Le Monde du Droit a interviewé Maître Arnaud Durand, codirecteur de la plateforme d'actions collaboratives et citoyennes MySmartCab et avocat fondateur du cabinet Lexprecia, concernant l'action en justice engagée contre Enedis sur l'installation des compteurs Linky.
Qu'est ce qu'est une action collective ? Quels avantages elle présente ?
La plateforme MySmartCab choisit la voie de l'action collective conjointe pour permettre une réelle confrontation entre les petits demandeurs et les grands adversaires comme EDF ou ENEDIS. Ce type d’action représente une véritable consécration du dicton « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et le droit qui affranchit » (attribué à H. Lacordaire). Fondée sur le droit commun et le mandat ad litem d’une même équipe d’avocats, elle permet de mutualiser un certain nombre de frais, tels que les frais d'assignation, tout en recherchant des solutions particulières et personnalisées.
Par ailleurs, l'action conjointe présente un intérêt sur le plan probatoire, car des mêmes éléments de preuve concernant des situations similaires peuvent être produits dans l’intérêt de tous les requérants.
Quelles actions ont été engagées contre l'installation des compteurs Linky et sur quel fondement ?
A ce jour, ont été obtenues une dizaine de condamnations d'Enedis devant les juridictions de Toulouse, Bordeaux, Tours, Foix et Grenoble pour une cinquantaine de victimes des ondes.
Le fondement choisi est le référé classique du droit commun, prévu à l'article 835 nouveau du Code de procédure civile en cas de dommage imminent ou de trouble manifestement illicite.
La majorité des juges retiennent la qualification de dommage imminent pour justifier des mesures de protection, conservatoires ou de remise en état. Le but de ces actions étant de ne pas laisser souffrir les victimes des effets sanitaires suspectés le temps d’un procès au fond.
Enedis a ainsi été condamnée en référé à respecter le refus d'installation du Linky des personnes électrohypersensibles et, le cas échéant, à dépolluer le courant délivré par la mise en place d'un filtre. Celui-ci a été apposé pour la première fois à l'occasion d’une instance devant la juridiction de Bordeaux.
Par ailleurs, les clients de la distribution d’électricité se retrouvent face à des pratiques commerciales agressives, tel que l'envoi de courriers menaçant d’une saisine du juge en cas de refus d'installation du compteur Linky. Pour sanctionner ces pratiques, les juges du fond sont cette fois-ci saisis afin de faire condamner Enedis à indemniser le préjudice moral qui en résulte pour tout consommateur d’électricité, sur le fondement des articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation.
Quelle stratégie de défense a été adoptée par Enedis ?
Sur le volet sanitaire, la stratégie du groupe industriel est celle du doute. Les instances reconnaissent des « incertitudes sur les effets sanitaires » se référant à l'avis de l'ANSES1, publié en juin 2017.
Concrètement, en absence de Linky, le courant délivré est de 50 Hz. En présence de cet appareil, des ondes entre 35.000 et 95.000 Hz s'ajoutent à ce premier. On entre ainsi dans le domaine des radiofréquences. Ces nouveaux courants, qui circulent à travers les câbles électriques du logement à proximité duquel au moins un Linky est installé, permettent de faire remonter des informations personnelles jusqu’au concentrateur de quartier. Or, les simples câbles électriques ne sont pas du tout conçus pour la transmission de données. C'est cette inadaptation qui provoque le rayonnent des ondes électromagnétiques.
Quels sont les effets sanitaires provoqués par les compteurs ?
On ne naît généralement pas électrohypersensible, mais on le devient notamment à la suite d'une surexposition.
Si, comme l'invoque l'adversaire, il n'existe pas de symptômes spécifiques, un même tableau clinique revient souvent avec d'une part des symptômes subjectifs et d'autre part des symptômes objectifs. Les premiers sont reportés par les demandeurs. En cas d'exposition, ils souffrent de maux de tête, de fourmillements notamment sur les membres gauches, ou ont la sensation d'avoir les jambés coupées.
D'autre part, des effets objectifs sont observés par les médecins au travers de prélèvements sanguins ou de l’imagerie médicale. Ceux-ci constatent en période d'exposition un certain nombre d'effets, parmi lesquels la baisse du débit sanguin dans certaines artères, effets qui s’atténuent ou disparaissent après une période de sevrage.
Cette corrélation entre exposition et symptômes démontre bien un lien de causalité entre l’exposition et les préjudices subis par les victimes.
Chacun découvre aujourd'hui le confinement, une triste réalité qui est pourtant le quotidien des personnes électrohypersensibles. Ces victimes des ondes électromagnétiques doivent en effet limiter tout déplacement pour les éviter et perdent souvent la possibilité de travailler normalement.
Quelle solution a été retenue le 10 mars 2020 par la Cour d'appel de Grenoble ?
Le 10 mars 2020 devant la cour d'appel de Grenoble a été obtenue la condamnation la plus récente et par la plus haute juridiction contre ENEDIS dans l’affaire Linky.
Au nom du principe de précaution, la cour enjoint à Enedis de délivrer un courant exempt, sous astreinte de 200 euros par jour de retard soit 6.000 Euros par mois. De plus, pour la première fois, la cour d'appel condamne Enedis à verser 3.000 euros à la victime, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Si cette décision ne contraint pas les autres juridictions, elle fera néanmoins date en matière de jurisprudence relative au contentieux des ondes électromagnétiques.
Propos recueillis par Anne Claire Della Porta
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1. Rapport d'expertise collective « Exposition de la population aux champs électromagnétiques émis par les compteurs communicants »