Emmanuel Laverrière : « Les TPE risquent d'être en première ligne pour les dépôts de bilan »

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Le Monde du Droit a interviewé Emmanuel Laverrière, avocat associé au sein du cabinet Racine, au sujet du restructuring et des défaillances d'entreprises qui risquent d'arriver à la suite de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19.

Que permet l'ordonnance du 20 mai portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises ?

D’une part, il existe des dispositions exceptionnelles applicables jusqu’au 31 décembre 2020. En matière de prévention, la plus notable est celle qui permet au débiteur en conciliation de demander au Président du Tribunal qui l’a ouverte d’interdire les actions en paiement d’un créancier si ce dernier refuse de suspendre l’exigibilité de sa créance pendant la conciliation. Le dispositif est radical car, non seulement la décision n’est pas prise contradictoirement mais sur requête du débiteur et, en outre, le créancier pourrait la subir pendant plus de 5 mois (durée légale maximale de la conciliation) puisque l’ordonnance prévoit que, jusqu’au 23 août 2020, les conciliations en cours seront de plein droit prolongées pour 5 mois. Concernant les procédures collectives, l’ordonnance simplifie l’adoption des plans de sauvegarde et de continuation sur deux aspects. Elle accélère tout d’abord le calendrier en permettant au juge-commissaire de réduire à 15 jours, au lieu de 30 jours en temps normal, le délai de consultation des créanciers.

Mais surtout, l’ordonnance fait échec à une jurisprudence ancienne qui exigeait que le projet de plan soit arrêté sur la base du passif déclaré, y compris le passif contesté. Cela conduisait à intégrer dans le projet de plan le règlement de créances litigieuses ou abusives. Désormais, le plan peut être construit sur la base d’une attestation de l’expert-comptable ou du commissaire aux comptes établie en considération du passif admis ou non contestée. Cette solution mériterait d’être adoptée définitivement après la crise sanitaire. Dernière mesure d’importance à souligner est la possibilité pour le Tribunal d’arrêter un plan de cession au profit du dirigeant à la requête de celui-ci, ce qui était auparavant interdit sauf à la requête du Parquet.

D’autre part, il s’agit de transposer certaines des règles déjà annoncées dans la Loi « Pacte » du 22 mai 2019 et la Directive UE Insolvabilité du 20 juin 2019. Outre celles qui renforcent le droit au rebond, la plus notable est celle qui instaure le privilège de « post money » au profit des personnes qui acceptent d’apporter de l’argent frais en période d’observation et de celles qui s’engagent à de tels apports dans le cadre de l’exécution du plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire.

Faut-il s'attendre à un tsunami de dépôts de bilan d'ici septembre prochain ?

C’est certain. Beaucoup d’entreprises maintenues sous perfusion de l’Etat (via le chômage partiel, le fonds de solidarité et le report des charges sociales et fiscales) et des banques (via le PGE) pendant la période d’urgence sanitaire, avec un chiffre d’affaires inexistant et un carnet de commandes fragile, seront incapables de financer leur besoin en fond de roulement tout en faisant face à leur endettement; pour reprendre la métaphore d’un économiste, ce serait demander à sprinter à l’arrêt depuis plusieurs mois de courir immédiatement un 100 mètres à son niveau habituel sans s’asphyxier.

Les TPE risquent d’être en première ligne, notamment parce qu’elles connaissent mal les mesures de prévention et que leurs sources de financement sont limitées. Il faut également s’attendre à une augmentation des procédures préventives en 2021 où nombres d’entreprises sous LBO ne pourront pas servir à la fois la dette d’acquisition et la première échéance du PGE obtenu pendant la crise sanitaire.

Quels sont les secteurs qui risquent d'être les plus touchés ?

Je ne suis pas économiste mais, a priori, l’automobile, l’aéronautique et le tourisme sont les filières les plus en risque puisque les premiers plans de sauvetage annoncés par l’exécutif les concernent. L’important sera de bien distinguer les secteurs qui étaient déjà profondément en crise avant la pandémie et ceux dont les difficultés sont issues de celle-ci car, bien évidemment, le traitement des difficultés ne sera pas le même. Par exemple, les dépôts de bilan récents de Camaïeu, la Halle, Orchestra ou André sont la manifestation d’un modèle économique en crise depuis plusieurs années dans le secteur du prêt à porter et pour qui la pandémie sonne presque comme un coup de grâce. Il n’est donc pas étonnant que beaucoup de PGE y aient été refusés.

C’est exactement l’inverse pour des fleurons de l’économie comme le Tourisme pour lequel un PGE au régime spécifique vient d’ailleurs d’être mis en place.

Propos recueillis par Raphaël Lichten


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