Un an de recours en justice liés à la covid-19 : retour en chiffres sur l’activité du Conseil d’État, juge de l’urgence et des libertés

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Le 22 mars 2020, un syndicat de médecins demandait au Conseil d’État d’ordonner un durcissement du confinement, lors de la première audience liée à la covid-19. Le début d’une longue série où le prétoire du juge administratif a été ouvert sans interruption pour arbitrer entre la protection du droit à la santé et les autres libertés.

Durant ces douze mois, le Conseil d’État a jugé 647 recours1déposés par des citoyens, associations ou organisations professionnelles qui contestaient la gestion de la pandémie par le gouvernement. Il est intervenu en urgence, parfois en 48h, pour vérifier si les restrictions aux libertés imposées en raison du risque sanitaire étaient justifiées :

  • Dans 51 affaires, il a suspendu des mesures du Gouvernement ou de collectivités territoriales et/ou leur a ordonné de modifier leurs pratiques.
  • Dans plus de 200 affaires, des avancées ont été obtenues lors des audiences, l’État a été rappelé à ses devoirs ou les mesures contestées ont été modifiées par l’administration avant la décision du juge.

Alors que la situation sanitaire reste préoccupante, le Conseil d’État, au gré des requêtes dont il continue d’être saisi, poursuit son contrôle des actions de l’État et des autres administrations.

Depuis les premières mesures gouvernementales de mars 2020, le prétoire du Conseil d’État a été ouvert sans interruption aux particuliers, associations et organisations professionnelles qui souhaitaient faire valoir leurs droits et contester la gestion de la crise. Dans cette situation d’exception, le juge des référés du Conseil d’État a été amené à vérifier que l’administration agissait conformément à la loi, à concilier les droits et les libertés en cause, ainsi qu’à trouver des solutions concrètes et rapidement exécutables.

En un an, 647 recours liés à la pandémie ont été jugés en urgence. Les affaires dont le Conseil d’État a été saisi ont couvert toutes les dimensions de la vie quotidienne des Français.

Des mesures ordonnées à l’administration pour préserver des libertés auxquelles il était porté une atteinte excessive

Le Conseil d’État a ordonné des mesures ou suspendu des actes du Gouvernement et des administrations dans 51 recours : il a notamment ordonné la reprise de l’enregistrement des demandes d’asile (avril), des cérémonies dans les lieux de culte (mai), des manifestations (juin et juillet), enjoint de fournir des masques aux détenus d’une prison (mai), encadré l’usage de drones par la police (mai et décembre) et des caméras thermiques dans les écoles (juin), limité le port du masque obligatoire aux zones à risque (septembre), suspendu la restriction des critères médicaux pour bénéficier du chômage partiel (octobre), la limite de 30 personnes dans tous les lieux de culte  

(novembre) et la visioconférence lors des procès au pénal (novembre et février), ordonné la reprise de la délivrance de visas de regroupement familial (janvier) ou encore autorisé les sorties aux résidents des EHPAD (mars) et le retour des Français à l’étranger sur le territoire sans avoir à justifier d’un motif impérieux (mars).

Des solutions construites durant la procédure, des rappels de l’État à ses devoirs, même en cas de rejet de la requête

Des solutions et avancées concrètes ont été obtenues dans plus de 200 recours2 déposés devant le juge du Conseil d’État, même s’ils ont été formellement « rejetés » par le juge. Les débats qui ont eu lieu entre les parties et le juge au cours des audiences, ont conduit le Gouvernement à améliorer concrètement ses pratiques dans environ 50 affaires (fourniture de gants et gel hydroalcoolique pour les prisons en avril, dispense de contravention des sans-abris en avril, élaboration de bilans sur les effets du confinement sur la santé mentale en novembre, précision des motifs de déplacements autorisés en novembre, allègement de certaines interdictions par rapport aux cas particuliers présentés par les requérants, par exemple en janvier sur la pratique sportive à l’école…).

Le juge a aussi rappelé l’État à ses devoirs ou précisé ses obligations dans environ 130 affaires : par exemple d’aider les avocats à se fournir en masques (avril), d’agir pour prévenir les pics de pollution en lien avec les épandages agricoles, possibles facteurs aggravants de la covid-19 (avril), de trouver avec Microsoft une solution pour le Health Data Hub (octobre), de prendre en compte dans ses mesures le caractère essentiel joué par les librairies (novembre), ou de rouvrir les salles de spectacles en cas d’amélioration de la situation sanitaire (décembre).

