Clément Abitbol : « Il ne s'agit plus de sanctionner des comportements dangereux, mais ceux suspicieux » concernant la gestion de la crise sanitaire

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Le Monde du Droit a interviewé Clément Abitbol, avocat pénaliste, sur les récentes actions tentées contre l’État et ses ministres. Leur choix de gestion pourraient conduire à l'engagement d'une responsabilité pénale ?

Quelles actions ont été tentées contre l’État et ses ministres ?

Plusieurs plaintes pénales ont été récemment déposées à l’encontre de responsables politiques devant la Cour de Justice de la République, notamment contre le premier ministre Edouard Philippe ou les ministres de la santé Agnès Buzin ou Olivier Véran.

Les plaignants sont des particuliers, mais également des syndicats ou des collectifs avec des revendications ou des intentions très différentes. Il est très difficile de savoir à ce stade si ces actions seront recevables et si l’instruction de ces plaintes pourrait prendre plusieurs années.

D’autres actions judiciaires en référé ont également été intentées contre l’Etat devant les juridictions administratives. Ces actions permettent d’aboutir à des solutions plus immédiates et concrètes.
A titre d’exemple, le juge des référés de Basse Terre a récemment enjoint au centre hospitalier universitaire de Pointe à Pitre et à l’Agence Régionale de la Santé (ARS) de commander des tests de dépistage du COVID-19, ainsi que des doses d'hydroxychloroquine et azithromycine, nécessaires au traitement de ce virus.

Quels fondements de droit pénal ont été visés par ces plaintes ?

Le fondement principalement retenu par les plaignants est l'article 223-7 du code pénal : « Quiconque s'abstient volontairement de prendre ou de provoquer les mesures permettant, sans risque pour lui ou pour les tiers, de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende ».

Il s’agit d’un délit d'abstention volontaire qui, pour le moment, n'a quasiment jamais été appliqué. La charge de la preuve sera très difficile à rapporter. Il faudra démontrer d’une part la connaissance d’un sinistre à venir par les autorités et d’autre part une abstention volontaire de mesures prises pour y remédier.

D'autres fondements ont été invoqués, tels que l'homicide involontaire et la mise en danger de la vie d'autrui. Là encore, ces qualifications paraissent peu adaptées. Ces infractions supposent d’établir un lien de causalité entre le dommage et les vecteurs de contamination qui peuvent être multiples.

Il est encore trop tôt pour établir des responsabilités dans la gestion de l’épidémie. Certains pensent pouvoir engager la responsabilité pénale de nos dirigeants et considèrent qu’il y a eu un manque d’anticipation dans la gestion de cette crise (absence de masques, absence de respirateurs…). On assiste ainsi à une dérive où il ne s'agit plus de sanctionner les comportements dangereux, mais les comportements suspicieux. Or, des commissions d’enquêtes parlementaires seront créées afin d’établir les responsabilités et de déterminer l’existence éventuelles de fautes pénales.

Quels éléments pourraient prouver le caractère intentionnel de l'infraction ?

Dans l’hypothèse où le Ministère public déciderait d’engager des poursuites, une enquête préliminaire pourrait être ouverte afin de déterminer l’existence éventuelle d’une faute.
Les enquêteurs seraient amenés à collecter un certain d’éléments objectifs sur le degré d’information de nos responsables politiques, tels que les études scientifiques en cours précédant la pandémie, les données épidémiologiques, le témoignage des différents acteurs aux responsabilités…

Il est évidemment trop tôt pour pouvoir se prononcer sur l’existence d’une faute pénale c’est-à-dire une abstention volontaire d’agir du gouvernement.
Personne n'a vu venir l'épidémie, ni sa portée. La communauté scientifique s’est montrée divisée et incapable de prévoir la gravité de la crise qui se profilait. Un certain nombre d’États ont masqué la réalité de la situation sanitaire (notamment le gouvernement chinois).

Quelles sont les chances de succès de ces plaintes ?

Lorsque la plainte est déposée par des organisations syndicales ou des associations citoyennes, se pose d'abord un problème de recevabilité. En effet, l'article 2 du code de procédure pénale n'admet la constitution d'une partie civile que lorsque les demandeurs ont un intérêt à agir. Ceux-ci doivent avoir subi un dommage direct. A l'heure actuelle, la recevabilité des plaintes n'est pas acquise et aucune enquête préliminaire n'a été ouverte par le Procureur de la République.

Quant à leurs chances d'aboutir, elles sont très limitées et ne sont généralement pas étayées. Ces plaintes s’inscrivent généralement dans une démarche politique et militante.

Propos recueilli par Anne Claire Della Porta


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