

Le rôle de l’entreprise au cœur des débats

La séquence actuelle trouble nos repères, met sous pression les Etats concernant notamment la distribution faite entre des activités marchandes et non marchandes, ce qui relèverait de l’économie de marché et ce qui doit en être exclu.

Nos entreprises dont certaines sont ou seront en extrême difficulté sont exposées aux mêmes questionnements : le dépassement de l’intérêt purement économique, la contribution à des missions d’intérêt sociétal ou général sans tomber dans l’angélisme ou l’utopie d’une entreprise philanthrope, la pérennité, cruciale pour les stakeholders de l’entreprise et au premier chef pour les salariés et partenaires clés, la durabilité, la résilience, l’agilité.

La finalité économique naturelle de l’entreprise ne suffit plus.

L’entreprise doit pouvoir concilier son objet économique avec une finalité sociétale ou d’intérêt général. Elle doit pouvoir de manière durable s’inscrire dans un territoire, penser de manière agile l’évolution de ses ressources humaines, de ses actifs industriels et immatériels et mieux sécuriser sa chaîne de valeurs. Elle doit concilier le temps court des indicateurs financiers et le temps long du développement de sa stratégie qui inclut des investissements non rentables à court terme.

La Loi Pacte innove avec la raison d’être et la société à mission

La loi Pacte prévoit que l’intérêt social doit prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux. Cette loi instaure la notion de raison d’être et le statut de sociétés à mission ce qui permet de dépasser le strict horizon économique.

La recherche de la conciliation de l’économique et du sociétal n’est pas nouvelle.

L’économie sociale et solidaire a une contribution importante dans l’économie française avec notamment les coopératives, les associations et mutuelles. Un dosage savant de lucrativité encadrée et de non-lucrativité, une gouvernance et une culture d’adhérents et non d’actionnaires, un ancrage et une « raison d’être » territorial sont les marqueurs de ces organisations.

Quelle place pour le non-lucratif dans un groupe de sociétés ?

Depuis longtemps, certaines de nos entreprises localisent en leur sein une fondation d’entreprise ; une activité non lucrative étant développée en prolongement de l’activité économique du groupe de sociétés. Le respect d’un certain nombre de dispositions légales permet à cette entreprise qui développe une activité non lucrative de bénéficier des dispositions fiscales favorables du mécénat.

On trouve également dans certains groupes des associations ou des fonds de dotation, étant précisé que les règles de gouvernance posées par les textes (notamment pour les fonds de dotation) ou par la doctrine fiscale en pratique obligent à laisser une certaine autonomie de ces structures au sein d’un groupe.

Il existe de manière assez exceptionnelle dans certains groupes des fondations reconnues d'utilité publique (« FRUP »), créées par décret en Conseil d'Etat, avec la présence d'un commissaire du Gouvernement. Ces fondations, comme Pasteur ou Mérieux, ont des relations historiques avec une entreprise liées à une activité spécifique et à l'importance de la recherche médicale dans les deux cas.

Abriter les titres d’une entreprise sous une fondation reste peu courant

Les entreprises et notamment les ETI familiales en France ont l’enjeu d’assurer une pérennité et le maintien d’un patrimoine économique et industriel.

Depuis bien avant la loi Pacte, les associations, les fondations reconnues d’utilité publique et les fonds de dotation peuvent être propriétaires d’une majorité du capital d’une société commerciale.

Les associations et fonds de dotation peuvent effectivement détenir des sociétés pour la gestion de leur patrimoine (SCI par exemple) ou pour l'exercice de leur mission (filialisation d'une activité comme une imprimerie ou l'organisation d'événements).

Pour les FRUP, la possibilité de détenir des participations majoritaires leur a été ouverte en 2005 (amendement Carayon) mais sous réserve du respect du principe de spécialité, autrement dit, cette participation ne peut être que l'accessoire ou le prolongement de la mission d'intérêt général. Quelques contre-exemples existent bien sûr. Une des revendications d'une partie du monde associatif dans le cadre de la préparation de la loi Pacte était de faire sauter ce verrou. Des assouplissements (avec le fonds de pérennité) ont été consentis par le législateur mais le verrou demeure.

C'est le fonds de dotation (qui pouvait déjà détenir des participations majoritaires qui a servi d'exutoire avec le fonds de dotation actionnaire). Le monde associatif « traditionnel » insiste pour faire valoir que cela ne saurait remettre en cause la primauté du caractère non lucratif et de la mission d'intérêt général.

Contrairement à nos voisins allemands, norvégiens, suisses, il y a encore en France très peu de groupe de sociétés abrités par une fondation permettant de concilier la poursuite d’un intérêt économique avec celui d’une mission sociétale. Les exemples de ce type à l’étranger démontrent pourtant la robustesse économique et la pérennité de groupes qui ont adopté des « fondations d’actionnaires ».

Les fondations allemandes ou néerlandaises ont pour raison d'être historique le verrouillage du capital et la gestion d'indivisions un peu trop nombreuses. La défiance française aux biens de mainmorte a longtemps fait obstacle à cette évolution dans notre pays (comme au développement des trust ou fiducie). Mais dans les pays qui pratiquent ce genre de fondation actionnaire, l'avantage fiscal recherché concerne surtout les droits de succession et pas le régime du mécénat (au demeurant moins généreux). Cela a permis la préservation d'un tissu d'ETI qui ont pu traversé les générations, ce qui n'a pas été possible en France, sauf exception.

En pratique, la société commerciale est détenue par une holding qui gère les intérêts économiques, elle-même détenue par une fondation en charge de définir et conduire les missions sociétales. La fondation reçoit en don les actions de l’entreprise. La fondation a cette vertu de sanctuariser la propriété des titres de la société commerciale permettant d’assurer une certaine durabilité. Les dividendes reçus par la fondation peuvent servir à financer des missions d’intérêt général.

Malgré l’exemple « médiatique » récent d’entreprises de presse comme Libération qui sera désormais abrité par une fondation, la greffe n’a pas pris parmi les entreprises familiales si l’on peut dire tant les objectifs de ces deux types d’entités paraissent à première vue et sans doute à tort contradictoires.

Le fonds de pérennité économique, innovation de la loi Pacte, assure en priorité la pérennité de l’entreprise

La loi Pacte a récemment introduit le fonds de pérennité économique qui a pour objet de pérenniser la détention de capital d’une société.

Elle organise la gouvernance de ce fonds qui gère les titres qui lui sont apportés et exerce les droits politiques et financiers qui y sont attachés.

Ce fonds de pérennité aura, s’il le souhaite, la possibilité de conduire une mission d’intérêt général en créant notamment un fonds de dotation à cet effet qui bénéficie du régime fiscal du mécénat. Une attention particulière devra être apportée à la rédaction des documents constitutifs du fonds.

Cet « animal juridique » hybride pourrait faciliter la transmission d’entreprises familiales ce qui assurerait le maintien d’un patrimoine industriel français notamment d’ETI.

Notre législation ne manque pas de « véhicules » juridiques permettant de concilier intérêt économique et utilité ou finalité sociétale ou collective.

Les questionnements que nous avons dans le cadre de cette crise doivent nous conduire à « déconfiner » et travailler ce sujet de société.

Christophe Guénard et Philippe Durand, avocats associés chez PwC Société d'Avocats


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