Dans 89 cas, les mesures contestées n’étaient plus en vigueur ou avaient déjà été retirées ou modifiées par l’administration avant même que le Conseil d’Etat ne se prononce. Très souvent, c’est le fait même qu’un recours ait été déposé devant le juge qui a fait évoluer l’administration. Par exemple, avant que le juge ait pris sa décision, le site internet anti « fake news » du Gouvernement sur le covid-19 a été supprimé (mai), un député a été autorisé à visiter la maison d’arrêt de Béthune avec un journaliste et un collaborateur (juin), un Français résidant à l’étranger a obtenu un laisser passer sanitaire pour rentrer en France (août), des agents de l’administration pénitentiaire vulnérables ont bénéficié de l’activité partielle (novembre).

Et aussi des demandes ne pouvant être satisfaites

Seul prétoire devant lequel les citoyens ont pu contester en urgence les mesures gouvernementales, le Conseil d’État a également reçu des demandes qui ne pouvaient qu’être rejetées.

Dans certains cas, l’administration respectait la loi ou ne portait pas atteinte à une liberté de façon illégale. Dans d’autres, les recours ne relevaient pas du juge des référés : les requérants lui demandaient de se substituer aux scientifiques (autorisation de prescription générale d’hydroxychloroquine, avril...) ou au Parlement (nationalisation d’entreprises, mars…) ou de prendre des mesures excédant ses pouvoirs.

Certains recours ont également été rejetés car ils ne comportaient pas suffisamment de preuves pour démontrer ce que les requérants avançaient.

Juge de l’urgence et des solutions immédiates, dans un contexte changeant

Durant la crise sanitaire, les restrictions de libertés ont constamment dû être mises en regard de l’impératif de protection de la santé de la population, un objectif de valeur constitutionnelle. Le Conseil d’État s’est ainsi attaché à vérifier que ces atteintes aux libertés étaient nécessaires, adaptées et proportionnées, en tenant compte d’une situation sanitaire en constante évolution et des moyens disponibles pour lutter contre le virus (masques, vaccins…). À chaque période, le juge a dû placer correctement le curseur entre les libertés et le droit à la protection de la santé.

  • Période 1 – Le confinement, juger alors que le risque sanitaire est au maximum
    Entre mars et mai 2020, pour faire face à une situation sanitaire alarmante et inédite, les restrictions aux libertés ont été maximales.

    Dans ce contexte, le Conseil d’État a surtout été saisi de demandes contradictoires de renforcement ou d’allégement de ces restrictions, et de demandes de contrôle de la gestion des pénuries de matériel sanitaire et de la protection des populations par l’administration. 

  • Période 2 - Le déconfinement, déplacer les curseurs dans une situation sanitaire en amélioration
    A partir du 11 mai 2020, l’amélioration de la situation sanitaire a amené de nouvelles questions devant le Conseil d’État.
    Le juge des référés s’est ainsi régulièrement prononcé sur la nécessité et la proportionnalité de certaines atteintes aux libertés (célébration des cultes, manifestations…).

  • Période 3 – Le deuxième confinement et le couvre-feu, évaluer au cas par cas
    Avec le deuxième confinement fin octobre 2020, la règle générale du premier confinement a été remplacée par des restrictions plus nuancées : fermeture de certains commerces plutôt que d’autres, couvre-feux différenciés selon les régions…
    Le Conseil d’État a ainsi été amené à se prononcer sur la cohérence des mesures.

  • Et demain ?
    Le juge doit opérer dans un contexte évolutif, notamment marqué par l’accès progressif des populations à la vaccination et des disparités de contamination par régions.

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1 Nombre de recours jugés entre le 17 mars 2020 au 17 mars 2021 par le juge des référés du Conseil d’État. Ce chiffre exclut une série de 283 recours identiques déposés fin septembre contre la restriction des critères de vulnérabilité pour le chômage partiel, et qui in fine ont fait l’objet d’une injonction au Gouvernement en octobre, qui ne sont comptés que comme un seul recours.

2 À noter, une même affaire a pu faire l’objet de plusieurs avancées concrètes pour les requérants (avancées grâce à l’audience et/ou rappels de l’État à ses obligations et/ou retraits ou modifications de mesures avant décision du juge)


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