Lionel Lesur, avocat aux barreaux de Paris et de Rome, associé en corporate/M&A et droit de la concurrence au sein du cabinet Franklin, partage sa lecture du projet de Loi de simplification de la vie économique au regard des opérations de M&A.
Guidé par le souci croissant de renforcer l’attractivité économique de la France et la compétitivité des entreprises, le projet de Loi de simplification de la vie économique, qui sera examiné au Sénat le 3 juin prochain, contient plusieurs mesures visant, notamment, à alléger les démarches administratives. Pertinentes pour limiter les contraintes et accélérer les délais des opérations de M&A, plusieurs mesures ne vont, cependant, pas sans soulever plusieurs interrogations antitrust, sociales et fiscales pour les entreprises et fonds d’investissements présents ou souhaitant s’implanter en France.
Le relèvement des seuils de notification « concurrence »
Le projet propose de relever significativement les seuils de notification concurrence (tant généraux que spécifiques au secteur de la distribution), ce dont il résulterait une baisse annuelle d’environ 25 à 30% du nombre de notifications à l’Autorité de la concurrence qui passerait sous les 200. Inchangés depuis les années 2000 malgré l’évolution du contexte économique, ces nouveaux seuils visent à concentrer les ressources de l’Autorité sur le contrôle des opérations les plus problématiques.
Un nombre significatif d’opérations ne devrait plus être notifiable, supprimant ainsi les coûts associés, et pourra être réalisé plus rapidement, avec un signing/closing (quasi) concomitants en cas d’absence d’autres conditions suspensives ou si ces dernières peuvent être levées rapidement.
Cette mesure doit néanmoins être mise en perspective avec la nouvelle interprétation de l’Article 22 du Règlement européen 139/2004 sur le contrôle des concentrations (qui pourrait toutefois bientôt être remise en cause, comme proposé en mars par l’avocat général de la CJUE) décidée en 2022 : un plus grand nombre d’opérations, susceptibles de porter atteinte à la concurrence, particulièrement dans le secteur de la pharma et du digital, pourrait donc faire l’objet d’une demande de renvoi pour examen à la Commission européenne, y compris post-closing, avec les risques de prévisibilité et sécurité juridiques liés.
La modification du mécanisme d’information des salariés issue de la « loi Hamon »
Au regard du droit du travail, le projet contient une mesure impactant les opérations de M&A impliquant les PME.
Le délai d’information des salariés quant au projet de vente de leur entreprise en vue de présenter une offre de rachat serait réduit de deux à un mois au plus tard avant la vente, et le plafond de la sanction en cas de non-respect abaissé de 2% à 0,5% du prix de vente lorsque l’entreprise compte moins de 50 salariés.
Né du constat fait par Bercy que ce mécanisme, intervenant très tardivement dans le processus des opérations de M&A (i.e., lorsqu’un repreneur a déjà été identifié), débouche, en pratique, très rarement sur une reprise par un salarié, cette modification permettrait donc de réduire le délai entre signing et closing.
Il convient, toutefois, de s’interroger sur la raison pour laquelle cette mesure ne serait pas étendue à l’ensemble des entreprises concernées (i.e., sociétés de moins de 250 salariés, avec un chiffre d’affaires annuel inférieur à 50 millions d’euros ou dont le bilan n’excède pas 43 millions d’euros), voire, ce mécanisme, soit modifié pour s’appliquer uniquement lorsqu’aucun repreneur potentiel n’a été identifié, ou, purement et simplement supprimé ?
Un recours facilité et encouragé au rescrit fiscal
Nous relevons également une volonté de généraliser le recours aux rescrits fiscaux pour renforcer la prévisibilité et sécurité juridiques.
Pouvoir obtenir en amont d’une opération de M&A une position claire de l’administration quant à la conformité d’un mécanisme avant mise en œuvre est, évidemment, pertinent, tout comme la mise à disposition d’un recueil des positions, anonymisés, de l’administration (donc opposables à celle-ci), qui répond à un véritable besoin de transparence des contribuables.
En pratique, si le temps nécessaire pour obtenir un rescrit ne permettra pas toujours d’y recourir compte tenu des délais contraints d’un processus M&A, ce recours facilité au rescrit et ce recueil renforceront la sécurité juridique, particulièrement eu égard à l’accroissement du degré d’incertitude lié au traitement fiscal de certaines opérations (notamment liées aux opérations de Private Equity).
Annoncée comme la première d’une série visant, selon Bruno Le Maire, à en finir avec la « bureaucratie » et l’« Etat-providence », il est souhaitable que cette Loi soit votée dans les plus brefs délais, tout en supprimant, au préalable, tout doute ou risque résultant, pour les entreprises et praticiens du Droit, de certaines mesures envisagées (y compris ceux résultant de la suppression envisagée des formulaires Cerfa).
Lionel Lesur, avocat associé en corporate/M&A et droit de la concurrence, Franklin